Il ne serait pas inintéressant de relire «Laudato Si’», l’encyclique du pape François, alors que se déroule en Égypte la COP 27. C’est en tout cas ce que j’ai fait mardi et mercredi.
J’avais déjà lu le texte l’année passée. Mais le relire alors que les dirigeants du monde sont réunis pour discuter de la question climatique m’en a davantage fait apprécier la pertinence.
Le sous-titre de la deuxième encyclique du pape François est «sur la sauvegarde de la maison commune».
Un sous-titre qui n’est pas sans rappeler le célèbre «Notre maison brûle et nous regardons ailleurs» de Jacques Chirac. C’était en 2002. Il y a 20 ans.
«Face à la détérioration globale de l’environnement, je voudrais m’adresser à chaque personne qui habite notre planète», écrit le pape François dans son encyclique.
Publié en mai 2015, «Laudato Si’» ne ressemble pas aux autres textes que j’ai lus au sujet de la crise climatique. Sa spécificité ?
A bien des égards, ce document met en avant des sujets dont les responsables politiques n’ont compris la pertinence que plusieurs années après.
Alors que certains ont attendu la guerre en Ukraine et ses conséquences sur l’approvisionnement en hydrocarbures pour parler de «sobriété», le pape en fait déjà l’éloge dans son encyclique.
«La sobriété, qui est vécue avec liberté et de manière consciente, est libératrice. Ce n’est pas moins de vie, ce n’est pas une basse intensité de vie mais tout le contraire», explique-t-il.
En fait, le pape François présente la crise climatique non pas seulement comme une question de réchauffement climatique, de la montée des eaux ou de la perte de la biodiversité qu’il faudrait résoudre rapidement grâce aux solutions proposées par des experts.
«Ecologie intégrale»
Certes, et le pape le mentionne dans l’encyclique, la science nous apporte beaucoup d’outils nécessaires pour résoudre la crise climatique. Mais cette crise n’est pas qu’une question de degré de température en plus ou en moins. C’est bien plus que cela.
«Aujourd’hui l’analyse des problèmes environnementaux est inséparable de l’analyse des contextes humains, familiaux, de transport, urbains, et de la relation de chaque personne avec elle-même qui génère de façon déterminée d’entrer en rapport avec les autres et avec l’environnement», note le pape François.
C’est cela la spécificité de «Laudato Si’». Il présente les problèmes environnementaux que connaît notre planète comme une question globale qui en appelle à toutes les économies humaines.
Pour le pape, «tout est lié». Certaines attitudes de l’être humain provoquent en même temps la dégradation de l’environnement et la dégradation sociale qui s’alimentent mutuellement.
François évoque notamment la question du gaspillage.
Selon le Programme alimentaire mondial, environ un tiers des aliments produits pour la consommation humaine est perdu ou gaspillé, ce qui représente une perte financière d’environ 1 000 milliards de dollars américains par an.
«Lorsque l’on jette de la nourriture, c’est comme si l’on volait la nourriture à la table du pauvre», rappelle le pape François dans son encyclique.
L’évêque de Rome nous met en garde contre le «désir désordonné de consommer» qui nous caractérise de plus en plus et la logique du «utilise et jette».
«Plus le cœur de la personne est vide, plus elle a besoin d’objets à acheter, à posséder et à consommer. Dans ce contexte, il ne semble pas possible qu’une personne accepte que la réalité lui fixe des limites», analyse François.
Il plaide ainsi pour une écologie intégrale qui «implique de consacrer un peu de temps à retrouver l’harmonie sereine avec la création, à réfléchir sur notre style de vie et sur nos idéaux, à contempler le Créateur, qui vit parmi nous et dans ce qui nous entoure».
Car l’enjeu n’est pas seulement de remplacer les véhicules thermiques par des véhicules électriques. Ou de substituer le gaz et le pétrole par une autre ressource. C’est notre rapport avec nous-même, l’autre et la nature qu’il faut redéfinir.
«Conversion écologique»
«Si la crise écologique est l’éclosion ou une manifestation extérieure de la crise ethique, culturelle et spirituelle de la modernité, nous ne pouvons pas prétendre soigner notre relation à la nature et à l’environnement sans assainir toutes les relations fondamentales de l’être humain», écrit François.
Le pape nous invite ainsi à dépasser les «mythes de la modernité» : individualisme, progrès indéfini, concurrence, consumérisme, marché sans règles.
Il soutient l’idée d’une éducation environnementale qui ne se limite pas à l’information scientifique ou à la sensibilisation et à la prévention des risques environnementaux.
Cette éducation environnementale devrait s’étendre aux différents niveaux de l’équilibre écologique :
-au niveau interne, avec soi-même ;
-au niveau solidaire, avec les autres ;
-au niveau naturel, avec tous les êtres vivants ;
-au niveau spirituel, avec Dieu.
Le pape François encourage aussi les gestes du quotidien «qui répandent dans la société un bien qui produit toujours des fruits au-delà de ce que l’on peut constater» :
-éviter l’usage de matière plastique et de papier
-réduire la consommation d’eau
-trier les déchets
-cuisiner seulement ce que l’on pourra raisonnablement manger
-traiter avec attention les autres êtres vivants
-utiliser les transports publics ou partager le même véhicule entre plusieurs personnes
-planter des arbres
-éteindre les lumières inutiles
Dieu, la nature et nous
Si l’homme en est venu à faire autant de mal à la nature, c’est parce qu’il a oublié sa place et sa mission.
«La meilleure manière de mettre l’être humain à sa place, de mettre fin à ses prétentions d’être un dominateur absolu de la terre, c’est de proposer la figure d’un Père créateur et unique maître du monde, parce qu’autrement l’être humain aura toujours tendance à vouloir imposer à la réalité ses propres lois et intérêts», argumente le pape François.
Le pape fait une mise au point sur une interprétation trompeuse des Saintes écritures qui ont conduit certains à se méprendre sur le rapport entre l’homme la nature.
Il a été dit, écrit-il, que, à partir du récit de la Genèse qui invite à «dominer» la terre (Genèse 1, 28), on favoriserait l’exploitation sauvage de la nature en présentant une image de l’être humain comme dominateur et destructeur.
«Ce n’est pas une interprétation correcte de la Bible», corrige François, avant d’ajouter :
«Il est important de lire les textes bibliques dans leur contexte, avec une herméneutique adéquate, et de se souvenir qu’ils nous invitent à «cultiver et garder» le jardin du monde (Genèse 2, 15). Alors que «cultiver» signifie labourer, défricher ou travailler, «garder» signifie protéger, sauvegarder, préserver, soigner, surveiller. Cela implique une relation de réciprocité responsable entre l’être humain et la nature. Chaque communauté peut prélever de la bonté de la terre ce qui lui est nécessaire pour survivre, mais elle a aussi le devoir de la sauvegarder et de garantir la continuité de sa fertilité pour les générations futures.»
Ainsi donc, «la Bible ne donne pas lieu à un anthropocentrisme despotique qui se désintéresserait des autres créatures». Bien au contraire.
Le pape François parle de son encyclique comme d’une «réflexion joyeuse et dramatique».
Dramatique parce que le sujet ne prête pas beaucoup à sourire. Si nous ne prenons pas la mesure de la crise que nous traversons et si chacun ne s’engage pas comme la situation de notre planète l’exige, l’humanité court à sa perte.
Joyeuse parce que cette crise climatique est une formidable opportunité pour l’humanité qui peut trouver dans sa résolution l’opportunité de se réconcilier avec Dieu, la nature et elle-même.
C’est cela aussi la richesse de «Laudato Si’». Cette encyclique nous incite à un «engagement généreux».
Et je vous conseille vivement de lire ce texte. Si je le pouvais, j’aurais envoyé une copie à chaque participant à la COP 27.
Illustration : Une manifestation « Fridays for future », le 1er octobre 2021 à Milan. Vatican News.