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Lire, écrire et compter. L’école doit revenir aux fondamentaux

Photo d'une école en RD Congo.

Lire, écrire et compter. L’école doit revenir aux fondamentaux

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Le recteur de l’Université officielle de Mbuji-Mayi, l’abbé Apollinaire Cibaka, utilise une excellente formule pour parler de l’université, «une république de chercheurs et de serviteurs de la vérité».

La formule fait échos à l’un de mes aphorismes préférés : «Je fais plus confiance aux personnes qui cherchent la vérité qu’à celles qui l’ont trouvée».

La vérité est, en effet, une quête. Jamais finie. Et c’est tout le sens de l’éducation qui nous donne continuellement les outils pour mener cette quête. L’instruction est l’un de ces outils.

Savoirs fondamentaux

Ceux qui ont l’habitude de lire ce blog ont sans doute déjà remarqué mon intérêt non dissimulé pour les questions liées à l’éducation et à la formation.

Un précédent billet portait le titre : «L’école, la bataille que nous ne pouvons pas perdre».

Si mes souvenirs sont bons, c’est en classe de troisième année au collège Bonsomi que Guillaume Nganzi a commencé à nous initier à ce que l’on appelait alors la «rédaction». Pas encore la dissertation. Non. Elle viendra un peu plus tard. Mais ces textes que l’on rédige suivant une certaine logique (introduction-développement-conclusion), à partir d’un sujet, d’un thème, d’une citation.

«L’instruction est la clé qui ouvre la deuxième porte de notre liberté». Je n’oublierai jamais cette citation. M. Nganzi nous avait demandé d’épiloguer là-dessus. Nous avions tout le week-end pour le faire.

Je ne me souviens plus du tout du contenu de ma «rédaction». Mais j’ai gardé la phrase.

La condition de la liberté, c’est la connaissance. Et c’est justement pour cette raison que nous allons à l’école : pour apprendre. A deux niveaux : l’apprentissage du savoir élémentaire qui, dans le deuxième temps, nous ouvre la porte de l’apprentissage personnel, par la curiosité intellectuelle.

Dans un autre texte publié sur ce même blog, j’ai écrit : «Tout le cursus scolaire a pour seul but d’amener l’élève à développer la pensée libre et critique. Et la curiosité est la condition pour la construction de cette pensée».

Mais il s’agit d’un long cheminement qui ne s’achève jamais. La pensée critique ayant pour caractéristique principale la remise en question permanente de ce que l’on sait. La curiosité intellectuelle n’ayant pas de limite.

Et le point de départ de ce cheminement est l’acquisition des savoirs fondamentaux : lire, écrire et compter.

L’école est bâtie sur le principe de la difficulté graduelle. Nous apprenons en commençant par les choses les plus simples pour aboutir aux choses les plus complexes.

C’est pour cette raison que lire, écrire et compter constituent les apprentissages fondamentaux. On ne peut pas aller plus loin dans l’apprentissage si on ne les a pas correctement assimilés.

Sur le site Internet du gouvernement français, on peut lire sur la page dédiée à «l’école élémentaire» :

«La maîtrise de la langue française et des premiers éléments de mathématiques sont les objectifs prioritaires de l’école élémentaire pour permettre aux élèves d’accéder aux outils fondamentaux de la connaissance.»

Les législateurs congolais ne s’y sont pas trompés. Il est mentionné dans notre constitution (comme dans celle de la plupart des États modernes) que «l’enseignement primaire est obligatoire et gratuit dans les établissements publics».

L’État a le devoir de s’assurer que ses citoyens ont, au minimum, eu accès à l’enseignement élémentaire. C’est autour de ce savoir qu’ensuite tout se construit.

Connaître la langue, une nécessité

Il y a quelques semaines, j’ai été présenté à un jeune homme qui, m’avait-on fait savoir, écrit des poèmes. Je devais le mettre en relation avec une organisation qui avait besoin d’un texte en vers pour un évènement.

Je demande donc au jeune homme de rédiger trois textes différents autour du thème choisi par l’organisation pour célébrer cet évènement. Comme prévu, il me les fait parvenir quelques jours après par mail. Quelle ne fut pas ma surprise de constater que les textes étaient truffés de fautes d’orthographe. Des fautes qui, à certains endroits, changeaient carrément le sens même du texte. Quand je l’interroge (cette fois, on se voit en tête-à-tête) sur ces fautes, il me répond que l’ordinateur sur lequel il a travaillé ne disposait pas de correcteur automatique que Windows propose notamment pour son logiciel Word. J’en ai été choqué. Je le lui ai dit. Pour seule réponse, j’ai entendu : «Mais, c’est fait pour nous faciliter la vie, non ?». Je n’ai rien dit.

J’entends souvent cette phrase, notamment à Kinshasa : «Ko yeba français eza mayele te» (en français, ça donnerait «parler correctement le français ne traduit pas forcement une certaine intelligence»). Prise comme cela, la phrase ne me choque pas.

En revanche, on ne peut pas séparer la maîtrise d’une langue du processus d’apprentissage et de construction d’une pensée libre et critique. Essayer de le faire est un non-sens.

Voici pourquoi. La langue est plus qu’un simple instrument de communication. C’est pour cette raison que lire et écrire font partie du savoir fondamental. C’est la grammaire qui nous offre les instruments de la construction de la pensée. On ne peut pas penser rigoureusement sans disposer à la fois du lexique nécessaire et d’une maîtrise de la grammaire et de la conjugaison.

Plus haut, j’ai indiqué que le processus d’apprentissage était graduel. Nous apprenons d’abord les lettres de l’alphabet pour finir par rédiger une dissertation. Ce qui veut dire que sans l’un, l’autre n’est pas possible.

Comment exprimer clairement ses idées si on ne dispose pas d’un lexique conséquent ? Comment construire rigoureusement des raisonnements sans une maîtrise de la grammaire ? 

Invité sur le plateau de France Info en septembre 2020, l’économiste français Jean-Paul Fitoussi faisait remarquer, à raison, que «l’appauvrissement de la langue conduit à l’appauvrissement de la pensée».

Nos mots disent notre monde 

C’est la langue qui nous sert d’outil pour exprimer notre pensée. Les mots servent à dire le monde. Moins on en maîtrise, plus notre monde est réduit. Plat. Sans substance. Sans nuance.

Et ce ne sont pas les formules toutes faites (qui ne veulent rien dire, par ailleurs) que la presse nous sert désormais avec une désinvolture maladive qui vont compenser la destruction de la langue : «Renforcement des capacités». «Sensibilisation». «Route en état de délabrement très avancé». «Disponibilisation».

Dans le langage courant, c’est plutôt «Y a pas de souci», «Un truc de ouf», «Et donc» (répétitif), «Y a quoi ?».

Depuis quelques années, c’est devenu un sujet de plaisanterie sur les réseaux : des copies de dissertation des élèves de classe terminale sont diffusés. Moi, ça ne me fait pas rire.

Et cela ne devrait faire rire personne. D’autant que nous sommes tous coupables. Les aînés qui se mettent à parler une langue décousue pour faire jeune, donnant ainsi aux plus jeunes l’impression que mal parler était un signe de vitalité et de jeunesse (certains diraient : ça fait branché). Les médias dont on s’interroge tous les jours sur la langue exacte avec laquelle ils diffusent les nouvelles tellement elle est de plus en plus éloignée du français (Vous aurez remarqué que je parle ici essentiellement du français. C’est la langue de l’enseignement au Congo. Hubert Védrine parle dans son «Dictionnaire amoureux de la géopolitique» du «Globish» qui prend de plus en plus la place de l’anglais- à chacun ses problèmes). Les hommes de culture qui empruntent le parler et les intonations de certains milieux en Afrique de l’Ouest pour faire rire.

Bref, parler et écrire correctement est devenu une anomalie.

Je me suis souvent fait reprocher le fait d’écrire mes messages (SMS, Whats’App) sans jamais recourir au langage SMS (bjr, slt, cmt, qlq, dsl.) ni aux diverses simplifications de la langue, devenues littéralement une autre langue.

Une phrase, c’est Sujet-Verbe-Complément. Monsieur Amuri s’est donné trop de mal pour que j’en vienne à troquer l’effort qu’exige une expression correcte pour un parler désordonné et déstructuré.

L’école doit donc redevenir ce qu’elle doit être : un lieu d’apprentissage du savoir et de la transmission du goût de la culture, de la curiosité et de l’effort intellectuels.

Mes amis qui enseignent dans les universités et instituts supérieurs se plaignent continuellement du niveau de leurs étudiants dont la plupart sont incapables de rédiger un texte de 500 mots en un français compréhensible. L’université n’est pas le lieu où les jeunes devraient apprendre à écrire.

Cette question doit être prise au sérieux. C’est l’avenir du pays qui est en jeu. L’école congolaise sort de plus en plus des personnes inaptes à la science, à la pensée et à la culture.

On n’invente pas les hommes. Ce sont les jeunes qui sont à l’université aujourd’hui qui vont gouverner le Congo demain. Ils seront journalistes, médecins, enseignants, avocats, architectes, diplomates, psychologues, pharmaciens, écrivains, scénaristes, etc. C’est sur eux que va reposer la responsabilité de faire fonctionner le pays. Sans formation de qualité, ils seront juste un fardeau pour le pays. Rien de plus.

5 comments

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Tania Mulenda Bofengo

On devrait sérieusement y réfléchir.

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Kitumua eric

En te lisant mon très cher ami et chevalier de la plume, j’avais des larmes aux yeux. Et je ne pouvais m’en retenir.
Ces notions fondamentales, ces pré-requis sont indispensables et indissociables de la vie. La vie n’est-elle pas un long chemin d’apprentissage ?
Force est de constater amèrement comment la jeunesse de notre pays est devenue médiocre dans beaucoup de domaines et bien d’aspects de la vie courante, partant du domaine intellectuelle pour en arriver au domaine relationnel. Les jeunes qui ne savent ni lire, ni écrire et /ou du moins savoir s’exprimer correctement, exprimer leurs idées, leurs sentiments, etc. Ils ne savent que le grossier et le vulgaire.
Je me suis rappelé de toutes ces années que j’avais passées dans l’enseignement secondaire, partant de la 3ème (aujourd’hui 1ère) jusqu’aux classes terminales . Chaque jour, j’étais en face d’élèves qui avaient des lacunes très ancrées et qu’il me fallait souvent deployer tant d’efforts intellectuels et énergiques pour leur inculquer les notions prévues à leur niveau correspondant. Des élèves qui ne savaient pas s’exprimer, ni écrire ni parler couramment français (ne parvenant même pas à tenir une simple conversation en français pendant 5 ou 10 minutes). « Français ya bien na poto, na France », objectaient-ils souvent. Chaque année la tendance etait toujours dans le sens de la courbe descendante, la barre atteignait le niveau de plus en plus bas.
L’apprentissage est devenu très difficile. Que dire de la mise en oeuvre ou pratique des connaissances et des notions assimilées ? La réalité actuelle en dit long. Des enseignants médiocres (l’argent prend le devant quand il s’agit de donner des notes réelles et méritées aux élèves), des médecins incompétents qui cachent leur médiocrité dans leur écriture appelée « je ne sais même comment » quand il faudrait lire leur rapport et leur prescription ou bon d’examens; et plus malheureux encore aux dommages importants qu’ils font subir aux patients : combien de personnes sont-elles mortes et continuent de mourir à cause de leurs erreurs cliniques ? Que dire des autres domaines ?
C’est le moment de revenir à ces bases fondamentales de l’apprentissage. C’est très impérieux et judicieux de le faire.
Les autorités compétentes et aussi chacun de nous sommes tous interpellés.

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