«Les soleils des Indépendances». Sylvain Malongo n’avait pas tort…
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La première fois que j’entends parler d’Ahmadou Kourouma, c’est en classe de cinquième année secondaire au collège Bonsomi à Kinshasa.
Mon enseignant de français est un féru de littérature négro-africaine. Sylvain Malongo te parle avec tellement de passion de son amour des textes des grands maîtres du roman africain que son cours ressemble presqu’à une prédication. C’est en tout cas comme cela que je l’ai vécu.
C’est ainsi que je me suis jeté sur «Les Bouts de bois de Dieu» de Sembène Ousmane. Le premier roman qui m’a fait oublier la nuit tellement j’étais pressé d’en connaître le dénouement.
Avec ses airs de prédicateur, M. Malongo avait l’art de raconter un roman sans jamais en dire trop. Juste ce qu’il faut pour te pousser à aller chercher le bouquin et à le lire toi-même.
C’est dans sa bouche que j’entends pour la première fois parler de «Xala», un autre roman de Sembène Ousmane. Et surtout, «Les soleils des Indépendances» d’Ahmadou Kourouma.
J’obtiens malheureusement le bac sans avoir jamais lu ces deux romans dont je gardais pourtant un souvenir vivace du résumé que nous avait présenté M. Malongo.
Les années ont passé. Les rencontres, la curiosité et le hasard m’ont porté vers la littérature russe (Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski est mon écrivain préféré), américaine et française. «Quand l’oiseau disparut» du Sud-africain Alan Paton est le seul roman écrit par un Africain que j’ai lu depuis que j’ai quitté le collège (Honte à moi!).
Merci Ganda !
Pendant la pause que je me suis permis l’été dernier, j’étais décidé : je dois me réconcilier avec la littérature africaine.
A la librairie des Grands Lacs à Kinshasa, je me suis procuré «Le Bel immonde» de Valentin Yves Mudimbe. Je l’ai lu d’une traite. J’ai honte de le dire mais je n’avais pas encore lu Mudimbe. Quelle inconscience !
«Le Bel immonde», c’est l’histoire d’une jeune femme libre et d’un important homme politique qui, malgré son mariage, est prêt à tout pour garder sa maîtresse à ses côtés. Ce sera la cause de sa chute. Achetez ce roman. Lisez-le. Il est très bien écrit.
Autant vous dire que lorsque mes yeux sont tombés par hasard sur «Les soleils des Indépendances» posé sur la table basse du bureau de mon chef Ganda, j’ai vu un signe du destin.
-Tu me le rends quand ?
-Dans deux semaines.
Non. Deux semaines, ce sera trop. Beaucoup trop. J’ai commencé la lecture dimanche. J’ai eu du mal à m’arrêter. C’est aujourd’hui à 4h25 que j’ai refermé la dernière page du roman.
Merci M. Malongo !
«Les soleils des Indépendances» raconte cette Afrique qui déchante au lendemain des indépendances. Avec humour, esprit et justesse. Exactement comme nous l’avait décrit M. Malongo en classe.
Le héros du roman, Fama, est un prince déchu. Issu de la prestigieuse lignée des Doumbouya, il est l’héritier d’une tradition qu’il doit perpétuer. Mais il n’a pas d’enfants. Malgré les sacrifices, les marabouts, Salimata, son épouse ne conçoit pas.
Ce drame personnel qui, dans le récit, se mêle si bien à l’histoire politique de cette République de la Côte des Ébènes où vivent Fama et Salimata est raconté avec un talent rare.
Salimata est décrite comme «une femme sans limite dans la bonté du cœur, les douceurs des nuits et des caresses, une vraie tourterelle ; fesses rondes et basses, dos, seins, hanches et bas-ventres lisses et infinis sous les doigts, et toujours une senteur de goyave verte».
Fama, grand croyant, prie tous les jours à la mosquée pour que son épouse conçoive : «Allah ! Fais, fais donc que Salimata se féconde ! ».
Si Fama n’a pas de descendant, c’est la fin de la lignée des Doumbouya. Un drame auquel le vieil homme acariâtre refuse de se résoudre.
«Les soleils des Indépendances» est de ces romans qu’on lit avec bloc-notes et stylo en main. A chaque page, un bon mot, une sagesse, un aphorisme.
Pêle-mêle :
«A vouloir tout mener au galop, on enterre les vivants, et la rapidité de la langue nous jette dans de mauvais pas d’où l’agilité des pieds ne peut nous retirer.»
«L’or ne se ramasse que par celles qui n’ont pas d’oreilles solides pour porter de pesantes boucles.»
«Un malheur c’est parfois un bonheur bien emballé et quand tout s’use c’est le bonheur qui tombe.»
«On ne rassemble pas des oiseaux quand on craint le bruit des ailes.»
«A trop se mettre en peine pour d’autres, le malheur qui n’était pas nôtre nous frappe.»
«La politique n’a ni yeux, ni oreilles, ni cœur ; en politique le vrai et le mensonge portent le même pagne, le juste et l’injuste marchent de pair, le bien et le mal s’achètent ou se vendent au même prix.»
Je ne vous relaterai pas le dénouement de ce très beau roman. Procurez-vous-en. Lisez-le. Vous m’en direz des nouvelles.
Quant à moi, je continue ma quête des romans africains. J’ai une longue liste tirée de mes souvenirs des cours de M. Sylvain Malongo. Mais n’hésitez pas à m’en suggérer. Vous pouvez utiliser l’espace dédié au commentaire, juste en bas de cette publication. Vous pouvez également m’adresser un courriel à l’adresse suivante : laplumedejoel@gmail.com.
Bonne lecture !
A bientôt !
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