Salamati
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Devant Kepa, Makasu reste interdit plusieurs minutes. La jeune femme, verre de vin à la main et cigarette au coin de la bouche, ne ressemble pas beaucoup à son amie. Le visage est certes le même. Mais le visage ne fait pas tout.
Cette poitrine généreuse qui s’offre à sa vue dans un décolleté profond, Makasu ne l’a jamais remarquée. Quand elle se lève pour embrasser son ami, Kepa dévoile une belle croupe que l’enseignant n’avait jamais soupçonné si rebondie. Et même les jolies cuisses fermes et sensuelles qui dépassent la petite robe sont une découverte pour lui.
-Hé ! Une mouche va entrer dans ta bouche.
Makasu sursaute.
-Salut !
-Ça va ?
Le jeune enseignant bafouille quelque chose que Kepa ne comprend pas. Peu importe.
-Tu comprends pourquoi je préfère la nuit au jour.
-Pourquoi ?
-Parce que la nuit, je fais l’effet que je suis en train de te faire maintenant. La journée, dans ma tenue d’agente d’entretien, je suis une pauvre fille qui nettoie les ordures des autres. Je vide les poubelles. Je nettoie les toilettes. Je balaie. Ça me rebute. Mais je le fais. Quand toi et tes collègues me regardez, vous voyez une petite chose qui, à souhait, peut répondre à vos désirs libidineux d’éternels insatisfaits. Mais quand la nuit tombe, c’est moi la Reine.
Makasu était resté debout pendant que Kepa parlait. Suspendu aux lèvres de la jeune femme, il n’avait même pas remarqué la présence de la serveuse venue prendre sa commande.
-Apportez-lui une bouteille de Nkoy, ma chérie, intervient Kepa.
Makasu s’assoit finalement.
-Je peux te présenter ma carte d’identité si tu n’es toujours pas convaincu qu’il s’agit bien de moi.
-Pas besoin. C’est bien toi. Je sais. C’est juste que…
-Quoi ? Tu ne m’as jamais vu aussi belle ? C’est normal.
-Qu’est-ce qui est normal ?
De son 1,80 mètres, Kepa peut voir la petite calvitie naissante sur la tête de Makasu.
-On trinque ?
-A quoi ?
-A la beauté de la nuit !
-Ce n’est pas la nuit qui est belle. C’est toi.
-Merci, monsieur le dragueur. Mais il faudrait faire plus. Belle, je sais que je le suis. Il n’y a que toi qui ne l’avais pas encore remarqué. Remercie la nuit de te l’avoir révélé.
Kepa se lève aussitôt et s’avance vers un homme trapu qui avait fait son entrée au Bar Kokodioko, dans les bras d’une autre femme.
-Ça va mon chéri ?
-Hé Salamati ! Tu te fais rare ces derniers temps.
-C’est pour ça que tu es dans les bras d’une autre ? Ne réponds pas. Je ne suis pas jalouse. Tu le sais bien. Bonsoir mademoiselle.
La jeune femme aux cotés de l’homme trapu répond, un peu gênée, par un signe de la tête.
-Viens, je te présente mon ami Makasu.
-Makasu, voici Shah.
-Le Shah, intervient le nouveau venu.
-Avec SH.
-Et un H à la place du T, à la fin.
Kepa et cet homme qui, visiblement, lui était très proche éclatent de rire.
-Allez, amuse-toi bien.
-Si tu vois ma femme en train de rôder aux environs, alerte-moi.
-Ne compte pas sur moi. Je vais même lui indiquer où elle va te trouver précisément.
Makasu ne s’était pas levé pour saluer l’ami le Kepa. Comme perdu dans ses pensées, il cherche à trouver un sens à tout ce qu’il voit. Beaucoup de questions se bousculent dans sa tête, en même temps. Même s’il est coureur, l’enseignant ne connaît pas le monde de la nuit. Kepa semble en maîtriser les codes et les usages.
-Salamati, c’est mon nom de la nuit. Si tu parles de Kepa ici, personne ne saura de qui il est question. Ici, personne ne sait que je suis agente d’entretien dans une école. Comme à l’école, personne ne sait que je suis une Reine de la nuit. Quand il est 22h et que j’ai couché mon fils, je me prépare pour entrer en scène. La nuit, c’est ma scène. Je suis la bombe devant qui tu es resté bouche bée tout à l’heure. Je suis Salamati. Une femme libre.
«LIBRE», insiste Kepa en soulignant chaque syllabe. Personne n’a de prise sur moi. Ni sur mon corps dont je fais ce que je veux. Ici, pas de sœur préfète. Pas d’enseignant trop collant. Pas d’horaire imposé, en dehors de celui que je m’impose à moi-même.
-Tu es une prostituée ?
-Je sais que la question te brûle les lèvres depuis tout à l’heure. Je l’attendais. Mais je vais te répondre une autres fois. Finis ton verre. On va faire un tour.
-Faire un tour ? Tu as vu l’heure ?
-Il est 23h30. La nuit vient à peine de commencer. On a tout notre temps.
-J’ai cours demain à la première heure.
-Et moi, je dois soulever des poubelles, balayer la cour de l’école et nettoyer dix bureaux.
-Ok. Ok. On va où ?
-A Ngwasuma, sur Huileries. J’ai envie de danser. Ici, le Dj s’est absenté. J’aurais bien voulu te faire découvrir ma passion pour le Jazz.
D’un geste de la main, Kepa fait signe à la serveuse qui lui apporte l’addition qu’elle règle aussitôt avec sa carte bancaire.
Dès que les deux amis franchissent la porte de sortie du bar, un taxi, de l’autre côté de la rue, démarre et s’approche du couple.
-Bonsoir mère.
-Bonsoir Patsho. Ngwasuma, lance Kepa avant de s’engouffrer dans la petite Toyota grise que les Kinois surnomment ketch.
-A Ngwasuma, on ne joue pas du jazz, fait remarquer Makasu alors que le taxi s’éloigne du Bar Kokodioko.
-Je sais. Ce sera pour une autre fois… Aujourd’hui, on va se contenter du Ndombolo.
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