L’urgence et l’essentiel
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Avez-vous déjà noté combien de fois dans notre vie quotidienne, il nous est suggéré que ce que nous avons sous les yeux est urgent. Désormais dans la presse, les informations de dernière minute portent systématiquement la mention «URGENT». Nos messageries professionnelles sont remplies des mails présentés comme «URGENT».
Pendant mes vacances, je me coupe d’Internet. C’est amusant de voir avec du recul combien, un mois après, des mails annoncés comme étant «TRÈS URGENT» n’avaient finalement rien d’urgent.
Je ne suis pas en train de vous dire que dans la vie, il n’y pas d’urgence. Non. Mais force est de constater que notre rapport au temps est tellement dégradé que nous en avons perdu l’essentiel.
Nous dilapidons tellement notre temps que nous sommes surpris quand il vient à nous manquer, obligeant les autres à s’accommoder à nos caprices, érigés du même coup en urgence.
De retour de mes dernières vacances, j’ai trouvé dans ma messagerie le courriel d’un ami qui me demandait de relire un texte qu’il devait faire paraître dans un journal d’un pays voisin. Le message se terminait par : «Sans te mettre la pression, je compte sur toi pour que tu me renvoies le texte en fin de journée. C’est URGENT». Le mail datait du 20 février.
Dans le mail que j’ai rédigé pour m’excuser, j’ai dit à mon ami que je regrettais de ne pas l’avoir aidé. Que j’étais en vacances. Et que je ne pouvais pas voir son mail.
Mais je l’ai aussi interrogé sur la fin de son mail «C’est URGENT». Non pas que j’aie trouvé la formule déplacée. Tous les jours, je reçois des mails avec cette mention. J’y réponds généralement dans la minute.
«Le temps, c’est de l’argent»
Mais je dois avouer que j’ai de plus en plus de mal avec cette façon de faire. Mon constat est peut-être faux. Mais je vous le partage. Depuis l’apparition des outils de communication instantanée, j’ai le sentiment que nous sommes comme pris par une frénésie de l’urgence. Nous exigeons désormais tout, tout de suite : le repas, le taxi, les réponses aux mails et aux messages WhatsApp, etc. J’en connais qui guettent littéralement les deux bandes bleues qui indiquent qu’un message Whats’App a été lu. Et qui appellent au bout de quelques minutes pour demander pourquoi ils n’ont pas encore reçu de réponse.
Tout ça part peut-être d’un bon sentiment – comme souvent. Le collègue veut rapidement une réponse à son mail parce qu’il reçoit la pression d’un superviseur. Nous exigeons que notre commande arrive rapidement parce qu’attendre plus longtemps au restaurant, c’est s’exposer à manquer son train ou être bloqué dans des embouteillages. Puis rater sa série préférée ou son match de football.
A l’ami qui arrive en retard au rendez-vous, on assène : «Le temps, c’est de l’argent». Ce qui est faux. Le temps, c’est le temps. L’argent, c’est l’argent.
C’est Xavier Alberti qui exprime au mieux ce qui nous arrive. Nous sommes «happés par les emplois d’un temps trop court pour y accueillir tout ce que nous devons y faire». Transport, sommeil, familles, travail, études, loisirs, écrans. Beaucoup trop d’activités à juxtaposer en l’espace de 24 heures. Certaines sont essentielles. D’autres, non.
Une étude de Santé publique France que j’ai lue sur le site Internet du «Point» mentionne que les Français passent en moyenne cinq heures par jour devant leurs écrans. Une autre étude indique qu’un Français consulte en moyenne 2 716 fois par jour son téléphone (près de deux fois par minute). Je ne dispose pas de chiffres pour le Congo. Mais dans certains milieux dans les grands centres urbains du pays, on ne devrait pas être loin de ces chiffres.
Variable d’ajustement ?
Dans une journée de 24 heures, passer trois, quatre ou cinq heures devant des écrans oblige forcément à raccourcir la durée des autres activités.
Conséquence :
«Nous ne sommes plus maîtres de rien, ni de nous, ni de ce que nous faisons, juxtaposant les activités jusqu’à l’absurde. C’est ainsi que nous finissons par téléphoner en conduisant, travailler en voyageant, smartphoner en mangeant, manger en marchant, marcher en lisant».
C’est ainsi aussi que nous en sommes venus à sacrifier l’essentiel à l’urgence. A force de regarder notre téléphone pour y découvrir les derniers messages WhatsApp ou les dernières informations, nous gaspillons notre temps de travail. Travail qu’il faut obligatoirement achever. Conséquences : des journées de travail rallongées, des rendez-vous écourtés, des promesses oubliées.
Comme le dit encore si justement Xavier Alberti, «le temps n’est pas une variable d’ajustement» :
«Lorsque nous croyons le raccourcir, nous pesons sur autre chose que lui, sur la famille, sur le couple, sur la civilité, sur la terre, sur l’humain, sur l’animal ou sur nous-mêmes, notre santé ou notre équilibre.»
Et quand nous nous croyons malin en pensant gagner sur le temps, nous le faisons payer à quelqu’un ou quelque chose d’autre : son épouse, ses enfants, sa culture, sa santé, Dieu.
C’est le résultat d’une utilisation irréfléchie de notre temps. Une hiérarchisation désordonnée des priorités. Je n’ai rien contre les réseaux sociaux. Ce sont des outils fort utiles que nous gagnerons en les manipulant de manière efficiente. Mais y passer des heures tous les jours nous oblige à aller voler ensuite ce temps ailleurs. Les livres que l’on ne lit pas, «faute de temps». Les discussions calmes et apaisées avec son conjoint qu’on reporte sans cesse, «faute de temps». Des choses essentielles que nous remettons à plus tard, «faute de temps».
Si les moyens de communication ont été inventés pour nous permettre de «gagner du temps», force est de constater que ce gain de temps est tout de suite incinéré devant «les écrans de nos vanités affichées».
«Tout ce qui est destiné à durer croît lentement»
J’entends souvent des amis et collègues se plaindre de la vie qui serait plus dure qu’avant. C’est faux. La vie a toujours été difficile. Non, les sollicitations ne se sont pas décuplées. Le temps ne passe pas plus vite qu’avant. Le mariage a toujours été compliqué. Les femmes ne sont pas plus exigeantes qu’avant. Si c’est le cas, c’est pareil pour les hommes.
La phrase «Parle rapidement. Je dois partir», devenue la marque de femmes et d’hommes pressés, ne fait que traduire notre incapacité à nous gérer, c’est-à-dire à définir nos priorités.
J’en vois pendant la messe qui sortent leurs téléphones pour répondre à des messages WhatsApp ou un mail professionnel. Ça m’afflige. C’est peut-être un message important. Mais là n’est pas la question. Tout dans l’Église doit nous rappeler qu’il n’y a rien de plus important que Dieu.
La question est : qu’est-ce qui est essentiel à tes yeux ?
«A force de sacrifier l’essentiel à l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel», écrit Edgar Morin.
L’intrusion des moyens de communication instantanée dans notre quotidien a bouleversé nos modes de vie. Nous voulons aller vite. Trop vite. Nous agissons constamment dans l’urgence, ajoutant le désordre au chaos de nos existences.
Car après tout, le temps est fait pour que nous en profitions. Pas pour que nous courions derrière. Course illusoire d’ailleurs parce que jamais nous ne le rattraperons.
Dans notre ambition de devenir riche ou célèbre ou les deux, on oublie de plus en plus souvent que rien de durable ne se bâtit dans la précipitation. «Tout ce qui est destiné à durer croît lentement».
Une vie, une amitié, un mariage, une maison, ça se construit. Il n’y a pas de raccourci. Pas de mode «URGENT».
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