Nul n’est parfait
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-Il faut que tu manges, Jess. Tu ne peux pas continuer comme cela.
-Je n’ai pas faim, maman.
-Efforce-toi, s’il te plaît. Les prochains jours vont être difficiles pour toi. Il va falloir que tu sois en forme.
-J’ai déjà connu le pire.
Jessica est retournée dans la maison de ses parents depuis une semaine. Elle a perdu 10 kilos. Elle refuse de manger et ne sort presque jamais de sa chambre.
-Tu as une fille à élever. Tu dois te reprendre.
-Maman, tu ne comprendras jamais ce qui m’est arrivée. Arrête avec tes conseils.
-Tu penses que tu es la première épouse qui a été trompée ?
-Papa et toi avez grandi dans un autre monde. Il était au travail tous les jours de 8 heures à 17 heures. Il rentrait à la maison chaque jour à la même heure. De toute mon enfance, je n’ai jamais vu papa rentrer après 18 heures. Tu as un époux parfait. Ce n’est pas mon cas. Laisse-moi faire le deuil.
Placide et Antoinette Kabemba sont mariés depuis 35 ans. De leur union sont nés Matthieu, Patrick, Jessica et Timothée. A Ma Campagne, la famille Kabemba est connue pour la piété des parents. Placide et Antoinette sont très engagés à Saint Albert, l’une des principales paroisses catholiques de ce quartier cossu de Kinshasa. La mère est membre de la légion de Marie. Le père est le président de la commission des intellectuels. Leur générosité envers les prêtres est connue de tous les paroissiens. Placide et Antoinette Kabemba ont parrainé de nombreux mariages. Aux yeux même de leurs enfants, papa et maman sont un exemple de fidélité et d’engagement dans le mariage.
-Tu sais, ma fille. La vie est toujours plus complexe qu’elle n’en a l’air.
-Maman, c’est un fait : quand vous étiez jeune, c’était plus facile de tenir son conjoint dans le foyer.
-Détrompe-toi. Nous avions aussi nos problèmes. Certes, nous ne les avons pas gérés comme vous gérez les vôtres actuellement. Mais sois sûre qu’ils étaient tout aussi graves. Peut-être même plus graves.
-Puisqu’on en parle, qu’aurais-tu fait si papa avait eu un enfant avec une autre femme ? Tu n’aurais pas divorcé ?
-…
-Maman ?
Le regard dans le vide, la mère Jessica était sur le point de confier à sa fille quelque chose qu’elle se refuse de révéler à ses enfants depuis qu’elle l’a appris.
-Je n’aurais pas quitté le toit conjugal.
-C’est faux. Je te connais. Tu aurais pris tes enfants et tu serais partie.
-Partir où ?
-Beuh, chez tes parents.
-Justement, quand nous étions jeunes, ça ne se faisait pas. On ne quittait pas son foyer sur un coup de tête.
-Mais maman, ce n’est pas un coup de tête ! Marc a fait un enfant avec ma meilleure amie. Tu veux que je reste dans son lit.
-C’est là que se trouve ta place. Il est ton époux.
Quand elle est arrivée au domicile familial le lendemain de sa violente dispute avec Marc, Jessica n’avait pas trouvé son père. Elle avait tout raconté à sa mère. Cette dernière avait consolé sa fille en pleurs.
Jessica n’avait pas encore parlé avec son père. Connaissant ce dernier, elle savait qu’il n’aurait pas réagi sur le moment.
-Tu as parlé avec papa ?
-Je lui ai dit en gros que vous aviez des problèmes avec Marc et que tu t’es donné un petit moment de réflexion.
-Mais maman ! Ce n’est pas ça.
-Baisse d’un ton. Et écoute-moi.
Si elle sortait plus souvent de sa chambre où elle a trouvé refuge depuis son retour au domicile familial, Jessica aurait remarqué que son père n’y passait que très peu de temps. Retraité depuis trois ans, Placide Kabemba avait désormais du temps libre pour s’occuper de son «jardin secret». C’est comme cela que son épouse désignait la relation de Placide avait avec son «éternelle» maîtresse.
Jessica et ses frères l’ignoraient. Ils n’étaient pas les seuls enfants de leur père. Placide Kabemba avait une autre fille du même âge que Jessica. Marlène Kabemba est née à Lubumbashi. Sa mère, Ingrid, a connu Placide à l’université. Un amour de jeunesse. A la fin de ses études en 1983, Placide est envoyé à Kinshasa par son nouvel employeur, la GECAMINES.
C’est à Kinshasa qu’il fait la connaissance d’Antoinette qui débute une carrière d’enseignante d’histoire au Lycée Kabambare. Ils lient leur destin l’année suivante. Ils ont leur premier enfant la même année.
Alors qu’il travaille à Kinshasa, Placide se rend chaque six mois à Lubumbashi pour rendre visite à ses parents. Il y emmènera son épouse et les deux premiers garçons à deux reprises.
En 1988, quand le père de Placide Kabemba décède, ce dernier se rend à Lubumbashi pour les funérailles. Il y passera six mois. L’année d’après, naîtront à plus de 1 500 kilomètres de distance Jessica et Marlène Kabemba.
-Tu l’as appris quand ?, demande Jessica quand sa mère finit de lui conter l’histoire.
-Il y a trois ans. Quand ton père a été envoyé à la retraite, il a fait venir sa maîtresse et sa fille à Kinshasa. Elles ne vivent pas très loin d’ici.
-Les hommes sont des monstres.
-Nul n’est parfait, ma fille…
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