Respectons le sport féminin !
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Le journaliste congolais Pascal Mulegwa a partagé dimanche deux vidéos qui viennent, si besoin en était, confirmer l’idée que le sport féminin ne suscite que peu d’intérêt en République démocratique du Congo. Intérêt auprès des dirigeants sportifs (et politiques), j’entends.
Sur la première vidéo, on voit des jeunes femmes entassées dans ce qui ressemble à une chambre d’hôtel. Certaines allongées sur des matelas. D’autres assises par terre ou sur les quelques chaises visibles dans la pièce.
Dans la deuxième vidéo, on voit les mêmes jeunes femmes, visiblement sur le toit d’un immeuble, en train de crier leur colère au sujet des primes des matches qu’elles ont livrés.
«Trouvez-nous une solution. Nous sommes ici. Nous réclamons notre prime. Si elle n’est pas payée, nous ne partirons pas d’ici», déclare la première qui prend la parole.
«Trop, c’est trop»
La plus volubile du groupe prend la parole en troisième position. Elle doit être gardienne de but. Sa tenue est différente de celle des autres :
«Nous n’avons aucun avantage. Ce sont nos parents qui prennent en charge certaines dépenses. On nous a dit : ‘’Vos parents peuvent vous aider à avoir des passeports. Quand vous aurez votre argent [de prime, j’imagine], vous allez leur rembourser cet argent puisque vous aurez suffisamment d’argent’’. Le passeport m’a coûté 300 dollars [américains]. On nous a finalement donné 100 dollars. Où vais-je trouver les 200 dollars qui manquent ?»
La vidéo se termine alors que les jeunes femmes lancent pêlemêle : «Trop, c’est trop», «On est fatiguées», «Tout ceci n’est pas correct».
On croit rêver. Mais non ! C’est la réalité du sport au Congo.
Sur leur compte Twitter, nos confrères de «Sport News Africa» ont repris la première vidéo accompagnée de cette explication :
«L’équipe féminine U20 de la RD Congo déplore les conditions d’hébergement et réclame aussi 1250 dollars de primes, là où la FECOFA [fédération congolaise de football, NDLA] leur propose seulement 100 dollars».
Vous avez bien lu : 100 dollars américains de primes pour des joueuses qui ont livré des matches des éliminatoires d’une Coupe du monde. Quatre matches au total, si j’en crois l’une des joueuses qui s’exprime sur la deuxième vidéo partagée par M. Mulegwa.
Pour ceux qui suivent l’actualité du sport féminin au Congo, le «trop, c’est trop» entendu dans la seconde vidéo resonne autrement.
En septembre 2021, l’ancien international congolais Herita Ilunga qui est notamment passé par Saint Etienne en France et West Ham en Angleterre avait publié sur le même réseau social une vidéo où on voyait la même sélection féminine des moins de 20 ans qui s’entraînait dans une rue de Kinshasa où on voyait passer des véhicules de transport en commun. Les obligeant d’interrompre les échanges de ballon pour laisser passer les véhicules.
Fermez les yeux. Et reconstituez cette scène dans votre esprit.
«Trop, c’est trop».
Les sportives, ses héroïnes si mal traitées…
Ces jeunes dames ont raison. Pourquoi manquer à ce point du respect à des personnes qui, moyennant une poignée de pain et de cacahuètes, font de leur mieux pour que l’on parle en bien d’un pays qui ne fait généralement la Une des journaux internationaux que lorsqu’on parle de guerre, de famine ou de scandale de corruption. Pourquoi ?
Les personnes qui me connaissent en privé savent à quel point je suis un passionné de sport. En dehors de deux ou trois disciplines, je m’intéresse à tous les sports.
Et j’ai surtout beaucoup de respect pour les sportifs de haut niveau. Moi-même, je ne l’ai jamais été. Mais le basket et le foot que j’ai pratiqués au collège ont imprimé dans mon esprit le plus profond respect pour ces personnes qui s’astreignent à une discipline dont peu d’humains sont capables afin de remporter des victoires qui font la fierté des nations entières.
Je ne le dis pas souvent mais mon sportif préféré est en fait une sportive : Romane Dicko, judokate française, actuelle championne du monde des plus de 78 kg et médaillée de bronze aux Jeux olympiques de Tokyo. Elle suit actuellement une licence de mathématiques à Sorbonne Université et veut devenir ingénieure en aéronautique. Respect !
Mon athlète préféré de tous les temps est également une dame : Serena Williams. Son aura dépasse désormais le seul cadre du sport. Double respect !
Je pourrais passer des heures à vous parler de Naomi Osaka (tenniswoman), Iga Świątek (tenniswoman), Wendie Renard (footballeuse), Asisat Oshoala (footballeuse), A’ja Wilson (basketteuse), Sandrine Gruda (basketteuse), Estelle Mossely (boxeuse), Coco Gauff (tenniswoman) et Ons Jabeur (tenniswoman). Il y en a beaucoup d’autres.
Je suis fasciné par le sérieux et l’acharnement dont elles font preuve pour émerger dans un domaine dont elles ont été exclues pendant longtemps.
Quand je grandissais, on achetait des ballons de foot pour les garçons et les poupées pour les filles. Pour caricatural qu’elle soit, cette vision du monde a façonné des façons de faire et des habitudes dont nous avons du mal à nous défaire.
Les sportives gagnent beaucoup moins d’argent que les sportifs.
«La Fifa a octroyé une prime de plus de 32 millions d\’euros à la France lors de son succès planétaire en 2018 chez les hommes, alors que seulement 3,4 millions d\’euros ont été versés aux Américaines lors de leur titre mondial de 2019», lit-on sur le site Internet de RTL.
Se défaire de la «pensée magique»
Aux États-Unis, pays qui, à ma connaissance (mais n’hésitez à me contredire), investit le plus dans le sport féminin, la question des rémunérations des sportives revient souvent à la Une de l’actualité. Leurs sélections nationales de basket et de soccer (comme on dit là-bas) se retrouvent régulièrement sur le toit du monde. Mais ce n’est qu’en 2022 que la fédération «s\’est engagée à verser un salaire à taux égal à partir de maintenant pour les équipes nationales féminine et masculine lors de tous les matches amicaux et tournois, y compris la Coupe du Monde».
Ce n’est pas juste.
Si demain R et E m’annoncent qu’elles souhaitent devenir des sportives professionnelles, je les encouragerai. Je transporterai leurs sacs de sport. Je les accompagnerai à leur entraînement. Je leur rappellerai les horaires de sommeil et d’entraînement.
Avez-vous déjà regardé «La méthode Williams» ? Will Smith y joue le rôle du père de Serena et Venus Williams. La fiction est tirée d’une histoire vraie. Celle des sœurs Williams élevées par un père qui en a fait des championnes.
A la fin du film, on comprend que la réussite dans le sport est tout sauf un hasard. Devenir un champion exige un investissement et un acharnement de tous les instants.
Loin de la «pensée magique» qui nous caractérise au Congo. L’idée que l’on peut avoir des résultats parce que «Dieu le veut». Non. Dieu n’a rien à vouloir là-bas.
Si le Maroc obtient des résultats extraordinaires dans le foot aujourd’hui, c’est parce que le pays a beaucoup investi. Vous lirez avec intérêt cet article du «Parisien» : «argent, infrastructures, formation… le succès du Maroc ne doit rien au hasard».
Tout le contraire de ce qui se passe au Congo.
Comment raisonnablement payer 100 dollars américains de primes à des joueuses qui disputent des éliminatoires d’une Coupe du monde ?
Comment espérer avoir des résultats si les joueuses n’ont pas de centre d’entraînement digne ?
Comment leur exiger des résultats si la seule chose qui intéresse nos dirigeants, c’est d’aller danser dans des vestiaires, célébrant des victoires pour lesquelles ils n’ont jamais rien investi de durable ?
Le sport est un formidable espace d’émancipation personnelle et collective. Ne l’oublions pas. Aujourd’hui, on aime parler de «soft power». Soit.
Pour moi, le sport c’est surtout une belle aventure personnelle et collective. Il te pousse à aller chercher au plus profond de toi-même ce qu’il y a de meilleur. Il t’apprend que la défaite n’est jamais définitive. Que tomber fait partie du parcours du champion. Qu’à force de travail et d’acharnement, on finit par triompher de l’adversité. Que la «pensée magique» ne conduit à rien sinon à la défaite. Et surtout qu\’il «n\’y a pas de rêve interdit».
Respectons le sport ! Respectons le sport féminin !
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