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S’inspirer de Kissinger. Être réaliste

S’inspirer de Kissinger. Être réaliste

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Kissinger est mort. A force de le voir dans le paysage, on avait peut-être fini par penser qu’il était immortel. Il est décédé à 100 ans. Enfant, j’entendais son nom dans les discussions de mon père et ses amis. Je n’y comprenais rien. Mais j’avais retenu le nom.

C’est plus tard quand, adolescent, je suis devenu un amoureux de la radio que j’ai commencé à comprendre pourquoi son nom revenait si souvent dans les discussions des adultes autour de moi, enfant du Zaïre.

Ancien conseiller à la sécurité intérieure et ancien secrétaire d’État sous deux présidents américains, Henry Kissinger a marqué durablement la diplomatie américaine. A tort ou à raison, on lui attribue de nombreux coups fourrés de l’Oncle Sam.

C’est Gérard Araud, ancien ambassadeur français aux États-Unis, qui a peut-être le mieux résumé la vie de l’ancien diplomate américain.

Realpolitik

«Henry Kissinger vient de mourir à l’âge de cent ans. Controversé mais un personnage central pour comprendre un moment clé des relations internationales et pour réfléchir à leur logique», a-t-il écrit sur Twitter.

M. Araud lui a consacré un excellent ouvrage, «Henry Kissinger, le diplomate du siècle».

Mais c’est un autre diplomate français qui m’a permis d’en savoir davantage sur l’ancien secrétaire d’Etat américain.

Dans son «Dictionnaire amoureux de la géopolitique», Hubert Védrine lui consacre une entrée.

«Son héritage est difficile à mesurer à une époque où les opinions imposent de plus en plus leurs exigences immédiates aux gouvernements démocratiques, ce qui rend presque impossible pour eux de mener une politique étrangère réaliste et rationnelle dans la durée», écrit l’ancien chef de la diplomatie française au sujet d’Henry Kissinger.

Kissinger défendait la realpolitik. Certains appellent cela du cynisme. Les mêmes qui trouvent Machiavel immoral. Ils se trompent. Ni Machiavel ni Kissinger n’avaient besoin de prêcher la morale. Ce n’était pas leur sujet.

Et vous serez bien mal inspiré si vous attendez d’un diplomate, d’un politique ou d’un théoricien de la question politique de la morale. C’est le rôle de vos parents et de votre directeur de conscience.

Henry Kissinger n’était pas qu’un bon diplomate. Il était également un théoricien. Il définissait la realpolitik comme «la politique étrangère fondée sur l’estimation des rapports de force et l’intérêt national».

Comme l’écrit France Info sur son site Internet, «l\’objectif de la Realpolitik, c\’est l’efficacité». C’est ce que nous attendons des dirigeants politiques. Pas qu’ils nous fassent des sermons sur le bien et le mal comme des prédicateurs égarés dans un monde qu’ils ne connaissent pas.

«Serrer la main du diable»

On attribue à l’ancien président Mobutu la formule : «Si je dois serrer la main du diable pour préserver l’unité de mon pays, je le ferai».

J’ignore s’il a vraiment tenu ces propos mais la formule a l’avantage de dire précisément ce que c’est qu’être réaliste en politique.

Lorsque les Alliés font alliance avec Staline pour vaincre Hitler, il savait qu’il serrait la main du diable. Mais c’était la condition pour vaincre le dirigeant allemand.

De la même façon, comme le mentionne le JDD, quand Henry Kissinger œuvrait au rétablissement des relations avec la Chine communiste dans les années 1970 et qui a abouti à la visite historique du président américain Richard Nixon dans le pays en 1972, l’objectif était alors de prendre en tenaille l’URSS de Brejnev. Il a réussi.

Si la Chine et l’URSS avaient formé un front commun, l’histoire de la Guerre froide aurait été tout autre.

C’est exactement l’erreur qu’ont commis les dirigeants occidentaux actuels.

Hubert Védrine dans son «Dictionnaire amoureux de la géopolitique» :

«Emmanuel Macron n’a pas eu tort de déclarer que la Russie n’avait pas vocation à devenir le partenaire junior de la Chine, et en effet l’Europe doit absolument écarter cette menace…».

C’est raté !

Pris à la gorge par des opinions publiques qui réclament tout (et son contraire) et tout de suite, les dirigeants occidentaux ont perdu le sens de la stratégie et du temps long qu’exige la diplomatie et la défense des intérêts d’un pays.

En fait, la realpolitik n’est pas une invention de Kissinger.

Ce mot est allemand parce que c\’est Bismarck qui a pratiqué cette politique réaliste au moment de la naissance de l\’Allemagne moderne au XIXe siècle. Realpolitik pour unifier les petits royaumes allemands et pour ménager certaines grandes puissances européennes. Donc l\’objectif, c\’était d\’abord l\’intérêt national, écrit encore France Info. 

Talleyrand, Metternich, Bismarck. Des hommes qui avaient le sens de l’histoire et qui ne perdaient jamais de vue les intérêts qu’ils poursuivaient pour leurs nations.

Vous lirez avec intérêt «Vers la guerre» de Graham Allison qui revient en détail sur les stratégies dont Bismarck a usé pour obtenir la réunification de l’Allemagne.

Pour en savoir un peu plus sur le génie de Metternich, vous pouvez lire «L’utilité de la force» du général britannique Rupert Antony Smith.

J’y ai aussi appris cette phrase de Bismarck prononcée devant la chambre des députés :

«Les grandes questions d’aujourd’hui ne peuvent pas être résolues par des discours et des votes à la majorité… mais par le sang et l’acier.»

Apprenons à être réalistes !

Vous en avez pris l’habitude en lisant ce blog. Et le Congo (et l’Afrique) dans tout ça ?

De Talleyrand, Metternich, Bismarck, Kissinger, nous avons beaucoup à apprendre. Il faudrait déjà méditer la phrase de Bismarck. Le sang et l’acier.

Ensuite, il faut se mettre à l’esprit que nous n’irons pas bien loin si nous ne sommes pas en mesure de défendre nos intérêts en tant que nation. Et personne ne peut les défendre mieux que nous-mêmes.

Si la défense de ces intérêts nécessite de «serrer la main du diable», il faudra que nous le fassions. Nous, c’est le dirigeant que nous allons élire dans quelques jours. Il aura la légitimité et la mission de pacifier le pays.

L’Est du Congo est depuis trop longtemps meurtri par une violence innommable. Il est temps que cela cesse. Nos dirigeants ont besoin du génie et du courage d’un Bismarck ou d’un Metternich.

Pour reprendre la formule d’Hubert Védrine, le réalisme est une «honnêteté intellectuelle : voir les choses comme elles sont».

«La paix se construit, se maintient par l’équilibre des forces ou par la dissuasion. Classique, Lyautey : ‘’Montrer sa force pour ne pas avoir à s’en servir.’’ […] Puis nucléaire : dissuasion mutuelle. La paix se rétablit par la force, ou par la négociation appuyée par la menace, donc par la force, et un accord politique.»

La force donc pour rétablir la paix. Pas de forums, colloques ou symposiums sur la paix. C’est la deuxième chose que nous devons apprendre.

«L’histoire est une longue suite d’invasions, de colonisations et de dominations des faibles du moment (pour des raisons multiples) par les forts du moment (pour des raisons multiples) pour des motifs et des prétextes changeants», écrit encore Hubert Védrine dans son dictionnaire. Il faut en être conscients.

Pour le moment, nous sommes faibles. Mais pour le moment seulement. Cela peut changer. Ce n’est pas une fatalité.

Cela DOIT changer.

Et pour cela, il ne serait pas inutile de relire Machiavel. Les conseils qu’il donnait à son «Prince» hier sont encore d’actualité.

«Lorsqu’on prévoit le mal de loin, ce qui n’est donné qu’aux hommes doués d’une grande sagacité, on le guérit bientôt ; mais lorsque, par défaut de lumière, on n’a su le voir que lorsqu’il frappe tous les yeux, la cure se trouve impossible.»

Que le Congo devienne donc machiavélien et kissingerien !

Reposez en paix, Henry Kissinger.

Illustration : Henry Kissinger, ancien conseiller à la sécurité nationale et ancien secrétaire d’Etat américain est décédé le 11 novembre 2023. ©Neil Leifer/Sports Illustrated, via Getty Images

4 comments

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Kumande

《Que le Congo devienne donc machiavélien et kissingerien !》
Joël Bofengo

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