Michel Cyala, mon coup de cœur de l’année
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Cher Michel,
Quand viendra décembre et la traditionnelle (et il faut le dire, insipide) revue de ce qui a été bon et ce qui ne l’a pas été en 2025, je te placerai – je pense ne pas prendre beaucoup de risques en le disant – dans la catégorie «meilleure rencontre de l’année».
En arrivant à Ngandajika ce soir du jeudi 16 juillet, je n’imaginais pas faire pareille rencontre. Surtout que dès mon arrivée, je t’ai même refusé une interview. Je suis comme ça. J’aime prendre mon temps, éprouver les gens, tester leur patience et savoir si je peux faire confiance ou pas.
Mais très vite, tu as fait exploser la glace. Mais quel talent tu as ! Je savais en arrivant à Ngandajika que Radio Ditunga avait un personnel de qualité. L’abbé Apollinaire n’est pas du genre à laisser ses initiatives assaillies par la médiocrité ambiante.
La première chose qui m’a impressionné chez toi, c’est ton calme. Alors que nous préparions le journal de midi que nous devions co-présenter, tu étais d’un calme remarquable. Tu demandais les éléments du journal les uns après les autres, sans précipitation, sans crier sur tes collègues comme le font généralement les présentateurs stars des journaux radios et télés. Et quand un élément venait en manquer, tu venais m’en parler. L’air de rien. Sans oublier de suggérer une solution de remplacement.
C’est une grande qualité que de savoir apporter une solution ou même un début de réflexion quand on pose un problème. Peu en sont capables.
Et à dix minutes du journal, tu t’es assis. On a fait le point. Calmement. J’ignore si c’est comme cela à chaque fois. Mais sache que c’est une qualité rare que de rester calme quand tout autour de soi est agitation.
Pendant la préparation du journal, tu as émis des réserves au sujet d’une décision que j’avais prise : faire intervenir en direct la jeune fille qui avait remporté quelques minutes plus tôt le prix du «meilleur poème» décerné par Radio Ditunga à l’occasion de ses 15 ans.
«Je crains qu’elle soit intimidée», avais-tu objecté.
Je reconnaissais que ce risque était bien réel mais j’estimais, en même temps, qu’il en valait la peine.
Pari tenu. Eugénie était la star de ton journal.
Un peu intimidée, au début, mais la déclamation de son poème était impressionnante. Un vrai moment de radio, aurait dit Léa Salamé.
Cher Michel,
Ne l’oublie pas : la routine n’apporte pas le progrès. Pour progresser, il faut prendre des risques. Essayer des formules, des idées, des formats inédits pour surprendre l’auditeur et le conduire à s’interroger, à s’émerveiller, à s’étonner. Telle est également la tâche de l’homme de la radio.
A la fin de notre direct, dans le studio, les yeux pleins d’admiration, tu as soupiré : «J’ai encore beaucoup à apprendre». Figure-toi que moi aussi. Nous avons tous beaucoup à apprendre.
L’autre enseignement que je voudrais que tu n’oublies pas : sois un éternel apprenti. Dans ce métier, comme dans tous les autres, on n’en sait jamais assez.
Quand tu m’as interrogé, dans le cadre de ton émission «Portrait», sur mes hobbies, je t’ai répondu que je lis tous les jours.
Ce matin, j’ai ouvert «Technopolitique». L’excellent livre d’Asma Mhalla sur les bouleversements de notre monde à l’ère des technologies de l’hypervitesse (tu t’en souviens ? Nous en avons parlé lors de la table ronde).
Asma Mhalla cite dès la deuxième page Romain Gary : «Le monde meurt de l’envie de naître. Notre société s’est épuisée à réaliser les rêves du passé […]. Le vingtième siècle n’a pas préparé le vingt et unième.»
Tu sais, ce que j’aime dans la lecture c’est qu’elle te pique constamment, te rappelant ce que tu as oublié, te forçant à aller chercher l’ailleurs, l’inconnu, l’incertitude, t’obligeant de remettre en cause les évidences – la plupart du temps, fausses.
Cher Michel,
Tu me fais penser à moi-même. Quand j’étais plus jeune, mes superviseurs disaient de moi que j’avais un gros potentiel. Je ne sais pas si le potentiel a tenu ses promesses.
Mais j’ai à cœur que tu tiennes celles de ton talent.
Car, vois-tu, le talent est une responsabilité. Ici, plus qu’ailleurs. Au Congo, nous baignons dans une médiocrité d’atmosphère. Il est rare de rencontrer des personnes talentueuses qui ont une éthique du travail et savent résoudre des problèmes.
Ceux qui, comme toi, réunissent toutes ces qualités ont la responsabilité d’en faire profiter à la communauté.
Ditunga et Ngandajika ont besoin de ton talent. Exprime-le du mieux que tu peux. Une remise en question permanente est nécessaire.
Exceller, c’est se demander chaque jour comment faire mieux que la veille.
Jeune journaliste à Radio Okapi, je passais une partie de mes nuits à «refaire le match», c’est-à-dire à revoir tous les articles que j’avais rédigés dans la journée et me demander si le titre aurait pu être meilleur ou si l’entame du papier était suffisamment percutante.
Je t’avoue que c’est épuisant. Mais c’est terriblement efficace.
Cher Michel,
Ditunga et Ngandajika ne doivent pas être tes seuls horizons. Ceux qui excellent à RFI, Europe 1, RTL, France Culture ou France Info ont commencé comme toi. Tu peux devenir comme eux. Je te le souhaite. Vise le plus haut possible. Ta volonté, ton talent, ton engagement et la Providence décideront jusqu’où tu iras.
Donne-toi le temps d’apprendre. Sois patient. «Tout ce qui doit durer est lent à croître» est une belle phrase de Louis de Bonald.
Je terminerai ma lettre sur cette note.
Tu as sûrement noté mon appétence pour le temps long et la lenteur, a contrario de la vitesse. Ne cède pas à l’hystérie contemporaine de la vitesse, le nouveau «veau d’or».
«Le degré de la vitesse est directement proportionnel à l’intensité de l’oubli. Le degré de la lenteur est directement proportionnel à l’intensité de la mémoire.»
Milan Kundera a déjà tout dit.
Je te suggère de faire le choix de la mémoire et de la robustesse plutôt que celui de la vitesse et de l’oubli. Prends le temps de faire ton travail avec soin, peu importe le temps que ça te prendra.
«Tout ce qui doit être fait mérite d’être bien fait». C’est dans la bouche de mon enseignant de philosophie de la sixième année que j’ai entendu cette phrase pour la première fois. Elle ne m’a jamais quitté.
Bien faire exige un engagement de chaque instant, une volonté tenace, le grit et une ambition sans prétention mais sans peur.
Je ne doute pas que tu vas y arriver. Apprends des autres. Apprends de la vie. Apprends des livres.
Bonne chance pour la suite.
Et plein de succès à toi !
Illustration: Michel Cyala et Joël Bofengo dans le studio de Radio DItunga le dimanche 20 juillet 2025. ©Yusto Kilabi
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