Warrior ou Golois ? Les deux, mon capitaine !
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En me levant ce matin, je me suis rendu compte que je n’avais pas arrêté la radio qui a donc joué toute la nuit. C’est plutôt mon téléphone grâce auquel j’écoute chaque soir un podcast choisi au hasard. «Al Capone, roi des gangsters». C’est le titre du podcast en cinq épisodes de France Culture sur lequel je me suis endormi. A mon réveil, alors que je m’apprêtais à basculer sur France Info pour suivre les infos du matin (oui, je suis toujours un enfant de la radio), je tombe sur une suggestion d’un autre podcast, «Légende de la musique africaine» sur France Inter.
Tiens tiens ! De quoi peut-il être question dans ce podcast ? Le «curieux de naissance» que je suis ne peut s’arrêter au titre. Je clique dessus et je découvre qu’on parle de tous ces grands noms de la musique africaine dont les voix ont fait mes soirées quand j’étais enfant : Cesaria Evora, Miriam Makeba, Fela Kuti, les frères Toure Kunda, Salif Keita et tant d’autres.
Mais mes yeux s’arrêtent sur le cinquième épisode : «Tabu Ley Rochereau : Seigneur du Congo, grand créateur de la Rumba congolaise». Evidemment, je lance le son.
Evidemment parce que je suis un fan du Seigneur Ley. Et même si je suis né alors que cette icône de la musique noire avait le gros de sa carrière derrière lui. Et même si – comme l’écrit France Inter dans l’annonce de cet épisode du podcast – Tabu Ley est «méconnu de la nouvelle génération, surplombé par la notoriété de son fils, le rappeur et producteur, Youssoupha». Et même si ce monde-là peut paraitre à nous autres comme le «monde d’avant», la musique du Seigneur Ley résonne et résonnera toujours à mes oreilles d’une façon particulière.
Rochereau ou Franco ?
Tabu Ley, pour moi, c’est «Les disques de mon père» pour reprendre le titre de Youssoupha. Les chansons qu’il écoutait le soir, assis sur sa «chaise longue» : «Sorozo», «Maze», «Pitié», «Congo Avenir», etc. La discographie de Rochereau (c’est toujours comme cela que papa l’appelait) est immense.
Au début, je n’aimais pas. Ni moi ni mes frères. «Musique ya kala». C’est comme cela qu’on moquait ces titres que papa affectionnait tant. Il ne répondait pas. Il souriait. Sans doute convaincu que nous finirions par adorer. Et c’est arrivé.
J’étais à la fac des Lettres à Kinshasa. Je vivais seul avec papa qui vivait ses derniers jours. Nous ne le savions pas. Mais il n’avait pas perdu ses habitudes. Le soir, c’était Koffi Olomide et Rochereau.
Et j’avais fini par devenir fan du second autant que j’aimais les belles mélodies du premier. Mais de cela, je vous ai déjà parlé dans un autre billet.
Ce dont je veux vous parler aujourd’hui et qui m’a un peu chagriné, c’est le parti pris de ce podcast. «Seigneur du Congo, grand créateur de la Rumba congolaise». Je dois avouer que je suis assez mal à l’aise.
Le fan assumé de Rochereau que je suis est aux anges. Mais le journaliste est déçu. Franco mérite au moins autant que Tabu Ley ces éloges.
Mon père avait choisi. Entre Rochereau et Franco, pour lui, le choix était clair. Il n’appréciait pas le leader du TP OK Jazz qu’il qualifiait de «voyou». Mais la sincérité qui le caractérisait l’obligeait à concéder : «Il a un grand talent et s’est forgé un destin hors du commun».
Oui. Franco Luambo Makiadi a eu un destin hors du commun. Il est mort relativement jeune (51 ans). Mais il a laissé une trace que nous aurons tort de négliger.
Et d’ailleurs, quelles oreilles n’écouteraient pas avec délice «Mario», «Princesse Kikou», «Mamou», «Makambo ezali bourrreau», «Très impoli» ? La liste est très longue.
Franco et Rochereau, ce ne sont pas exactement les mêmes sources d’inspiration. Le premier s’est plutôt distingué dans la critique des mœurs d’une société dont il a dépeint avec une justesse rare les comportements des hommes et des femmes. Ecoutez, par exemple, le titre «Flora, une femme difficile». Et découvrez le cynisme d’un homme marié qui drague une femme mariée qui ne se laisse pas faire. C’est sublime. Ou cet autre titre, «La vie des hommes» qui raconte l’histoire de cet époux volage qui doit se rendre dans les toilettes pour compter l’argent qu’il laisse pour son ménage. C’est exquis.
Le deuxième chante l’amour comme personne. Qu’il s’agisse de la rupture amoureuse comme dans «Adios Tete» et «Sorozo». Ou du coup de foudre comme dans «Maze». Rochereau excelle dans ce registre. Et en cela, il sera le précurseur de toute une lignée d’artistes comme Koffi Olomide, Fally Ipupa ou Ferre Gola.
Mais Rochereau et Franco ont un point commun. Leur musique est probablement la belle et la plus pure expression de la Rumba congolaise.
C’est quand je suis devenu animateur radio que j’ai découvert toute la richesse de la discographie de Franco. Je m’étais fixé une règle : autant de Franco que de Rochereau, autant de Koffi que de Papa Wemba, autant de JB Mpiana que de Werrason, autant de Fally que de Ferre.
Les deux, mon capitaine
Le Congo (ex-Zaïre) est incontestablement une terre de musique. Depuis les premières sonorités de «Marie Louise» du patriarche Wendo Kolosoyi, le pays ne cesse de produire de génies qui font le bonheur des mélomanes du monde entier.
Cyril Atel, l’un des invités du podcast consacré à Tabu Ley, a ainsi relaté qu’il a découvert la musique de Rochereau alors qu’il était étudiant à Boston.
Pourquoi alors choisir ?
Pourquoi dois-je choisir entre Fally Ipupa et Ferre Gola comme mes parents se sont cru obliger de choisir entre Rochereau et Franco ? Je peux à la fois me revendiquer Warrior (fan da Fally) et Golois (fan de Ferre). D’autant que j’aime la musique de l’un comme de l’autre.
Dans ces rivalités artificielles si caractéristiques du Congo d’hier et d’aujourd’hui, moi aussi j’ai été amené à choisir mon camp. C’était la grande époque de la rivalité entre Koffi Olomide et Papa Wemba. J’étais Koffiphile. A la même époque, une autre rivalité a secoué ceux de ma génération : Werra ou JB ?
Mon père me racontait les histoires d’une autre rivalité dont je ne me souviens plus des protagonistes. A l’époque, je ne prenais pas encore systématiquement des notes comme je le fais depuis quatorze ans. Mais je crois me souvenir des groupes Zaiko Langa Langa et Isifi Lokole (si vous en savez un peu plus, n’hésitez pas à commenter cet article en me corrigeant).
Je sais que ce type d’opposition n’est pas spécifique au Congo. Messi et Ronaldo ne sont pas Congolais. Pas plus que les Beatles et les Rolling Stones ne le sont. En parlant d’ailleurs de cette dernière opposition, il semble que Rochereau se sentait plutôt proche des premiers dont il aurait samplé le titre «Let it be».
En ce qui me concerne, j’écoute autant les Beatles que les Rolling Stones (même si mon cœur de fan de Liverpool FC me pousse plutôt du côté des Beatles). Je trouve autant de talent à Messi qu’à Ronaldo. A la mort de Papa Wemba (que j’ai annoncée sur le site Internet de Radio Okapi), j’ai compris pourquoi il était vain d’opposer des génies de cette trempe.
Il faut en profiter et remercier le Ciel de nous en faire don.
Allez ! Faites comme moi. Savourez autant que vous le pouvez les titres de Rochereau et de Franco, de Koffi Olomide et de Papa Wemba, de Werrason et de JB Mpiana. Et si on vous demande : Warrior ou Golois ? Répondez : les deux, mon capitaine.
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