Démographie : le réveil sera brutal

Hier soir alors que je discutais avec ma patronne au sujet d’un article publié sur le site Internet du journal «Le Monde», j’ai découvert sur le même media une autre publication qui a occupé mon esprit une bonne partie de la nuit.

C’est une interview du professeur Jacques Emina de l’Université de Kinshasa. Il y est question de l’un des sujets qui m’effraient le plus : la croissance démographique en République démocratique du Congo.

Dans un autre billet de blog, j’avais déjà évoqué les défis que pose l’explosion démographique dans le pays. Le professeur Emina va plus loin. Il met en parallèle la démographie galopante et la pauvreté croissante au Congo.

Subir le destin

«Depuis 1960, la population a été multipliée par 7,5 mais le revenu par habitant a été divisé par 2,5. Les accès au logement, à l’eau, à la nourriture ou à l’éducation vont être des défis de plus en plus difficiles à relever», assène l’enseignant.

En 2050, le Congo va compter 215 millions d’habitants. Le pays sera le deuxième plus peuplé d’Afrique, derrière le Nigeria, et le huitième sur la planète.

Il faut se rappeler qu’en 1960, au moment de l’indépendance du pays, sa population était d’environ 15 millions d’habitants. Et c’est la capitale, Kinshasa, qui donne l’idée la plus nette de cette explosion démographique.

Selon ONU Habitat, en 1920, Kinshasa comptait 1 600 habitants. Actuellement, c’est-à-dire un siècle plus tard, la mégapole est peuplée de 12 millions d’âmes.

Un tel accroissement de la population ne poserait pas spécialement de problème s’il faisait l’objet d’une réflexion collective et des décisions politiques sérieuses. Je vois régulièrement sur les réseaux sociaux des personnes fort intelligentes s’indigner du fait que les médias occidentaux fassent de la démographie un problème pour l’Afrique alors que le continent est plus vaste que l’Europe occidentale, les Etats-Unis, l’Inde et la Chine.

Et d’un point de vue tout à fait théorique, le Congo peut parfaitement compter 200 ou 250 millions d’habitants. C’est le deuxième pays le plus grand du continent africain après l’Algérie.

Mais gardons-nous des raccourcis et des fausses évidences.

La démographie n’est un atout que si elle est pensée et fait l’objet des politiques publiques sérieuses et rigoureuses, nourries par une ambition et une volonté de puissance affichées.

Le Congo n’en est pas là. Il en est même à des années-lumière.

Comme le fait remarquer le professeur Emina, le Congo «n’a pas de véritable politique démographique ni aucune structure dédiée comme il en existe dans d’autres pays africains».

Le dernier recensement de la population a eu lieu en 1984.

«Or, argumente le professeur Emina, sans statistiques fiables sur les naissances, les décès, les migrations, il est impossible de faire une bonne planification. Comment savoir de combien d’écoles, de maternités, d’emplois, un territoire donné a besoin si l’on ignore qui habite où ? Pour que la population puisse devenir un levier de développement, il faut d’abord mieux la connaître.»

Malheureusement, nous avons fait le choix – comme beaucoup d’autres pays africains – de l’ignorance plutôt que celui de la connaissance.

Pour reprendre la formule de Thomas et Ronald Wonnacott reprise par Kako Nubukpo dans «L’urgence africaine», l’élite congolaise a tout le mal du monde à passer de la «certitude ignorante à l’incertitude réfléchie» :

«En Afrique, on préfère souvent rester dans la certitude ignorante plutôt que de faire l’effort d’aller vers une incertitude réfléchie.»

Voilà tout notre problème. Le drame du Congo est que depuis son indépendance le pays a eu à subir plutôt qu’à créer son destin.

Vacances mentales

Explosion démographique, minerais stratégiques, géographie avantageuse. Le pays subit plus qu’il ne se donne les moyens de forger son destin.

Se rendre compte que 64 ans après l’indépendance du pays, le revenu par habitant a été divisé par 2,5, c’est faire le constat d’un pays dont l’élite est «en vacances mentales».

Dans un très beau texte publié sur son blog, Jacques Attali faisait remarquer récemment :

«Les veilleurs s’inquiètent des mauvaises nouvelles ; les jouisseurs ne s’intéressent qu’aux bonnes. Les premiers cherchent à percer les mystères de l’avenir ; les seconds puisent dans le présent toutes les raisons d’être heureux. Les premiers sont aux aguets du monde ; les seconds sont en vacances mentales.»

Les dirigeants congolais sont décidément dans le camp des seconds.

Ils «se contentent de profiter des plus petites joies du moment, de chercher ce qui peut apporter des petits plaisirs immédiats, des sujets de conversations futiles, des gratifications dérisoires, tout en regardant avec indifférence les difficultés environnantes et les sujets qui fâchent».

Il est temps de revenir à la réalité, d’accepter de s’y confronter. De refuser le confort de la fatalité. De prendre des décisions difficiles, courageuses mais salutaires. Punir durement la corruption. Réduire régulièrement la part des dépenses consacrées au fonctionnement d’institutions aussi inutiles que budgétivores. Augmenter les dépenses d’investissements. Lancer des grands travaux d’infrastructures pour permettre aux hommes et aux marchandises de circuler dans ce vaste pays. Financer l’outil productif. Électrifier et industrialiser le pays.

Si tout ceci n’est pas fait d’ici le milieu du siècle, le destin que nous nous apprêtons encore une nouvelle fois à subir aura le visage d’un pays à l’agonie, empêtré dans la violence et profondément inégalitaire. Pour l’heure, on s’y dirige tout droit avec l’insouciance des somnambules qui s’avancent joyeusement vers la fosse aux lions, ne se doutant de rien. Le réveil sera brutal.

Publié par Joël Bofengo

Catholique. Journaliste congolais. Curieux de tout (sauf de gastronomie), j’aime lire (des livres) et écouter (la radio). Je crois au meilleur de l’être humain mais je le sais également capable du pire. «Je suis pessimiste avec l'intelligence, mais optimiste par la volonté». Fan de Liverpool FC.

2 commentaires sur « Démographie : le réveil sera brutal »

  1. Cher Joel, je voudrais vous suggérer un excellent livre écrit à ce propos par trois écrivains suédois, il est en anglais mais sa version française vient de paraitre au CANADA. Il a comme titre the factfulness. Ces auteurs essaient de soulever le cote erronée de ce que les occidentaux croient de l’explosion démographique en Afrique

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