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Mimosa

Mimosa

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-Cinquante dollars ? Vous êtes sérieuse ?

-Je vous ai toujours dit qu’une course de nuit ne se paie pas comme une course en pleine journée.

-De GB à la Gombe. Non. Vous abusez.

-Vous me réveillez à une heure du matin. Je vous sors de votre trou au fin fond de GB et vous conduis en moins de cinq minutes chez votre amant et vous osez discuter mon prix. La prochaine fois, n’essayez même pas de composer mon numéro de téléphone.

Kabibi est l’une de mes clientes les plus fidèles. Et d’ailleurs, ce n’est plus qu’une cliente. Notre histoire a débuté par une scène surréaliste. Je venais de me lancer dans le métier. Et en ce moment-là, je ne prenais pas de course personnelle, «express», comme on dit chez nous. Le trafic était très encombré. Et les arrêts de bus bondés. Après avoir déposé des clients à l’arrêt «Kin marché» sur le boulevard du 30 juin, j’ai traversé la chaussée et j’ai vu une ravissante jeune femme se jeter littéralement sur ma bagnole. Moi qui sais faire preuve de sang-froid en toute circonstance, j’ai vraiment pris peur. Je me suis arrêtée net et j’ai découvert une belle jeune femme habillée en tailleur sur mesure, hauts talons aux pieds et parfumée comme une déesse qui éclate en sanglots, agrippée à mon bras que je sortais pour indiquer que je me dirigeais vers Huileries.

Je n’ai pas eu le temps de réagir que toutes les personnes à l’arrêt nous regardaient. Je n’entendais rien à ce qu’elle disait à cause de ses pleurs. Les autres clients qui s’avançaient pour entrer dans le véhicule ont eu un mouvement de recul. Elle en a profité pour entrer, prenant le soin de verrouiller les portières et m’intimant l’ordre de foncer. Deux cents mètres plus loin, à proximité du restaurant Al-Dar, je me suis arrêtée pour comprendre ce qui était en train de se passer. C’est alors que je découvre un jeune visage presqu’enfantin qui se maquillait et riait aux éclats.

-Ma chère, je dois être sur l’avenue de la Justice dans cinq minutes. S’il te plaît, fais ce qu’il faut.

Elle avait joué la scène à l’arrêt de bus pour attraper rapidement un taxi dans un environnement où elle savait qu’elle ne pouvait pas compter sur ses muscles (ou plutôt qu’elle ne pouvait se permettre de salir de son très chic tailleur).

-En cinq minutes, ce n’est pas jouable. Prenez un autre taxi.

-Ma sœur, aide-moi. C’est une histoire de vie ou de mort.

-C’est pour cette raison que vous êtes autant maquillée.

-Ne me jugez pas.

-Mais, je ne vous juge pas.

Ma remarque l’avait offensée. Mais elle n’en avait rien dit. Elle n’était pas en situation. D’autant qu’elle m’a laissé seule dans mon taxi pendant trois heures, me promettant de me ramener ce qu’elle devait me payer «dans une minute».

Trois heures. Seule dans le parking d’une grande concession, encombrée de véhicules hors de prix, sur l’avenue de la Justice. Sans personne à qui poser la moindre question. Le gardien qui nous avait ouvert le portait m’ayant fait savoir qu’il n’avait pas le droit d’adresser la parole aux visiteurs.

Il était 20 heures quand elle en est sortie. Toute souriante et éclatante. Plus maquillée qu’à l’arrivée. Mais son parfum n’arrivait pas à dissimuler l’odeur du sexe qu’elle dégageait.

-Bon, ma chère, combien je te dois ?

-On a fait trois heures. C’est 30 dollars américains. Dès qu’on entre à la quatrième heure, la facture passe à 40 dollars.

-Demande tout ce que tu veux. Tu l’auras.

Intérieurement, je me disais que son client doit l’avoir confortablement rémunérée après trois heures de parties de jambes en l’air. Comme si elle lisait dans mes pensées, elle a brisé le silence.

-Je ne suis pas une pute. Je suis une masseuse.

-Mais…

-Ne dis rien. Une jeune femme qui s’enferme dans une grande et belle maison comme celle-ci. Tu dois t’être fait un film. Je suis masseuse professionnelle. Et ce client, c’est la première fois qu’on me le recommande. Je ne devais pas être en retard. Et je devais assurer au maximum. Au départ, il avait payé pour une séance d’une heure. Mais à l’arrivée, il en a demandé pour trois. C’est plutôt bon signe. Non ?

Je suis conductrice professionnelle. Pas masseuse.

-Je vous aime bien. Vous savez ?

-On va où ?

-Je suis épuisée. Il faut que je rentre à la maison.

-…

-MIMOSA.

Les deux heures passées sur la route avec Mimosa (c’était en même temps le nom de son quartier et son prénom) m’ont ouvert les portes d’un monde que je ne devais plus quitter. Un monde dont le vocabulaire ressemble beaucoup à celui du commun des mortels mais qui lui est parallèle. Un monde où légal et illégal ne se distinguent que par le consentement (et encore !). Un monde où le rêve et le désir sont les maîtres-mots. Un monde où la naïveté peut être fatale. Un monde où l’argent, la boisson, la drogue et le sexe sont omniprésents. Un monde où la fiction a du mal à rivaliser avec la réalité.

Mimosa se présente comme une masseuse professionnelle. Un métier qu’elle exerce depuis sept ans. Elle l’a appris à Goma où elle a vécu pendant dix ans, aux côtés de son père, officier de l’armée aux soldes maigres et qui élevait, seul, six enfants dont Mimosa est l’aînée.

C’est à Goma qu’elle a tout a appris. Les ficelles du métier. Les demandes récurrentes des clients. Les avances inévitables. Les attouchements qu’on feint de repousser pour mieux les monnayer. Et, finalement, le grand bain des réseaux sociaux. Le grand chambardement comme elle aime à le dire.

Trois ans après notre première rencontre, il m’arrive encore de me demander ce que ma vie aurait été si je n’avais pas rencontré Mimosa.

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