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«On ne confie pas son destin à un autre»

«On ne confie pas son destin à un autre»

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J’ai pris plus de temps que je n’en prends d’habitude pour ce type de livre, afin d’achever «Nous étions seuls». Le magnifique essai de Gérard Araud qui décrit si bien l’entre-deux-guerres en Europe. Diplomate de carrière, il tente d’expliquer les comportements des acteurs qui ont conduit à une tragédie- la seconde guerre mondiale- qui, de l’aveu même de M. Araud, «pèse toujours sur notre politique à l’intérieur et sur notre réputation à l’étranger».

Gérard Araud a longtemps travaillé au Quai d’Orsay, le ministère français des Affaires étrangères. Il a notamment été ambassadeur à Washington. Il a également représenté la France aux Nations unies.

C’est sur Twitter que je l’ai découvert. Ses avis sur le conflit en Ukraine m’ont tout de suite paru intéressants. C’est sur le même réseau social que j’ai appris la parution de son livre «Nous étions seuls».

A plus d’un titre, ce livre est intéressant. Pour moi qui m’intéresse beaucoup à la géopolitique – grâce notamment aux influences d’Hubert Védrine et de Pascal Boniface – tenter de comprendre les comportements des acteurs avant, pendant et après des évènements historiques majeurs est une nécessité.

Comprendre. C’est le maître-mot. Comme l’écrit Marc Bloch cité par Gérard Araud : «Un mot, pour tout dire, domine et illumine nos études : comprendre… Mot surtout chargé d’amitié. Jusque dans l’action, nous jugeons beaucoup. Nous ne comprenons pas assez».

Non. Nous ne comprenons pas assez. Nous ne faisons pas toujours l’effort de comprendre. Nous voulons croire. Nous voulons juger.

«Joël, nous venons à l’école pour comprendre. Pas pour croire», pestait l’un de mes enseignants au collège à chaque fois que je commençais une phrase par «je crois que…».

C’est donc à un exercice d’explication que se livre Gérard Araud dans «Nous étions seuls».

Comment après une Première Guerre mondiale si meurtrière, on en est arrivé à la seconde ? Qu’est-ce qui, dans les comportements des principaux acteurs de l’époque, a pu concourir à l’arrivée d’une tragédie que nous n’avons pas fini de méditer ? La France, la Grande Bretagne et les États-Unis, vainqueurs de la Première Guerre mondiale, ont-ils ce fait qu’il fallait pour qu’à une Première ne succède pas une Seconde Guerre mondiale ? Qu’est-ce qui explique la défaite française de 1940 face à l’Allemagne Nazie ? «Le Quai d’Orsay n’a-t-il pas perdu la paix avant que l’état-major ne perde la guerre ?».

Entre 1919 et 1939, en Europe, on est passé du Traité de Versailles à l’invasion de la Pologne. Mais entre les deux, il y a eu la crise de 1929, la réoccupation de la Rhénanie, Munich, l’abandon de la Tchécoslovaquie.

«Les hommes font leur propre histoire mais ils ne la font ni à leur gré, ni sous les conditions de leur choix mais dans les circonstances qu’ils rencontrent et dans des conditions qui leur sont données et imposées.»

Cette phrase de Karl Marx ouvre le livre de Gérard Araud.

Avec une plume vive appuyée par des sources diplomatiques, des citations d’ouvrages de référence, des anecdotes, le diplomate français nous replonge dans une période de l’histoire pas si lointaine mais sur qui la légende et les mythes ont jeté un voile, occultant la vérité historique.

Quels rôles Français, Britanniques, Américains, Russes ont joué dans ces évènements qui ont conduit à la Seconde Guerre mondiale ?

S’il est un peu facile et surtout malhonnête de vouloir relire le passé avec les yeux du présent, il n’est pas inintéressant d’écouter et de comprendre les positionnements, les déclarations, les comportements des acteurs de l’époque grâce aux sources diplomatiques et historiques.

Le livre de Gérard Araud donne à voir et à comprendre.

A vouloir s’attirer la sympathie de l’Allemagne, la Grande Bretagne a lâché la France, son alliée. Cette dernière, sortie traumatisée de l’hécatombe de la Première Guerre mondiale, a choisi le pacifisme et l’alignement sur un allié anglais qui jusqu’au bout, aura fait preuve d’aveuglement devant une Allemagne dont on pouvait deviner les intentions.

Un aveuglement résumé par ces deux phrases du Premier ministre Chamberlain à propos du Führer : Hitler est «un homme qui ne revient pas sur sa parole» et Hitler «ne tromperait pas délibérément un homme avec lequel il négocie et qu’il respecte».

Erreur. Hitler n’aura de cesse d’aller toujours plus loin dans la provocation et la violation de ses propres engagements.

Nous sommes en 2024. Que peut bien m’avoir appris le livre de Gérard Araud ?

D’abord une leçon qu’aucun État (cela s’applique aussi aux individus) ne doit oublier au risque de se perdre : «On ne confie pas son destin à un autre. On fait parfois équipe, mais la politique étrangère est un jeu qu’on pratique en solitaire». Leçon que les pays africains ont encore du mal à intégrer. Eux qui ont, depuis longtemps, abandonné leur destin entre les mains d’une «communauté internationale» qui n’existe que dans leur esprit.

Ensuite, qu’il «n’y a pas de politique étrangère sans un horizon de recours à la force». La guerre en Ukraine a rappelé aux Européens qu’il était illusoire de tenter d’avoir de l’influence dans le monde sans disposer d’une force militaire capable de dissuasion. Sans elle, la diplomatie ne vaut rien. «Il n’y a pas de politique étrangère sans un horizon de recours à la force. Le rapport entre les deux est paradoxal : en venir au second prouve que la première a échoué, mais celle-ci ne peut espérer réussir que si l’interlocuteur est convaincu que celui-là n’est pas exclu. Rapport paradoxal et équilibre délicat : il ne faut pas que la négociation à tout prix l’emporte, mais il ne faut pas non plus que le recours à la force devienne une facilité», argumente Gérard Araud. Cette réflexion me fait penser à celle d’un autre diplomate français, Hubert Védrine qui note dans son «Dictionnaire amoureux de la géopolitique :

«La paix se construit, se maintient par l’équilibre des forces ou par la dissuasion. Classique, Lyautey : ‘’Montrer sa force pour ne pas avoir à s’en servir.’’ […] Puis nucléaire : dissuasion mutuelle. La paix se rétablit par la force, ou par la négociation appuyée par la menace, donc par la force, et un accord politique». Les Congolais devraient méditer là-dessus.

Enfin, la dernière leçon que je tire de «Nous étions seuls» est que la peur de la répétition d’un drame peut conduire plus facilement à un autre drame que la volonté d’y faire face. Après la Première Guerre mondiale, les Français ont sombré dans un pacifisme qui leur sera fatal. Par peur de revivre les carnages de la Grande Guerre, ils ont longtemps refusé la nécessité de se réarmer comme il se devait, acceptant tous les compromis jusqu’à la compromission face à un allié anglais défaillant et une Allemagne jamais satisfaite. Ce faisant, ils ont créé les conditions de la défaite de 1940. La peur – même la plus légitime – est mauvaise conseillère. «Il ne faut pas hésiter à sortir l’épée pour éviter le pire». A méditer également pour les Congolais, cette phrase de Winston Churchill : «Ce n’est qu’en se préparant à la guerre que l’on peut garantir la préservation des richesses, des ressources naturelles et du territoire de l’État».

J’ai pris beaucoup de plaisir à lire «Nous étions seuls». Je vous le recommande. La période que le livre aborde peut vous sembler lointaine, temporairement et géographiquement. Méfiez-vous. J’y ai trouvé beaucoup de similitudes avec la situation actuelle dans la région des Grands lacs africains.

Et n’oubliez pas le conseil de Churchill (encore lui) : «Plus vous saurez regarder loin dans le passé, plus vous verrez loin dans le futur».

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