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Résister à la tentation de la radicalité

Résister à la tentation de la radicalité

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Il y a une semaine exactement, les députés français élisaient le président du bureau de l’Assemblée nationale. Yaël Braun-Pivet a été élue au troisième tour du scrutin. Pour cet exercice, il existe un cérémonial. Les députés les plus jeunes qui assistent l’élu le plus âgé dans ce qu’on appelle le «bureau d’âge» jouent le rôle de secrétaires. A tour de rôle, ils se positionnent près de l’urne où chaque député dépose son bulletin. Et comme le veut la tradition dans cette assemblée, ils serrent la main de leurs collègues lorsque ceux-ci viennent glisser leur bulletin. Mais ce 18 juillet-là, plusieurs députés ont refusé de serrer la main de Flavien Termet, 22 ans. La raison ? Il est un élu du Rassemblement national.

«Mes valeurs»

Pami les députés qui ont refusé de serrer la main du benjamin de l’Assemblée nationale française, il y a Sandrine Rousseau, députée du Nouveau front populaire de gauche. Elle s’est expliquée sur son compte Twitter :  

«Je ne serre pas la main du RN [Rassemblement national] au nom de la lutte contre le racisme, le sexisme, […], au nom de notre République, simplement.»

Sur la chaîne de télé France Info, elle ajoute : «Personne ne peut m’obliger à serrer la main du Rassemblement national».

Mais la députée avait gardé le meilleur pour la fin. Le lendemain du vote, elle se fend de ce tweet :

«La démocratie n’est pas une question de politesse mais d’idées, de valeurs, de combats.»

Je me méfie beaucoup de la parole des politiques surtout lorsqu’elle puise dans un langage abstrait qui ne recouvre rien de précis, de pertinent ou de tangible.

Au détour d’une phrase, Sandrine Rousseau a donc opposé politesse et valeurs. Je dois avouer que c’est la première fois de ma vie que j’entende un adulte dire que la politesse n’est pas une valeur.

Si j’essaie de résumer ce qu’elle et certains de ses amis de gauche ont soutenu, je dirai que l’opposition à des idées ou à des «valeurs» de ses adversaires permet toutes les incivilités. Car, refuser de serrer la main de son collègue relève de l’incivilité. Rien dans la démocratie ne l’autorise. Et invoquer ses «valeurs» n’y fait rien.

Soutenir que dans une République, il y a des valeurs, c’est d’abord reconnaître l’existence d’un socle commun autour duquel tous les citoyens se reconnaissent. La civilité en est un. Dire «bonjour». S’excuser quand on bouscule involontairement quelqu’un dans la rue. Assortir une demande de service par un «s’il vous plaît» (et pas par un «merci de…» comme toutes ces femmes et tous ces hommes mal élevés qui inondent désormais nos messageries professionnelles avec des mails écrits dans des langues difficiles à identifier).

Sandrine Rousseau a tort. La politesse a tout à voir avec la démocratie et les valeurs républicaines.

Le respect et la République  

Dans un autre billet, je vous rappelais cette phrase d’Aristote :

«L’objet principal de la politique en effet paraît être de créer l’affection et l’amitié entre les membres de la cité.»

J’ignore si Sandrine Rousseau a lu Aristote. Mais peut-être devrait-elle se souvenir de Victor Hugo qui l’a précédée sur les bancs de l’Assemblée nationale française. Hugo qui préférait le débat au combat. Hugo qui avait en horreur «cet héroïsme de l’abjection où éclate tout ce que la faiblesse contient de force» et «cette civilisation attaquée par le cynisme et se défendant par la barbarie».

Le refus de la civilité est le commencement de la barbarie. La victoire des pulsions.

Comme l’écrit Dany-Robert Dufour dans «Le Divin Marché» :

«Il est en train de se fabriquer, par la faillite de l’école une génération d’individus manifestant en actes non seulement la fin de la nécessité du contrôle des passions, mais encore et surtout l’exigence absolue de laisser libre cours à l’impétuosité des pulsions.»

Car, ce qu’exprime Sandrine Rousseau en dit beaucoup sur nos sociétés où l’école a cessé d’être ce lieu qui permet à l’être humain, «avant son entrée dans le monde du travail et du marché, de maîtriser ses passions, de les contrôler».

Dans un très beau texte publié au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, Xavier Alberti rappelait que «dans notre pays, comme dans de nombreuses autres démocraties, les temples, les parlements, les écoles et les tribunaux imposent de se lever pour sertir la parole de la posture qui la sépare du bavardage», avant de plaider pour que nous respections «tout ce qui nous permet d’ériger et consolider ces piliers de nos modèles de société plutôt que de subventionner sans cesse le soi-disant libéralisme émancipateur qui a offert tous les droits à l’individu et retiré tous ses devoirs au citoyen».

La tentation de la radicalité

Au nom de ce «libéralisme émancipateur» que moque Xavier Alberti, nous avons oublié que le respect est au centre de tout projet collectif. De la République comme de la démocratie.

«Respecter ce n’est pas s’aplatir, ce n’est pas se renier, ce n’est pas se trahir; respecter c’est participer à l’édification du mode de vie sur lequel repose notre liberté. Respecter c’est s’élever et élever nos valeurs communes, celles qui nous font peuple, nation, République…», écrit encore Xavier Alberti.

Sandrine Rousseau devrait méditer cette phrase. Et si, pour une raison ou une autre, elle estime que certains de ses compatriotes ne méritent pas de respect, je lui suggère cette interpellation du même Xavier Alberti :

«À force de sacrifier ce que nous avons en partage au nom de ce qui nous sépare, à force de tourner le dos à l’effort collectif pour préférer le confort individuel, à force de délaisser les communs qui réunissent pour préférer les particularismes qui définissent, peut-être avons-nous perdu de vue le combat qu’il nous faudra toujours livrer, celui contre nous-même, contre nos propres faiblesses, nos propres lâchetés et nos propres tentations.»

Lutter contre cette tentation de la radicalité avec laquelle chacun veut désormais, «non plus seulement exprimer, mais imposer ce qu’il est».

Cette radicalité nous menace tous. Sandrine Rousseau, c’est un peu nous tous. Si fiers désormais d’asséner plutôt que d’argumenter. Si heureux de porter la transgression en permanence, comme s’il s’agissait d’une valeur en soi. Si joyeux d’hystériser chaque sujet, jusqu’à l’absurde, jusqu’à la nausée, jusqu’à l’injure, jusqu’à l’incivilité.

Nos sociétés en meurent. Pour le moment, nous faisons semblant de ne pas nous en rendre compte, retranchés derrière nos écrans où nous jouons désormais les vedettes d’un soir ou d’une matinée grâce à l’outrance et à la démesure.

En attendant la catastrophe…

Parce que la catastrophe arrivera si l’on n’y prend garde.

Si nous ne résistons pas à cette tentation de toujours vouloir imposer nos points de vue plutôt que de tenter de convaincre. De chercher la formule la plus dénigrante, la plus crue et la plus méprisante plutôt que l’argumentation patiente et construite. D’abandonner nos vies et nos décisions aux aléas des algorithmes des géants du numérique. De refuser de vivre pleinement la vie pour lui préférer les interactions virtuelles. De rejeter le silence et la solitude au profit de ce téléphone que l’on sort tout le temps de sa poche pour chercher je-ne-sais-quoi. De vouloir tout commenter tout le temps, sans rien examiner en profondeur, sans jamais reconnaître que l’on peut être ignorant et que le plus souvent, nous sommes ignorants.

Pour nous préserver de la catastrophe d’une société où tout est dans tout et tout est question de ressenti personnel et de confort individuel, nous devons réapprendre la tempérance, la patience et accepter l’ignorance. Non pas l’ignorance dans laquelle nous allons nous complaire par paresse mais plutôt celle qui doit nous pousser constamment à chercher, à interroger, à apprendre, à être humble, à être compréhensif, à être mesuré et prudent.

Mais pour cela, il va falloir déjà commencer à dire bonjour. Même à nos plus farouches adversaires.

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