Merci, Ogo !
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«Lui, c’est Jean-Didier. Vous allez travailler ensemble. Je vous laisse faire connaissance.» C’est comme cela qu’Axel nous a présenté l’un à l’autre. On échange quelques propos insignifiants. Puis on se sépare. Je venais de passer quatre mois de stage à Radio Okapi et un mois de pige. Toi, tu y avais travaillé quelques années auparavant. Mais le destin t’avait conduit ailleurs. Quand la Fondation Hirondelle a décidé de faire vivre véritablement le site Web de la radio, nous sommes tous les deux embauchés.
«Les hommes font l’histoire. Mais ils ne savent pas l’histoire qu’ils font.»
Si on m’avait dit que ce matin-là de mars 2011 où Axel nous a présenté l’un à l’autre que venait de commencer ma belle expérience professionnelle, j’aurais émis quelques doutes.
Tu étais curieusement timide. Encore un peu, j’aurais cru que tu frimais. Mais toi, tu ne frimes pas. Ce n’est pas ton genre. En ce moment-là, je ne le savais pas.
Les nuitards
Mais je ne vais pas tarder à le savoir. Quand on commence à bosser, nous habitons dans le même district de la Tshangu. Nous embarquons dans le même bus le matin pour aller à la radio. On discute. On rigole. On apprend à se connaître. Tu me parles de ta famille. De tes parents. De tes frères et sœurs que je rencontre rapidement à l’occasion d’une fête de famille où on finit dans une boite de nuit pourrie de «Kingasani ya suka».
Fini donc «Jean-Didier». Je découvre «Ogo», la «Star». Tu aimes faire la fête, rigoler, taquiner, mettre l’ambiance.
Mais par-dessus tout, tu aimes le travail. C’est notre premier point commun.
J’ignore qui a eu l’idée de faire appel à nous deux pour accompagner Axel dans cette «révolution» du Web de Radio Okapi. Il mérite une bière bien fraîche dans la chaleur de mars de Kinshasa.
La bière, tu n’en prends pas. En tout cas, pas depuis que je te connais. Mais tu me racontais que dans une précédente vie, tu chauffais le four.
Te rappelles-tu ce soir où nous avons débarqué à minuit dans un bar à N’djili quartier 1. Nous étions les seuls clients. Je ne te l’ai jamais raconté. Quand nous nous séparons, il est 1 heure du matin. Tu dois aller à «Kingasani ya suka». Moi, au quartier Maviokele à Kimbanseke.
De N’djili Sainte Thérèse- où l’unique taxi que je trouve me dépose- jusqu’au domicile familial (vingt minutes de marche), je ne croise qu’une seule personne. Probablement l’effet de l’alcool. Je crois voir, à trois cents mètres de moi, un homme en tenue militaire qui me guette. Je m’arrête pour surveiller ses mouvements. Quand je ressors de ma cachette (la paroi latérale d’un petit commerce), je le vois aussi pointer son nez. La scène se répète trois fois. Finalement, je décide de poursuivre quand même mon chemin. Il fait de même. Quand on se croise, je me rends compte qu’il s’agissait d’un autre nuitard bien sapé et qui sent l’alcool comme moi. Pas un bandit ou un militaire.
«Frères d’armes»
Il m’arrive de me demander aujourd’hui comment on faisait pour rentrer tard et être frais le lendemain et faire les prestations que l’on faisait. C’est peut-être le signe que nous avons vieilli.
Car, côté boulot, on assurait. Et grave.
Te souviens-tu de la journée électorale du 28 novembre 2011 ? Je travaillais en journée. Toi, en soirée. Après le LIVE que nous avons proposé sur le site entre 8 heures et 19 heures- avec le précieux appui de Nicolas Boissez, venu de Lausanne-, tu as rédigé un excellent résumé de l’émission «Dialogue entre Congolais», consacrée à cette journée électorale.
Tu dois te demander comment je m’en souviens encore. A l’époque, j’étais probablement ton plus fidèle lecteur. Je lisais tout ce que tu publiais. Je tentais de découvrir ton style. Ce que tu faisais et que moi je ne faisais pas. Tes tournures. Tes expressions.
Quand tu animais un LIVE le jour d’un match de foot, c’est ce live que je suivais. Pas le mach à la télé. Comme nous avions établi une rotation, le match d’après, je tâchais de faire mieux que toi. Je notais ce que je n’avais pas aimé. Et ce que je pouvais copier.
Nous étions amis. Mais nous étions surtout des professionnels. Des jeunes gens qui étaient à la recherche permanente de la perfection.
Lors de nos réunions quotidiennes du matin, l’amitié n’avait plus sa place. Si je n’avais pas aimé un papier que tu avais publié, je te le disais devant toute la rédaction. Je me le permettais parce que je te savais trop intelligent pour confondre une remarque professionnelle avec une marque d’inimitié.
Je n’ai plus retrouvé cette ambiance intellectuelle après, quand j’ai quitté le Web.
«Indomptables»
Il y a quelques semaines, quand tu m’annonçais ton départ de la radio, tu m’as écrit : «Tu m’as boosté vers l’excellence». Tu as fait pareil pour moi. Notre émulation nous a rendus meilleurs.
Axel a eu l’intelligence de nous pousser vers le haut. Sans jamais nous mettre en compétition. Ni jouer l’un contre l’autre. Comme c’est devenu le mode de travail de certains managers.
Mon plus grand souvenir comme éditeur au Web de Radio Okapi a été la couverture du Championnat d’Afrique des nations de foot 2016, remporté par la RDC. Tu avais fait le LIVE pour le premier match des Léopards. Moi, le deuxième. Et ainsi de suite jusqu’en finale.
Je me demande encore comment on trouvait cette énergie. On faisait l’avant-match : ambiance dans la ville de Kinshasa, compo, réactions. Le match. Et l’après-match : résumé, réactions des joueurs et coaches, ambiance dans la ville.
Rien ne nous faisait peur. On tentait des choses. On prenait des initiatives, convaincus de bien faire et rassuré par l’intelligence d’un superviseur qui faisait confiance à des collaborateurs dont il était convaincu du talent et de la volonté d’aller de l’avant.
Aux côtés de Freddy que nous avions trouvé, l’équipe s’est élargie : Lydie, Choukran, Mila, John (qui nous a malheureusement quitté depuis), Emmanuel, Blaise N., Blaise M., François, Daco. L’état d’esprit est resté le même. Et le groupe a gagné en compétences. Il est devenu plus complet. Plus compétitif.
Il m’arrive de sourire aujourd’hui quand je parcours les principaux sites Internet d’actualité en RDC. Pas grand-chose ne m’impressionne. Je ne vois que peu d’innovations. Des tweets des personnalités politiques transformés rapidement en article.
Avec le temps, Axel- sous ton insistance- avait fait évoluer notre travail. Il fallait faire autre chose que de relayer l’actualité. Il fallait aussi «faire l’actualité».
«Mon cher, on va faire des dossiers», répétais-tu avec ton optimisme que rien n’ébranle.
Je relis souvent ton article sur la journée du 4 janvier 1959. Et le récit du professeur Léon de Saint Moulin que tu avais interrogé.
Le travail du journaliste, c’est d’expliquer, de raconter, de donner des clés de compréhension d’un monde pas toujours compréhensible.
Merci, Ogo
Etienne Tshisekedi, Mobutu, etc. Nous nous sommes jetés sur leurs histoires pour essayer de donner à voir et à comprendre. Dans ce monde où l’histoire cède de plus en plus le pas sur la mémoire, le journaliste se doit aussi de rappeler les faits qui permettent au public de mieux comprendre l’histoire et le parcours de ces personnalités qui ont fait l’histoire de notre pays.
Ce défi-là aussi, nous l’avons relevé.
Si je t’adresse ce billet sur mon blog, mon cher Ogo, c’est pour te dire MERCI.
Merci pour cette belle aventure dont j’ai gardé une leçon : «Quand on refuse le confort du renoncement, il n’y a pas de fatalité».
Rien ne condamne un groupe ou une entreprise à dépérir. Sauf si ses membres renoncent à assumer leur ambition, avec courage, talent et stratégie.
Nous avions une ambition : être meilleurs tous les jours.
Ça donnait lieu à des scènes surréalistes. Un samedi soir alors que nous prenions un verre à Bandal, Axel a demandé si on devait publier à la Une du site les résultats du deuxième tour de la présidentielle française qui devait avoir lieu le lendemain (Sarkozy vs Hollande). Je n’étais pas tout à fait d’accord. Toi, si. C’était deux contre un. Ce sera fait. C’est ce soir-là que j’ai découvert dans la bouche d’Axel que les médias belges diffusaient les sondages de sortie des urnes un peu plus tôt que leurs homologues français que la loi contraint de ne rien diffuser avant 20h00.
J’aurais tant à écrire sur cette aventure que j’ai vécue à tes côtés sous la supervision d’Axel. Mais il faut bien que je m’arrête.
Bon vent à toi, mon ami. Pour ta prochaine aventure professionnelle, je te souhaite au moins autant de plaisir et de passion que ce que nous avons connus ensemble, en travaillant au service Internet de la Radio Okapi.
Embrasse pour moi, Tshala et les enfants…
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