Repose en paix, maman
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Vingt-deux ans, ça passe vite. Il y a vingt-deux ans, j’étais encore élève au collège Bonsomi à Kinshasa. Je n’étais plus l’élève assidu et brillant de mes premières années scolaires. A mes propres yeux, je précise. Pour les autres- ma famille, mes amis, les voisins, je restais un élève «très intelligent».
D’ailleurs, au terme de cette année scolaire 2001-2002, sur mon bulletin, ma côte annuelle était de 70%. La plus basse depuis le début de mes études. Mais c’était anecdotique. Aussi anecdotique que le résultat d’un match de football au cours duquel un joueur s’est effondré sur la pelouse pour ne plus jamais se relever.
Et moi, me suis-je relevé de cette année 2001 ? D’autres y répondront.
C’était un matin tranquille qui ressemblait beaucoup aux précédents et qui était bien parti pour ressembler aux suivants.
J’étais allé puiser de l’eau pour le ménage dans une parcelle voisine au bas de mon avenue. Ça faisait déjà plusieurs années que l’eau ne coulait plus à notre robinet. Il devait être 10 heures ou 11 heures. Je ne me souviens plus. Mais il n’était pas encore midi.
Mon père envoie quelqu’un me demander de rentrer rapidement à la maison. Toutes affaires cessantes. Je n’avais pas encore puisé l’eau que j’étais allé chercher. Quand j’arrive près de notre domicile, je constate un attroupement près du portail. Des voisins qui me regardent tristement. Mais il n’y avait aucune larme dans leurs yeux. Je pouvais y lire cependant de la pitié.
Les larmes, c’est dans les yeux de Papa que je les vois.
-Il faut que tu sois fort, Joël. Maman est morte.
-D’accord, je me contente de lui répondre.
Il m’annonce qu’il se rend à l’hôpital où Maman était soignée depuis septembre et me demande, si je le peux, d’aller informer les parents et amis qui n’habitent pas loin de notre domicile. A l’époque, nous n’avions pas de portable à la maison.
Après le départ de Papa, je me change. Je ferme les portes de la maison. Et je sors, à mon tour. C’est ainsi que je passe près d’une heure à aller informer les autres membres de la famille et les amis de mes parents de la mort de ma mère.
Nous sommes le 10 novembre 2001. Il est midi. Je n’ai toujours versé aucune larme. Je n’en verserai aucune durant toutes les funérailles.
Vous lirez la suite de cette histoire dans l’ouvrage que je consacre à mes parents (et qui sortira, si Dieu le permet, l’année de mon quarantième anniversaire). Dans ce bouquin (dont j’ai déjà commencé la rédaction- vous vous en doutez sûrement), je vais tenter de répondre aux nombreuses questions que je me pose depuis cette matinée du 10 novembre 2001. Je vais également parler de ces larmes qui n’ont pas coulé pendant les funérailles de Maman et qui coulent désormais tous les jours, quand je suis seul ou quand je regarde R et E dormir dans leur berceau.
«Est-il possible de faire provision de quelqu’un ?». A cette question, je tenterai également de répondre.
Mon père est décédé dix ans après ma mère. De lui, je vous ai déjà parlé dans un billet publié ici sur ce blog. Je lui ai également consacré un chapitre dans mon premier livre qui sort dans quelques semaines.
J’ignore ce que Papa et Maman pensent de moi là où ils sont. De l’époux et du papa que je suis devenu.
Après cinq mois de stage et une pige d’un mois, j’ai signé mon premier contrat professionnel en 2011, quelques jours après le décès de mon père. De l’employé que je suis désormais, je ne sais pas ce que Papa en aurait dit. Il accordait une place particulière au travail (la chose la plus importante après la famille). La première fois où j’ai fait un direct à la radio, j’étais stagiaire à Radio Okapi. Je l’avais prévenu par un SMS : «Je présenterai une chronique en direct à la radio à 12h15».
On n’en a jamais parlé après. Mais le jour de son décès, un voisin m’avait raconté qu’un jour il a vu Papa entrer en trombe dans sa boutique pour acheter des piles pour son transistor, en lui lançant : «Faites vite, Joël va passer à la radio dans quelques minutes».
Ce jour-là, il n’y avait pas de piles dans sa boutique, le voisin a donc invité Papa à suivre la chronique à partir du poste radio de son petit commerce.
«Le vieux était très fier de toi. Ça se voyait dans ses yeux», m’avait dit le voisin.
Quand j’ai obtenu mon diplôme en journalisme, Papa m’avait dit : «J’ai fait mon travail. Je peux maintenant partir.»
«Est-il possible de faire provision de quelqu’un ?». A l’heure où j’écris ces lignes, je n’ai pas encore la réponse à cette question.
Enfant, je disais à Maman que quand je serai grand, je ferai tellement de grandes choses que les gens la salueront dans la rue en disant : «Regardez. Elle, c’est la maman de Joël».
«Les êtres que nous aimons sont plus fragiles que les fruits et plus éphémères que les fleurs. Nous voudrions les cueillir, à profusion, pour n’être jamais en manque – même lorsque les arbres qui les ont produits auront disparu», écrit la philosophe Gabrielle Halpern.
Repose en paix, Maman. J’ai eu si peu de temps pour faire provision de toi.
Tu me manques.
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