Redonner à l’action politique son sens
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Je fais partie de cette génération d’Africains qui a grandi en entendant mes aînés répéter à l’envi que les politiciens avaient «détruit le pays». A l’époque, le pays s’appelait Zaïre. Il était dirigé par le Maréchal Mobutu. Pour expliquer le manque d’infrastructures, les difficultés d’accès à l’eau et à l’électricité, l’endettement, la corruption, c’est le nom du président et de ses proches (qu’on appelait aimablement «Mouvanciers») que l’on citait. Ce qui a fini par me laisser penser (mais je ne suis pas une exception) que la politique était inutile.
Mais non, la politique n’est pas inutile. Et c’est un peu facile de ne trouver que des défauts à ceux qui s’engagent en politique.
Pourtant si beaucoup de Congolais en sont venus à qualifier la classe politique dans son ensemble d’opportuniste, il y a une raison à cela.
Si le terme «politicien» est devenu péjoratif dans le langage courant, il y a également une raison à cela.
Le malentendu initial
Et si de nombreux Congolais de grande qualité refusent de s’engager en politique, laissant le champ de l’action politique aux opportunistes et incapables de tout poil, il y a aussi une raison à cela.
Et c’est peut-être par là qu’il faut commencer.
Le célèbre slogan «servir et non se servir» du Maréchal Mobutu moqué par les Zaïrois, tellement son régime était rongé par la corruption, explique pourtant tout le sens de l’engagement politique.
On s’engage en politique pour être utile à son pays. Pas pour être important. C’est peut-être l’un des principaux malentendus qu’il y a au Congo, en plus généralement en Afrique, entre la classe politique et les citoyens.
Et cela s’entend dans notre expression quotidienne. Les «Tata mokonzi», «Excellence» et autres «Papa ya bana» ont fini par infantiliser les citoyens, leur donnant la conviction que les dirigeants politiques devaient être adulés, glorifiés et loués.
La preuve en image. Ces pagnes que l’on étale à leur passage quand ils sont en déplacement. Ces enfants et ces femmes qu’on envoie exhiber des pas de danse à leur arrivée dans telle ou telle localité qui n’a ni eau ni électricité ni centre de santé digne de ce nom.
C’est le malentendu initial. Un responsable politique est au service des citoyens. Pas l’inverse.
Ses choix doivent être questionnés. Son action analysée. Et ses décisions contestées, quand il le faut. Le responsable politique n’est pas un petit dieu dont les caprices doivent être pris pour la manifestation d’une volonté politique. Il ne dispose pas non plus d’une science infuse qui l’immuniserait contre les critiques des citoyens.
Puisque c’est un homme comme tous les autres, il peut se tromper. Il peut s’égarer. C’est pour cette raison que les citoyens doivent être vigilants. Ils doivent surveiller les actions des élus et de leurs représentants. Ils doivent questionner le bien-fondé des lois qui sont adoptées.
Car, tout compte fait, ce sont toujours les citoyens qui paient la facture à la fin.
Lorsque le gouvernement s’endette pour financer des projets qui ne sont finalement pas réalisés, ce sont les citoyens qui paient l’addition. C’est donc de leur devoir d’être vigilants et sévères vis-à-vis de leurs dirigeants politiques. C’est la seule façon d’obtenir d’eux des résultats qui peuvent faire avancer le pays.
Une démocratie où les citoyens pensent que leur seul devoir est de se rendre aux urnes tous les cinq ans pour voter est malade.
C’est d’ailleurs ce que soutiennent Édouard Philippe et Gilles Boyer dans «Impressions et lignes claires» :
«L’idée que le rôle du citoyen dans le processus démocratique ne se limite pas à la participation électorale le jour du scrutin mais peut (ou plutôt doit) aller au-delà, et jusque dans la conception des politiques publiques, n’est ni vaine ni accessoire. Elle renvoie à une forme de civisme de chaque instant qui nous paraît féconde.»
Le souhaitable et le possible
Pour qu’une démocratie fonctionne correctement, chacun doit faire sa part. Les citoyens : voter, surveiller, interpeller, proposer, suggérer, conseiller. Les politiques : écouter, observer, analyser, décider, agir et rendre des comptes.
Comme le note Xavier Alberti, «l’engagement politique reste une des formes les plus nobles d’action quand il est dicté par l’intérêt général. Il représente même une forme de sacrifice pour celles et ceux qui s’engagent dans cette voie bordée d’ingratitude et de violences de moins en moins symboliques».
C’est pour cette raison que la politique ne doit pas être prise à la légère.
Prétendre à diriger la cité exige de l’humilité pour apprendre constamment, de l’honnête pour reconnaître ses erreurs, du courage pour les corriger et de la patience pour convaincre et faire aboutir les idées que l’on porte.
«Au stade où nous en sommes, écrivent encore Édouard Philippe et Gilles Boyer, nous tenons pour acquis que l’effet de sédimentation de l’expérience est précieuse, même s’il ne garantit en rien la capacité à faire face à des situations parfaitement inédites, nous savons que gouverner doit faire peur, car la légèreté et la désinvolture condamneraient aussi bien les dirigeants les plus doués que ceux qui leur feraient confiance.»
L’engagement politique ne saurait donc s’accommoder avec la légèreté et la désinvolture qui caractérisent de plus en plus ceux qui s’engagent actuellement.
Il est temps de se ressaisir et de se rappeler que la politique est chose sérieuse.
Chose sérieuse parce que la politique a pour but de trouver les solutions les moins mauvaises aux problèmes les plus complexes de la cité.
Et c’est un grand connaisseur de la chose politique qui le dit. Georges Pompidou est l’un des plus grands hommes d’État français. Dans «Le Nœud gordien» publié en 1974, il mentionne :
«Ce que le peuple demande à ses gouvernants, c’est la sincérité et l’humanité, alliées, bien sûr, et en fonction des circonstances, à la fermeté. Il y a des moments où domine la notion du chef qui entraîne, d’autres où la notion du père qui protège l’emporte. Mais en tout temps, le peuple veut avoir devant lui quelqu’un qui soit sincère et humain. Sincère, c’est-à-dire qui lui explique les choses telles qu’elles sont, qui ne donne pas l’impression soit de vouloir tromper, soit de ne pas croire lui-même à ce qu’il fait. Humain, c’est-à-dire qui comprenne les problèmes des humbles et des simples citoyens.»
Affaire sérieuse, la politique est donc aussi et surtout une affaire humaine puisqu’elle doit résoudre les problèmes des humains.
Un responsable politique est donc amené constamment à décider. Donc à choisir. Donc à renoncer. Car, décider, c’est choisir. Et choisir, c’est renoncer.
Choisir quoi ? Entre le souhaitable et le possible, l’urgent et l’essentiel, le symbolique et l’efficace, le nécessaire et l’acceptable.
Choix souvent difficiles. Parfois impossibles. Car il arrive souvent qu’il n’y ait que de mauvaises solutions. C’est pour cette raison que l’homme ou la femme politique doit rester à l’écoute et au contact de ses concitoyens, pas juste pour son image. Pas juste pour faire des selfies et donner l’impression que l’on est un homme ou une femme «du peuple».
Là encore, il faudrait écouter Georges Pompidou :
«C’est en fréquentant les hommes, en mesurant leurs difficultés, leurs souffrances, leurs désirs et leurs besoins immédiats, tels qu’ils les ressentent ou tels parfois qu’il faut leur apprendre à les discerner, qu’on se rend capable de gouverner, c’est-à-dire, effectivement, d’assurer à un peuple le maximum de bonheur compatible avec les possibilités nationales et la conjoncture extérieure.»
Il est donc temps de remettre la politique au centre de la République. Mais il faut lui donner un sens. Celui du service, du sacrifice, du courage et de l’intelligence. Ceux qui s’y engagent doivent en être conscients.
«La politique n’est pas morte», soutient Xavier Alberti. Il a raison. «Les engagements qu’elle implique ne méritent pas l’ironie qu’ils suscitent», ajoute-t-il. Il a également raison.
Mais dirigeants politiques et citoyens doivent trouver un sens à l’action politique. C’est la seule façon de nous sortir de cette torpeur dans laquelle nous ont plongé nos renoncements, notre défaitisme et nos choix de vie individualistes qui rechignent à entreprendre ou à participer à toute action collective.
«La République ne doit pas être la République des ingénieurs, des technocrates, ni même des savants. Je soutiendrais volontiers qu’exiger des dirigeants du pays qu’ils sortent de l’ENA ou de Polytechnique est une attitude réactionnaire […]. La République doit être celle des «politiques» au sens vrai du terme, de ceux pour qui les problèmes humains l’emportent sur les autres, ceux qui ont de ces problèmes une connaissance concrète, née du contact avec les hommes, non d’une analyse abstraite, ou pseudo-technique, de l’homme», lit-on dans «Le Nœud gordien».
Plutôt que de chercher à être importants, ceux qui s\’engagent en politique devraient désormais penser à être utiles. «Utiles non pas à soi-même mais aux autres et à ce qui nous préserve du chaos.»
C’est cela le sens de la politique.
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