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Résister

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Le sociologue et philosophe français Edgar Morin a publié hier une tribune dans le journal «Le Monde» où il appelle à la résistance dans un monde qui fait face à «une sorte de polycrise».

Comme souvent dans ses écrits, Edgar Morin est juste dans son analyse d’un monde en proie aux défis climatiques, sécuritaires, économiques pour lesquels nous avons du mal à trouver des réponses claires et cohérentes.

L’humanité a toujours fait face à des défis. Et avec plus ou moins de succès, les humains ont réussi à s’en sortir. C’est peut-être pour cette raison, et ce, malgré des constats plutôt sévères, que le philosophe français ne se résout pas au pessimisme.

Faire confiance à l’humain

«Les tunnels ne sont pas interminables, le probable n’est pas le certain, l’inattendu est toujours possible», conclut ainsi Edgar Morin.

Et comme lui, je pense que tout n’est pas perdu. Nous aurions tort de ne pas faire confiance à l’humain, si souvent imprévisible.

Car, comme l’a énoncé Jean Jaurès dans un fabuleux «Discours à la jeunesse» prononcé à Albi en 1903 devant des élèves :

«Il faut faire un large crédit à la nature humaine ; c’est qu’on se condamne soi-même à ne pas comprendre l’humanité, si on n’a pas le sens de sa grandeur et le pressentiment de ses destinées incomparables. Cette confiance n’est ni sotte, ni aveugle, ni frivole. Elle n’ignore pas les vices, les crimes, les erreurs, les préjugés, les égoïsmes de tout ordre, égoïsme des individus, égoïsmes des castes, égoïsmes des partis, égoïsmes des classes…».

Mais comment faire confiance à l’humain quand il est capable de rendre sa planète inhabitable pour simple souci de confort et d’habitudes. Incapable de se raisonner et de s’instruire face à une nature qui, jour après jour, nous lance des cris de détresse. Que nous refusons d’écouter, attendant la catastrophe dont la survenance incertaine dans le temps nous procure une fausse sérénité immédiate.

Mais comment faire confiance à l’humain quand il est capable de détruire patiemment toutes les institutions qui ont fait la civilisation : Dieu, la famille, l’État et l’école. Rendant ainsi caduques les notions d’autorité, d’ordre et de transmission.

Edgar Morin appelle à la résistance. Il faut résister.

«La première et fondamentale résistance est celle de l’esprit. Elle nécessite de résister à l’intimidation de tout mensonge asséné comme vérité, à la contagion de toute ivresse collective», note-t-il.

Edgar Morin a raison. La première bataille que nous devons livrer est celle de l’esprit. Celle de sa liberté et de la lumière qu’elle suppose.

Derrière nos écrans, symboles de nos vanités et de nos ignorances, nous avons désappris la liberté intellectuelle et répudié sa fille, la pensée critique.

«Le progrès des connaissances, en les multipliant et en les séparant par des barrières disciplinaires, a suscité une régression de la pensée, devenue aveugle», écrit très justement Edgar Morin.

Un temps, nous avons cru, naïfs, que la multiplication des moyens de communication allait fatalement «démocratiser» le savoir et répandre le goût de la connaissance. Il n’en est rien.

Derrière nos téléphones et ordinateurs, nous sommes devenus des fanatiques. N’écoutant plus que des personnes qui pensent comme nous. Insensibles à la contradiction. Refusant de remettre en cause ce que l’on tient pour vrai. Incapables d’accepter les différences pourtant porteuses de progrès et de découvertes. Répétant et ressassant sans cesse des préceptes et concepts entendus ici ou là sans jamais les interroger.

«Tenir bon, tenir tête»

Il faut apprendre à résister. A quoi ?

A la fatalité. Non. Tout n’est pas perdu. Il ne dépend que de chacun de nous de laisser le téléphone portable là où il est et ne pas le toucher tant qu’il n’est pas nécessaire. D’objet, le téléphone est devenu un maître pour qui nous sacrifions tout. A l’église, nous consultons sans cesse cet objet, donnant le sentiment que la personne que nous sommes venus écouter ne faisait désormais plus le poids face aux sollicitations de notre nouveau maître. Sur France Inter, le 7 octobre dernier, Bruno Patino, président de la chaîne franco-allemande ARTE, révélait qu’on touche «son téléphone mobile 600 ou 700 fois par jour, selon les études». Auteur d’un remarquable ouvrage «Submersion» dont je vais bientôt vous parler, il ajoutait que la moitié des habitants du Royaume-Uni passent plus de 11 heures par jour sur leur téléphone. Oui. Vous avez bien lu : 11 heures sur une journée de 24 heures. Et n’allez pas croire que vous êtes meilleurs qu’eux. Vous ne l’êtes pas. Autant de temps devant son téléphone veut dire moins de temps pour lire (calmement), pour discuter (sereinement), pour aimer (passionnément), pour faire du sport (courageusement), pour jardiner (tranquillement).

Résister à quoi ?

A l’air du temps qui a fait de la vitesse une valeur et de l’immédiateté une marque d’efficacité. Savoir prendre son temps pour penser avant de décider, pour réfléchir avant de réagir et pour apprendre afin de savoir, tel devrait être notre credo. Les graines que nous plantons ont besoin de temps pour pousser et devenir des arbres. La nature a un rythme que nous avons de plus en plus de mal à respecter. Tant nous sommes fascinés par la vitesse. Pourtant, «tout ce qui est destiné à durer croit lentement». La compréhension des réalités humaines exige du temps et de la connaissance. Mais le temps, nous n’en avons plus. Nous voulons aller vite. Très vite. Quitte à ne pas savoir où nous allons précisément. La remise en cause de la grammaire, de la nécessite de la littérature dans notre culture et de l’apprentissage de la philosophie est l’un des symptômes de ce mode de vie que nous avons choisi pour nous conformer à l’air du temps. Il en est de même de la remise en cause du silence qui devrait s’imposer dans de nombreux lieux (église, salle de classe, etc.) «pour sertir la parole de la posture qui la sépare du bavardage». Et de la remise en cause de l’autorité, «non pas celle qui fait écho à la violence mais celle qui naît de ce que nous imposent la compétence et la moralité».

Face à la dictature du présent permanent et à l’air du temps, il nous faut résister. Agir en connaissance de cause. Penser par soi-même. Oser être libre. Accepter le débat, la contradiction, la confrontation. S’ouvrir à la découverte, à l’inattendu, à l’inconnu. Prendre son temps. Préférer la robustesse à la vitesse. Accepter les épreuves non pas comme des punitions mais comme autant de portes qui donnent sur des lieux inconnus qui s’offrent à notre curiosité. Douter. Critiquer.

Bref, suivre ce conseil de Victor Hugo dans «Les Misérables» :

«Tenter, braver, persister, persévérer, être fidèle à soi-même, prendre corps-à-corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait, tantôt affronter la puissance injuste, tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête ; voilà l’exemple dont les peuples ont besoin, et la lumière qui les électrise.»

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