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Si les humains étaient des anges…

Si les humains étaient des anges…

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Non. Les humains ne sont pas des anges. Et c’est bien ainsi. Mais même convaincu de ce postulat, il nous arrive de penser, d’agir et de nous projeter dans le futur comme si c’est l’inverse qui est vrai.

Nous, ce sont les Congolais dans notre grande majorité – c’est en tout cas le sentiment qui me traverse à chaque fois que je discute avec des compatriotes. Des discussions qui sont devenues un exercice quotidien pour quelqu’un qui s’est baladé de nombreuses années durant micro, carnet de notes et stylo en main.

«Si les hommes étaient des anges…

Et j’ai envie de dire que c’est à nous que semble s’adresser James Madison dans cette formule qui résume bien toute la question de la gouvernance :

«Si les hommes étaient des anges, il n\’y aurait besoin d\’aucun gouvernement. Si les anges devaient gouverner les hommes, il n\’y aurait besoin d\’aucun contrôle externe ou interne sur le gouvernement.»

James Madison fait partie de ceux qu’on nomme aux Etats-Unis «Pères fondateurs». Mais avant de devenir le quatrième président américain, il a usé de sa plume pour écrire de belles pages de la pensée politique américaine. Il a notamment participé à la rédaction de la série d\’articles en faveur de la ratification de la Constitution américaine connus sous le nom de «Federalist papers». James Madison est un artisan d\’un système d’équilibre entre les pouvoirs. Et c’est comme cela qu’il faut comprendre sa formule.

L’autre jour, sur Twitter, un internaute a partagé une vidéo où on voit deux dames d’un certain âge en venir aux mains, visiblement à la suite d’une querelle sur les eaux de pluie à Kinshasa. Leur avenue s’est transformée en lac artificiel. Et chaque riverain tente d’empêcher l’eau d’entrer dans sa parcelle. Ce qui, évidemment, conduit à une dispute puisque personne ne veut recevoir toute l’eau rejetée par les autres parcelles.

Commentaire de l’internaute qui partage la vidéo :

«On aura tout vécu dans ce pays, les deux vieilles femmes se bagarrent à cause des eaux de pluie qui s\’est [ab]battue hier à Kinshasa ! Patrice Lumumba, venez voir les personnes pour lesquelles vous avez été assassiné !».

Nous allons laisser Patrice Lumumba tranquille. Il a fait sa part. Il nous revient de faire la nôtre.

Le samedi soir, de retour de la messe, mon épouse, nos enfants et moi-même sommes restés longtemps enfermés dans le véhicule, faute de voies de circulation en bon état. Sur la chaussée principale qui conduit vers notre domicile, l’eau atteignait à certains endroits près d’un mètre. Et pendant que le conducteur se triturait les méninges pour nous conduire à la maison en passant par les rares ruelles non inondées, je repensais à la vidéo vue sur Twitter.

Ces deux situations sont l’expression d’un manque sérieux de gouvernance dans le pays.

Tous les Kinois le savent désormais, quand il pleut, il vaut mieux faire preuve de sagesse avant de circuler sur les avenues de la ville. Beaucoup d’entre elles se retrouvent littéralement sous les eaux. Et même le Boulevard du 30 juin est, par endroits, impraticable même pour les 4×4.

Ce n’est pas le fait d’un hasard. Ni d’une malédiction. Ni d’une divinité qui serait fâchée contre notre pays.

C’est une affaire humaine qui doit être résolue par les humains. Et parce que les humains ne sont pas des anges, il leur faut un gouvernement. C’est-à-dire des institutions capables de prendre des décisions et de s’assurer de leur exécution pour protéger l’ensemble des citoyens et leurs biens.

Pour quoi faire ?

Pour veiller à ce que la ville de Kinshasa qui est passée en soixante ans de 500 000 à 15 millions d’habitants dispose d’infrastructures d’évacuation d’eau et de traitement des déchets.

Pour veiller à l’aménagement d’un territoire où la démographie galopante oblige à penser sans cesse de nouvelles manières de vivre, de se déplacer, de travailler et de consommer.

Pour interpeller et faire condamner les personnes qui construisent sur des égouts et des voies d’évacuation d’eau.

Dans «Divin marché», le philosophe Dany-Robert Dufour a cette formule pour expliquer la nécessité d’un gouvernement pour que l’anarchie ne règne pas dans la cité :

«Pour qu’aucun ne soit soumis à l’autre, il faut et il suffit que tous le soient aux lois.»

Et c’est cela l’utilité de l’Etat, détenteur de la violence légitime. Obliger chaque citoyen à respecter les lois du pays. Un État qui n’est pas capable de le faire n’a plus de raison d’être.

En janvier dernier, l’Agence congolaise de presse publiait un entretien du responsable de l’Office des voiries et drainage.

Victor Tumba citait notamment les constructions anarchiques parmi les raisons des inondations répétitives dans la ville de Kinshasa.

Les humains ne sont pas des anges. C’est pour cette raison qu’il faut des mécanismes de contrôle, de surveillance et, éventuellement, de sanction pour que les citoyens se sentent contraints de ne pas faire tout et n’importe quoi. C’est pour cette raison qu’il faut une gouvernance.

«Si les anges devaient gouverner les hommes…

Mais ça n’est pas tout. James Madison, je l’ai écrit plus haut, est un artisan de l’équilibre de pouvoirs. S’il estime nécessaire qu’un gouvernement veille à ce que les citoyens se comportent comme les lois légalement et légitimement votées le permettent, il n’oublie pas de mettre en garde les citoyens contre les dérives d’un gouvernement.

Parce qu’un gouvernement est fait d’hommes et de femmes, il doit être contrôlé. Et, éventuellement, sanctionner.

C’est l’autre malentendu de la société congolaise.

Trop souvent, il apparaît aux citoyens que le seul acte dont ils sont censés s’assurer de la réalisation est celui du vote pour se sentir dans une démocratie. C’est une erreur.

Édouard Philippe et Gilles Boyer notent dans «Impressions et lignes claires» :

«L’idée que le rôle du citoyen dans le processus démocratique ne se limite pas à la participation électorale le jour du scrutin mais peut aller au-delà, et jusque dans la conception des politiques publiques, n’est ni vaine ni accessoire. Elle renvoie à une forme de civisme de chaque instant qui nous paraît féconde.»

Dans une République normale, dans une démocratie adulte, l’acte de vote n’est ni une cession ni une vente du pays à un groupe d’illuminés qui en feraient ce qu’ils veulent pendant un temps donné.

Les citoyens doivent s’assurer que ceux à qui ils ont remis un mandat font bien ce pour quoi ils ont reçu mandat. Si ceux-ci se montrent incapables de gérer leurs villes, les finances publiques ou d’entreprendre de grands travaux d’infrastructures nécessaires à leur prospérité, les citoyens doivent le leur faire savoir.

Dans un autre billet publié sur ce même blog, je faisais remarquer l’année dernière qu’un responsable politique est au service de ses concitoyens. Ses choix doivent être questionnés. Son action analysée. Et ses décisions contestées, quand il le faut. Le responsable politique n’est pas un petit dieu dont les caprices doivent être pris pour la manifestation d’une volonté politique. Il ne dispose pas non plus d’une science infuse qui l’immuniserait contre les critiques des citoyens.

C’est le sens de la deuxième partie de la formule de James Madison.

Pour qu’une République fonctionne correctement, il faut que les deux parties de cette formule soient exploitées correctement par les citoyens et leurs dirigeants.

Si tel n’est pas le cas, c’est la tyrannie des puissants et de l’arbitraire qui l’emporte.

Le pays se retrouve privé d’infrastructures dignes, d’écoles publiques convenables, d’hôpitaux équipés, d’enseignants formés et correctement rémunérés, etc.

Un pays agonisant dont les citoyens pensent n’avoir que la protestation sonore comme seul recours.

Mais comme nous le faisait remarquer très justement Xavier Alberti :

«Il ne va plus suffire de tweeter, de lever les yeux au ciel ou d’espérer silencieusement au milieu du fracas d’un monde qui s’écroule autour de nous, que le salut vienne d’ailleurs, d’en haut ou d’en bas, de gauche ou de droite, du Nord ou du Sud. Le salut ne peut venir que de l’intérieur, que de la force et de la décision d’agir.»

Les routes ne se réparent pas tout seules.

Les déchets ne s’évacuent pas tout seuls.

Les ponts ne se jettent pas tout seuls.

Que l’on fasse partie d’un groupe de pression, d’un parti politique ou que l’on choisisse d’utiliser son travail pour vivre le changement que l’on souhaite pour son pays, l’important est d’agir pour le bien de tous.

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