Seule l’action nous sauvera…
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À la messe du samedi soir, le père Alain Nzadi a commencé son homélie – ce qui est assez rare chez lui – par ce qu’on appelle aujourd’hui un punchline : «Croire, c’est faire».
L’évangile du 21e dimanche du Temps ordinaire était tiré du treizième chapitre de l’évangile de Saint Luc :
« Quelqu’un lui demanda : ‘’Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ?’’ Jésus leur dit : ‘’Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car, je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas’’.
Lorsque le maître de maison se sera levé pour fermer la porte, si vous, du dehors, vous vous mettez à frapper à la porte, en disant : “Seigneur, ouvre-nous”, il vous répondra : “Je ne sais pas d’où vous êtes.’’ Alors vous vous mettrez à dire : “Nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places.”
Il vous répondra : “Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’iniquité”. »
J’aime beaucoup cet extrait de l’évangile de Saint Luc. Et la phrase du Père Alain le résume bien, en répondant à la question : que veut dire «croire» ?
Si j’évoque l’évangile de dimanche et l’excellent homélie du Père Alain, c’est moins pour le commenter – je le ferai beaucoup moins bien que lui – que pour pointer une faiblesse que nous semblons entretenir depuis que le Congo a accédé à l’indépendance.
«Le mal zaïrois»
Le vocabulaire religieux est très présent dans la parole publique au pays de Lumumba et Mobutu. Je ne porte pas de jugement là-dessus. Chacun est bien sûr libre de choisir les mots qui lui conviennent pour convaincre, séduire ou partager ses convictions. Mais les mots ont un sens. Entendre des responsables politiques dire matin, midi et soir qu’ils «croient» en un «Congo meilleur» ne peut que susciter un certain trouble dans mon chef.
Je viens de terminer la lecture de «Guérir le Congo du mal zaïrois», l’ouvrage publié par le professeur Mukoko Samba en 2021 aux éditions Academia.
Ce livre est, de mon point de vue, l’exercice le plus abouti d’explication des problèmes économiques du pays, en analysant nos structures et institutions politiques.
Mukoko Samba ne commence pas son analyse à l’indépendance. Il remonte plus loin, revenant sur les prémisses de l’insertion de l’économie congolaise dans l’économie mondiale, au début du XXe siècle.
L’économiste va plus loin encore et tente une vraie analyse des problèmes pour lesquels nous avons souvent une explication facile. Il nous arrive tous de pointer un État prédateur au Congo. Mais sans nous demander, pourquoi cette prédation perdure alors que les générations se succèdent et que le personnel politique change.
Au cœur du livre du professeur Mukoko Samba, un constat sans appel : NOUS N’AGISSONS PAS.
Les Congolais qui n’ont que le nom de Dieu à la bouche ressemblent beaucoup à ceux à qui le Seigneur a répondu dans l’évangile : «Je ne sais pas d’où vous êtes» alors qu’ils s’évertuent à hurler : «Nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places».
L’expression «mal zaïrois» que j’entends depuis ma tendre enfance se résume par la négation de l’action qui caractérise l’élite dirigeante au Congo depuis l’indépendance du pays en 1960.
Mukoko Samba rappelle une séquence que j’ignorais totalement et qui, pour moi, résume finalement toute notre histoire nationale.
«Tirant les leçons de son premier mandat après les élections de 2006, mandant au cours duquel il avait annoncé sa volonté d’accélérer les progrès dans cinq chantiers principaux, raconte l’économiste, le président Kabila s’était tourné vers les pays d’Asie pour une assistance à l’élaboration d’un plan de développement à plus ou moins long terme. […] Une importante mission gouvernementale congolaise visita la Corée du Sud dès 2011 pour lancer les préparatifs de l’élaboration d’un cadre et d’une stratégie de développement national pour le Congo. Concomitamment à cette initiative, d’autres collaborateurs du président Kabila avaient obtenu de celui-ci la commande d’un Plan directeur de développement socio-économique du Congo 2011-2050 auprès de l’Institut de la Banque Chinoise de développement. Les deux initiatives ont produit deux documents qui furent remis à leurs commanditaires fin 2011. Les deux documents ne donnèrent toutefois lieu à aucun débat dans le circuit gouvernemental. Aucun des deux ne fut formellement adopté.»
Comme Victor Hugo, on est en droit de s’exclamer :
«A quoi bon tant d’ardeur et tant d’emportement,
Pour arriver si vite à tant d’abattement !»
Le livre du professeur Mukoko Samba est rempli d’exemples similaires. Et si vous êtes du genre à regretter le passé sans jamais l’interroger, vous en prendrez pour votre grade.
Vous souvenez-vous du «plan Mobutu» ?
Il a été lancé en grande pompe et approuvé par le Groupe consultatif de la Banque mondiale en mai 1980.
Dans le volet «Transport», ce plan prévoyait d’importants investissements notamment dans les routes, les voies navigables, les transports fluviaux et maritimes, les chemins de fer, les transports urbains. Il était notamment prévu la construction de la route Kisangani-Bukavu.
De ce plan dont les Congolais ont entendu parler matin, midi et soir, on peine à voir le début du commencement d’une quelconque matérialisation. C’était pourtant il y a 45 ans.
«Le récapitulatif de ces initiatives de planification stratégique du développement donne lieu à plusieurs interrogations. Pourquoi l’exercice de planification s’est-il toujours soldé par la production d’un plan-document sans aucune exécution ? Comment expliquer qu’une élite dirigeante se complaise à aligner des promesses et des vœux sans qu’elle soit capable de coordonner les politiques publiques qui transforment ces vœux en réalités?», s’interroge le professeur Mukoko Samba.
La parole facile
Si comme le pense le Père Alain, croire, c’est faire, ce que les Congolais ne croient collectivement à rien.
En revanche, ce qui nous caractérise en permanence, c’est cette obsession de la parole facile. Nous sommes dans un pays où tout le monde a solution à tout…jusqu’au moment de faire. Et arrivé à ce moment-là, personne ne répond présent.
Le 25 novembre 1977, le président Mobutu prononce une allocution lors du deuxième congrès ordinaire du MPR, institué Parti-Etat au Zaïre :
«Pour tout dire, tout se vend et s’achète dans notre pays. […] Ainsi, le droit d’être reçu en audience, une place dans l’avion, une licence d’importation, sont assujettis à [un] impôt invisible et pourtant connu de tout le monde. […] L’État est considéré par plusieurs cadres comme un instrument d’enrichissement individuel, et le peuple, en partie découragé et en partie complice, a cessé d’exercer son droit de contrôle sur ses gouvernants lorsque, à travers des liens particuliers de famille ou d’amitié, il encourage les vols des deniers et des biens publics, ses propres biens.»
En un certain sens, le président Mobutu est la métaphore d’un pays qu’il a tellement voulu incarner qu’il lui a laissé tous ses vices. L’éditorialiste qu’il était jusqu’à la veille de l’indépendance avait la critique facile. Nous le sommes tous devenus.
Le Congo est le pays où on lit dans la presse que tel dirigeant «condamne», «déplore», «dénonce», «fustige». Pourtant, s’il est bien une spécificité qui devrait caractériser tout détenteur de pouvoir, c’est l’action. Pas la parole bavarde.
Dans un excellent billet de blog, Xavier Alberti faisait remarquer que nous sommes tous devenus des ultracrépidarianistes. Des gens qui ont une opinion sur tout même lorsque nous ne savons rien. Je suis même tenté d’écrire, surtout si nous ne savons rien. Ce mot pas facile à prononcer nous vient de loin. Au 4ème siècle avant Jésus Christ, relate M. Alberti, l’écrivain et naturaliste romain Pline l’Ancien raconte qu’un jour, un cordonnier critiqua la façon dont le célèbre Apelle de Cos avait peint une sandale. Le peintre rectifia donc son dessin. Encouragé, le cordonnier fit de nouvelles critiques sur le reste de l’œuvre en question, si bien qu’Apelle de Cos lui lança la formule «Ne supra crepidam sutor iudicaret» que l’on pourrait traduire par « Que le cordonnier ne juge pas au-delà de la sandale ».
«Le fait est qu’il y a dans la sentence d’Apelle de Cos une clé de lecture qui nous appelle non seulement à ne parler que de ce que l’on connait mais également à ne parler que de ce que l’on sait faire, qu’il s’agisse de sandales, de médecine ou de maraîchage…», explique Xavier Alberti.
Tant qu’on n’a pas fait, on ne sait pas. Tout le reste est illusoire.
«C’est par l’action que se bâtit l’autorité qui fonde la légitimité, c’est par le travail, par le passage au tamis de nos certitudes, par la lente et laborieuse mise à l’épreuve de la parole facile, que nous pouvons transformer les opinions en connaissance.»
Si les citoyens se détournent autant des responsables politiques, c’est parce qu’ils ont compris que ceux-ci sont dépourvus de la légitimité qui fonde l’action publique.
Au cours des cinquante dernières années, AUCUNE politique publique conçue et mise en œuvre sur le long terme par des dirigeants congolais n’a donné de résultats : urbanisme, habitat, infrastructures, école. Tous les plans, programmes et projets lancés en grande pompe ont fini dans des tiroirs de l’administration publique sans qu’aucun Congolais n’ait noté la moindre incidence sur sa vie quotidienne.
Le temps serait peut-être venu de suivre le conseil du Père Alain, «croire, c’est faire».
Nous confondons trop souvent le savoir technique et la connaissance pratique. Nos universités et instituts supérieurs produisent des jeunes, pleins de dynamisme mais qui ont le défaut de n’avoir rien de plus qu’un français approximatif à la bouche. Rien pour transformer les multiples problèmes du Congo en opportunités. Rien pour donner au pays un souffle. Personne ne s’est évertué à le leur apprendre. L’école étant devenue un distributeur automatique de diplômes.
Chaque année, le marché de l’emploi se remplit ainsi des journalistes incapables de raconter l’actualité, des médecins incapables de soigner, des ingénieurs incapables de créer, des enseignants incapables de transmettre, des avocats incapables de plaider, des magistrats incapables d’instruire.
Parallèlement, des églises grossissent dans les mêmes proportions à travers le pays. On y parle de foi, de prospérité, de voyage, de fécondité. Pourtant, la seule fécondité d’une nation réside dans la capacité de travail et d’imagination de ses citoyens. Pour l’heure, au Congo, le compte n’y est pas.
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