Reprends ta liberté !
Partagez maintenant sur :
-Longa, pourquoi pleures-tu ?
-…
-Viens là, ma chérie.
Massé prend sa sœur dans ses bras. Une étreinte qui semble avoir fait redoubler les pleurs de Tshibo. La jeune femme ne se retient plus. Ses chaudes larmes attristent sa jeune sœur.
Massé et Tshibo n’ont pas grand-chose en commun. Même si elles ont reçu la même éducation et revendiquent toutes les deux un fort attachement à la famille, les deux jeunes femmes n’en demeurent pas moins très différentes.
Si différentes que leur père a souvent dit, en privé, préférer l’aînée à la cadette. Et Massé le sait.
-Papa, je sais que Tshibo est ta préférée. Mais ça ne m’empêche pas de t’aimer. Et tu verras, comme je te l’ai toujours dit, c’est moi qui vais t’honorer devant tes ancêtres et tes amis.
-Je demande à voir.
-Entre-temps, tu devras me supporter. Mais dès que j’aurais mon diplôme à la fac, j’emménage chez moi. Et je te ramène un beau-fils sept ans après.
Ce genre de discussions, on en entend souvent chez les Tshibo. Le père, conservateur et autoritaire, veut marier toutes ses filles avant de mourir.
C’est pour cette raison qu’il a forcé la main à Tshibo, désormais mariée à Tabu qu’elle n’a jamais vu.
Un mariage arrangé que la jeune femme n’a pas fini de regretter. D’autant que Makasu auprès de qui elle trouvait un certain réconfort est de plus en plus absent.
Au cours des deux derniers mois, ils ne se sont vu que deux fois. Et la dernière fois semble avoir bien été la dernière entre les «amis de la Saint Sylvestre».
-Tu as dit que tu voulais me voir.
-Oui. Qu’est-ce qui ne va pas ?
-Je ne comprends pas.
-Tu es soudainement distant et froid. On ne se voit presque plus.
-Je devais assurer des cours particuliers pour certaines élèves. Ça ne me laissait pas beaucoup de temps libre.
Le regard de Libanais qui assiste à la discussion laisse penser à Tshibo que Makasu ment.
Même s’il ne l’a jamais vue, Libanais connaît Kepa. Il sait également que son ami passe désormais ses soirées avec elle. Ou plutôt ses nuits.
«L’homme de la nuit». C’est le nouveau surnom de Makasu. A trois reprises après 22 heures, l’enseignant est passé rapidement saluer son ami à sa boutique, lui annonçant qu’il était en train de sortir.
Une salutation de politesse, avait confié Libanais à Tshibo qui lui faisait part de son désarroi de ne plus passer du temps avec Makasu.
-Même quand je te laisse des messages, tu ne réponds plus, insiste Tshibo.
-Quelque fois, je ne les vois que longtemps après, répond Makasu qui lève les yeux au ciel pour exprimer son agacement face à ce qui ressemble désormais à un interrogatoire.
-Tu as changé. Tu n’es plus le même.
-C’est pour me dire ça que tu m’as fait venir ?
Jusque-là silencieux, Libanais propose à ses hôtes de prendre un verre.
-Pour moi, ce sera de l’eau, intervient Makasu.
Tshibo et Libanais se regardent. Leur ami commun a bien changé.
L’imposant frigo qui trône dans l’arrière-cour de la boutique d’habillement de Libanais contient beaucoup de boissons. Mais pas une bouteille d’eau.
Le commerçant annonce alors à ses hôtes qu’il doit aller chercher de l’eau au supermarché récemment ouvert de l’autre côté de la rue. Il comptait bien laisser les deux seuls et ne pas assister à leurs discussions qu’il imaginait bien houleuses dès que Tshibo et Makasu se retrouveraient seuls.
-Ecoute, je suis resté poli jusque-là à cause de la présence de Libanais.
-Parce que tu penses avoir été poli…
-Laisse-moi te dire que je ne te dois aucune explication. Ni hier. Ni aujourd’hui. Ni jamais.
Tshibo lève la main pour signifier à Makasu qu’il ne devait pas aller plus loin. Mais l’enseignant en avait visiblement beaucoup sur le cœur.
Et pendant dix bonnes minutes, il a rappelé à Tshibo le début de leur histoire et son mariage arrangé contre lequel elle n’a pas eu le courage de s’opposer.
-C’est devant moi que madame retrouve son courage pour me demander des comptes alors que je ne lui dois rien.
Au bord des larmes, Tshibo ne sait plus rien articuler. Elle aurait voulu expliquer à Makasu qu’elle était blessée non pas par ses mots mais parce que c’est lui qui les prononce. Lui qu’elle considère en toute sincérité comme un ami. Lui qui lui a tendu la main alors qu’elle était en pleine désespérance. Lui à qui la littérature et la lecture des classiques ont appris la complexité des drames qui déchirent les âmes et abîment les corps.
Mais sans dire un mot, la jeune femme se lève et s’en va.
C’est quand elle arrive à la maison que Tshibo éclate en sanglots. Devant sa sœur cadette, elle fait l’effort de mettre des mots sur sa douleur.
-Je ne l’ai pas vu venir. Il était si gentil et si attentionné. On était devenu si proches. Je lui ai raconté toute l’histoire avec Tabu. Même s’il semblait dire ne pas comprendre que j’accepte ce mariage, il écoutait, il compatissait, il consolait.
-Et toi, tu t’es mise à espérer. Tu as cru naïvement qu’il était ta planche de salut. Mais dans la vie, ta planche de salut, c’est toi-même. Jamais un autre, lui répond Massé.
La cadette enchaîne :
Tu vois, Longa. Tu es une fille intelligente. Tu es belle. Tu as de la grâce. Mais ça ne suffit pas pour faire une vie réussie. La première condition de la réussite, c’est le courage. Le courage d’assumer qui on est. Le courage de choisir ce qui nous convient vraiment. Pas ce qui convient à nos parents ou à notre entourage. Le courage de dire et de faire ce que l’on pense être juste, peu importe ce que les autres en pensent. Tu as trop longtemps vécu ta vie au travers du regard des autres : papa, maman, tes amies, tes copains, etc. Vis ta vie. Reprends ton destin en main. Oublie Makasu. Sépare-toi de Tabu. Reprends ta liberté. Et assume tout ce qui va avec.
1 commentaire