L’horloge tourne…

Collectivement, qu’avons-nous réalisé de notable au cours des quarante dernières années au Congo ? Quel projet a-t-on porté et qui a abouti ? Qu’avons-nous tenté (qui a réussi ou échoué) ? Que faisons-nous du temps qui passe ? Que nous ont apporté ces milliers de colloques, conférences, tables rondes et états généraux organisés pour résoudre je-ne-sais-quoi dont le Congo souffre ?

Comme je l’ai écrit dans un autre billet publié sur ce blog : dans une République, chaque génération doit se donner la mission de laisser à la génération suivante un pays en meilleur état.

Un pays en meilleur état, c’est une école qui forme des personnes de plus en plus qualifiées. Une justice de plus en plus indépendante. Une économie de plus en plus forte et innovante. Un modèle social de plus en plus solidaire. Des hommes et des femmes de plus en plus libres.

Nous sommes en 2023. Des millions de Congolais n’ont pas accès à l’électricité. Ni à l’eau potable.

Nous sommes en 2023. Personne ne connaît précisément le nombre d’habitants du Congo. Nous irons voter dans quelques mois. Pendant la campagne électorale, nous entendrons des illuminés nous annoncer avec force détails le nombre d’écoles et d’hôpitaux qu’ils vont construire, une fois élus. Construits sur base de quoi ? Personne ne le saura jamais puisque personne ne détient les données démographiques précises qui permettent de définir les politiques publiques efficaces et rationnelles.

Nous sommes en 2023. Les agents de la fonction publique ne savent toujours pas quel jour du mois ils doivent être payés. Certains d’entre eux ont plus de 70 ans mais continuent de travailler parce que la fin du travail signifierait pour eux la fin tout simplement. Certains d’entre eux ne savent pas écrire une correspondance. Ils ont pourtant été recrutés.

Tout le monde sait que le Congo a une fiscalité problématique. Mais vous n’entendrez pas des élus rivaliser d’imagination pour proposer une réforme fiscale sérieuse et courageuse.

Tout le monde sait que le Congo a un déficit criant d’infrastructures. Mais vous n’entendrez ni les élus ni le gouvernement proposer un plan sérieux de financement d’un vaste programme d’infrastructures sur l’ensemble du territoire national. Tout juste, entend-on un étourdi réclamer la mise en place d’un «Plan Marshall» dont il est le seul à connaître le contour.

Alors pourquoi ? Pourquoi met-on autant d’énergies pour des questions qui ne résolvent ni les problèmes des Congolais ni ceux de leurs enfants ? Pourquoi nous dispersons-nous ? Pourquoi avons-nous à ce point la chamaillerie chevillée au corps ?

N’y a-t-il vraiment rien à faire qui mérite notre attention et notre énergie ?

Pendant que nos compatriotes meurent régulièrement dans des naufrages sur nos rivières et notre fleuve à cause d’embarcations non viables, certains, sur cette même planète, mettent au point des véhicules autonomes.

Pendant que nos enfants étudient encore dans des salles de classe sans pupitres ni tableau noir, certains, sur cette même planète, mettent déjà au point des versions de plus en plus sophistiquées d’intelligence artificielle.

Pendant que des malades meurent encore dans nos hôpitaux, faute de médicaments, certains, sur cette même planète, expérimentent déjà la télémédecine.

Un seul billet de blog ne suffira pas à lister tous les domaines où nous avons besoin de nous concentrer et de travailler sérieusement pour répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain.

En avons-nous conscience ?

J’en entends souvent reprocher aux pères fondateurs d’avoir réclamé trop tôt l’indépendance du pays. Leur argument : le pays n’avait pas suffisamment d’universitaires. C’est un fait. Ils n’étaient pas nombreux.

Mais la question. La vraie. La voici : aujourd’hui, combien sont-ils ? Le pays s’en porte-t-il mieux ?

Le Congo est malade. Malade de ses enfants, toujours plus disposés à se quereller qu’à travailler ensemble pour un pays libre et prospère. Si nous ne changeons pas, nous le paierons très cher parce que pendant qu’ici, le débat public porte constamment sur des sujets futiles et sans intérêt, d’autres pensent le monde de demain : intelligence artificielle, véhicule électrique, robots militaires, cyber-guerre, etc.

Sur son blog, Jacques Attali note : «Selon des études récentes, un quart des emplois aux Etats-Unis et en Europe pourront très bientôt être remplacés par des systèmes d’intelligence artificielle générative.»

En avons-nous conscience ?

Devant le Parlement congolais, Nicolas Sarkozy, alors président de la France, déclarait le 26 mars 2009 :

«L’Afrique, n’est pas un continent à part, détaché des autres, enfermé dans je ne sais quel isolement.
L’Afrique doit battre au même rythme que le reste du monde.»

L’intelligence artificielle va affecter nos modes de vie et notre rapport au travail, au temps et à la création comme c’est le cas dans le reste du monde.

Y a-t-il quelqu’un au Congo pour y réfléchir et nous proposer des chemins possibles pour éviter que demain nous soyons dépassés par des outils tous les jours plus performants et plus autonomes ?

C’est devenu une sorte de rituel, chaque année électorale (mais pas seulement), on entend exactement les mêmes discours, les mêmes polémiques et les mêmes querelles : fichier électoral, indépendance de la commission électorale et de la Cour constitutionnelle, etc. Il n’y a que les acteurs qui changent au gré des changements de majorité. L’opposition, arrivée au pouvoir, refaisant exactement ce qu’elle reprochait à la majorité qu’elle a combattue. Et l’ancienne majorité répétant exactement les mêmes complaintes de l’opposition qu’elle a réprimée hier.

Le pays fait du sur-place.

«Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise», écrit Jean Monnet.

Nécessité, il y a. Crise aussi. Alors, qu’attendons-nous pour changer ? La catastrophe ?

Si comme l’écrit Xavier Alberti, «nous sommes devenus incapables de réguler et transformer nos modèles, sans passer par la catastrophe», alors préparons-nous à la catastrophe.

Mais si l’avenir de nos enfants et leur bien-être nous préoccupent, alors «avant le temps des sacrifices», doit venir «le temps des choix».

Non pas les choix «que nous voulons pour les autres, mais ceux dont nous sommes capables pour nous-même. Nous pouvons changer. Nous savons changer. Mais voulons-nous changer ?».

Telle est la vraie question. L’horloge tourne…

Publié par Joël Bofengo

Catholique. Journaliste congolais. Curieux de tout (sauf de gastronomie). Fan de Liverpool FC.

2 commentaires sur « L’horloge tourne… »

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