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Lettre à un élève furieux, après un examen raté

Lettre à un élève furieux, après un examen raté

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Cher ami,

Je ne te connais pas. Mais je te comprends. L’affirmation peut paraître curieuse, je le concède. Je suis parmi ceux qui soutiennent que pour comprendre, il faut connaître.

Mais si dans ton cas, je puis dire que je te comprends, c’est parce que comme toi, il y a plusieurs années maintenant, j’ai ressenti ce que tu ressens. J’ai vécu ce que tu vis.

Et même si chaque expérience humaine est singulière, passer sur le banc de l’école nous donne la certitude d’être le maillon d’une longue chaîne qui a commencé bien avant nous et qui doit se poursuivre après nous. C’est cette certitude-là qui, par exemple, m’oblige à m’arrêter pour aider des jeunes élèves à traverser la chaussée. Comme d’autres l’ont fait pour moi. J’étais haut comme trois pommes. Et je devais traverser tous les jours le boulevard Lumumba pour aller au Complexe scolaire Cardinal Malula à Kinshasa. Il y avait toujours un aîné (une maman, un papa, un grand-frère) qui me prenait la main et m’aidait à traverser cette voie de circulation qui me paraissait immense.

L’échec fortifie l’effort

C’est la même certitude qui me pousse à prendre la plume (désolé pour le jeu de mots) pour t’écrire alors que tu ne dois pas être d’humeur à lire quoi que ce soit. Vendredi, ai-je appris, tu es rentré à la maison, tout furieux d’avoir raté ton examen. Quatre sur vingt. C’est la note que tu as obtenue.

Laisse-moi te dire que je suis content.

De te voir échouer ? Non. Evidemment.

De constater que tu es furieux quand tu n’obtiens pas une bonne note. C’est la preuve que tu n’es pas à ta place quand tu échoues.

Dans ta vie d’élève aujourd’hui, puis celle d’étudiant demain, et celle de professionnel, après-demain, l’échec ne doit jamais te convenir. Toujours l’échec doit te rendre furieux. Contre qui ? Contre toi-même. Comme Rocky le dit à Adonis dans «Creed. L’Héritage de Rocky Balboa», ton adversaire, c’est celui que tu vois quand tu te regardes dans un miroir. C’est lui que tu dois battre. «Tu vois ce gars-là, c’est l’adversaire le plus coriace à qui tu auras affaire», souffle Rocky désignant le miroir devant lequel Adonis doit apprendre à esquiver des coups.

S’il y a des passages de cette lettre que tu ne comprends pas, ne t’agace pas. Elle est écrite pour que tu la lises toute ta vie. Comme l’école nous accompagne toute notre vie.

«Il y a deux réalités dont on ne se remet pas : la famille et l’école. Toutes nos aptitudes au bonheur et au malheur viennent de là. Tout notre amour et toute notre haine», écrit Stéphane Laporte.

Si nous ne nous remettons pas de l’école, c’est parce que notamment nous y apprenons les lumières sans lesquelles notre vie ne serait qu’obscurité.

C’est à l’école que j’ai eu le goût des aphorismes. Je les retranscrivais sur les dernières pages de mes cahiers de notes. Et l’un des premiers aphorismes que j’ai repris est : «l’échec fortifie l’effort».

Je devais être en quatrième année primaire, nous avions une interrogation de calcul mental. Alors que je suis plutôt à l’aise dans l’exercice et que j’ai bien révisé mes cours, je me mets à paniquer. Sans trop savoir pourquoi. A chaque question, j’ai le sentiment d’avoir quelques secondes de retard pour noter rapidement la réponse et soulever à nouveau le bras en attendant la prochaine question, comme l’exercice l’exige. A la fin, j’ai trois vides et trois mauvaises réponses. Quatre sur dix. Je suis furieux.

Mon enseignant, qui l’a remarqué, me glisse à l’oreille pendant qu’il distribue les copies corrigées : «l’échec fortifie l’effort». Mon effort à moi depuis cette interrogation-là a été de rester maître de moi pendant les moments de grande pression. Ne pas céder à la précipitation. Rester calme. Gérer l’urgence sans perdre sa lucidité. Ne pas céder aux sirènes de l’immédiateté forcément dévorante.

Plus tard, je noterai dans mes carnets à spirale qui vont remplacer les dernières pages de mes cahiers de notes : «Plus on se hâte, moins on avance».

Tire les leçons de ton échec de vendredi et garde-les pour toujours. Ce sera le début de ton prochain succès.

Devenir quelqu’un  

Mon cher ami,

Les mauvaises notes qui te font pleurer aujourd’hui jusqu’à te faire regretter d’aller à l’école vont te faire sourire demain. Quand tu auras mon âge, tu sauras que l’échec est formateur. Il te pousse à te remettre en question, à changer de chemin, à prendre des risques, à quitter le confort de tes certitudes pour aller vers d’autres horizons. Plus incertains. Moins confortables.

En cinquième année secondaire, alors que je suis la filière scientifique (Mathématiques-physique) au collège Bonsomi, j’échoue en géométrie descriptive. Je dois passer un examen de «repêchage». Ça fait tâche. L’un des meilleurs élèves de la promotion qui échoue en «dessin scientifique», comme on l’appelait, c’est proprement inexplicable. Serait-ce de la négligence ? Non. Elle ne m’a jamais caractérisé. Ni à l’école. Ni au travail.

Et si je n’étais pas fait pour ça ?

Quand tu es en cinquième année secondaire, tu es plus ou moins certain de ce que tu veux faire à l’université. Au demeurant, on ne te parle plus que de cela à la maison. Mes oncles et tantes sont convaincus qu’au regard de mes résultats, je dois faire médecine ou polytechnique.

Dans ma tête, ça gamberge. Je n’avais pas choisi la filière scientifique. Dans mon collège, l’orientation est décidée par les enseignants sur la base de tes résultats. Je n’avais pas le choix. Et si j’avais le choix, j’aurais choisi quand même la filière scientifique. Mais pour la suite, je n’étais pas sûr.

Polytechnique. Médecine. Mathématique-informatique. Tout ça ne me disait rien. Je pensais ne pas être fait pour travailler dans ce monde-là.

Pour être tout à fait honnête, quelqu’un avait instillé un doute dans mon esprit. Mon enseignant de français.

En cinquième année, on apprend la littérature négro-africaine. J’y ai pris goût.

Sylvain Malongo, mon enseignant de français dont je vous ai déjà parlé ici, en parle comme d’une histoire que l’on raconterait le soir autour du feu. J’avais déjà un certain goût pour la littérature («La fille du capitaine» d’Alexandre Pouchkine que j’avais lu pour un exercice en deuxième année m’avait laissé un souvenir inoubliable). Mais grâce à M. Malongo, je découvre une vocation.

Mon échec en géométrie descriptive, mon goût de plus en plus prononcé pour la littérature et, pour couronner le tout, la lecture de «L’aventure ambigüe» en dernière année secondaire ont fini par me convaincre que je vivrai de la plume. Et pas du compas.

Surtout qu’entre-temps, mon enseignant de philosophie le père Pierre Bâton m’avait fait découvrir les plaisirs de la pensée. L’entendre parler de Socrate ou de Platon, c’était comme une invitation pour moi. L’invitation à un monde où les idées sont à l’origine de tout. Comme le notent Édouard Philippe et Gilles Boyer dans «Impressions et lignes claires» :

«Au commencement sont les idées. […] Elles peuvent concerner le fond, la vision de la société, […]. En structurant l’action, elles mènent le monde. ‘’Au fond des victoires d’Alexandre, on retrouve toujours Aristote’’, disait le général de Gaulle, à raison.»

C’est cela aussi que l’on apprend à l’école. Emprunter des chemins de traverse. Tomber amoureux de l’histoire alors qu’on est étudiant en médecine.

«Le concept est attrayant. Réunir les enfants en un endroit pour leur apprendre ce que le monde sait. La passation du savoir. Ça a pris des milliers d’années pour que la race humaine comprenne que la Terre est ronde, en un cours, c’est réglé. Il faut juste ne pas être parti aux toilettes. Je sais, on vous bombarde de matières, et vous vous demandez à quoi ça sert. À quoi ça sert le cours d’histoire, si je veux faire médecin ? Le cours de biologie, c’est pour devenir médecin, le cours d’histoire, c’est pour devenir quelqu’un.»

Mon cher ami,

Pendant que tu es en train de «devenir quelqu’un», c’est-à-dire un adulte qui sait que rien ne s’obtient sans effort, que les échecs d’aujourd’hui doivent préparer les réussites de demain et que les superstitions et les croyances doivent sans cesse reculer devant la science et la connaissance, profite de chaque moment que tu passes à l’école.

«Tous les adultes ont le même regret. On fait tous la même erreur. On va à l’école pour en sortir. Et quand on en sort, on se rend compte que ce n’était pas si mal, finalement. On referait tous le même parcours, autrement. En profitant de chaque journée», écrit très justement Stéphane Laporte. Tu ne le sais peut-être pas encore. Mais tu es en train de vivre l’un des plus beaux moments de la vie. Profites-en.

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