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Le temps des doutes

Le temps des doutes

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-«Papaaaaa !!!»

-Ce n’est pas papa. Salut Matthieu. Ça va ?

-Bonjour madame Jessica.

-Je vous ai déjà dit qu’on ne peut pas dire «Madame Jessica». Mon nom de famille, c’est Kabemba. Soit vous dites «Madame Kabemba». Soit vous m’appelez par mon prénom «Jessica». Ne restez pas là. Entrez, s’il vous plaît.

En arrivant à Kananga, Jessica s’était promis de ne relater ses difficultés d’intégration à personne. Mais elle en souffrait. Le manque d’eau courante et d’électricité lui était insupportable. A Kinshasa, elle avait un groupe électrogène pour parer aux coupures intempestives de courant dans la ville. Deux mois après son arrivée à Kananga, elle devait encore se contenter des deux heures et demi d’électricité fournie chaque jour par la société publique d’électricité. Mais c’est surtout pour sa fille que la jeune dame se faisait du souci. Eunice pleurait la nuit à cause l’obscurité. Habituée à jouer dans une baignoire avec sa maman, la petite devait désormais se contenter d’une petite bassine pour son bain. Plus que tout, c’est son papa qu’elle réclamait désormais. Quand elle voyait un homme entrer dans la parcelle où elle vivait avec sa maman, elle bafouillait un «Papaaa» bien sonore. Ce qui arrachait des larmes à sa mère.

-Le chef m’a dit que vous vouliez que je vous installe un panneau solaire.

-Oui. C’est cela.

-Ici, si vous n’avez pas de panneau solaire ou de groupe électrogène, c’est difficile. On ne peut pas compter sur la SNEL.

Matthieu est un peu l’homme à tout faire au boulot de Jessica. Il s’occupe de l’électricité, de la tuyauterie, du jardin. Il répare tout. Il a été engagé dès juillet 2017 quand «France avec femmes fortes» (FFF) a lancé son projet de soutien et d’accompagnement des victimes des violences sexuelles au Kasaï. A l’époque, François Héritier, responsable du projet dans la région, venait d’arriver à Kananga. Il devait rapidement ouvrir le bureau de FFF pour commencer à suivre les femmes victimes des viols. Kananga se remettait à peine des violences des douze derniers mois. Matthieu lui a été présenté par Pierre Chausson, un compatriote français qui travaillait à la MONUSCO.

 «Matthieu peut vraiment tout faire. Il te sera très utile», avait assuré Pierre à François. L’avenir lui a donné raison. Deux mois après, FFF avait un bureau tout équipé sur l’avenue des ministères à proximité du siège du gouvernement provincial du Kasaï-Central. C’est Matthieu qui a installé les panneaux solaires qui alimentent les locaux de l’ONG une partie de la journée. Un groupe électrogène était également à disposition pour prendre le relai.

-Vous comptez faire quel usage de l’énergie ?

-Juste le basique. Regarder la télévision, avoir de la lumière et pouvoir charger mon ordinateur et mes téléphones.

-Avec 120 dollars, ça ira.

-C’est aussi cher ?

Avec ses 500 dollars américains de salaire mensuel, Jessica n’a pas beaucoup de marge pour ses dépenses. La maison qu’elle loue à la Azda lui coûte 150 dollars. Elle consacre quasiment tout le reste pour l’alimentation et le cosmétique d’Eunice.

Jessica remet finalement les 120 dollars à Matthieu qui promet de tout installer dans les deux jours. Dans son porte-monnaie, il ne lui reste que 80 dollars. La paie, c’est dans 15 jours.

Dans la soirée, alors qu’elle regarde sa petite fille jouer avec sa peluche à l’éclairage d’une lampe électrique rechargeable, Jessica ressent soudain l’envie de se confier, de parler à quelqu’un. Elle n’a plus parlé à sa mère depuis son départ. Elle rejette systématiquement les appels de Marc et de ses amis. Elle ne parle plus à Pamela. A qui se confier ? Elle est tirée de ses rêveries par la sonnerie de son téléphone.

-Allô !

-Bonsoir Jessica.

-Bonsoir Marc.

Depuis que Jessica avait quitté le toit conjugal, elle n’avait plus parlé à Marc dont elle ignorait superbement tous les appels. Mais depuis qu’elle est arrivée à Kananga, elle se sent de plus en plus coupable d’avoir éloigné sa fille de son père.

-Comment ça va ?

-Très bien. Merci.

-Et Eunice ?

-Oui, ça va. Elle se porte bien.

-Tu es partie avec elle sans même m’en informer…

-Si tu appelles pour me faire des reproches, je raccroche immédiatement.

-Non. Non. Ce n’est pas pour ça. Ne raccroche pas. Est-ce que je peux lui parler ?

-Bien sûr !

En voyant sa petite fille, tout sourire, en train de répéter «papa papa» le téléphone collé à l’oreille, Jessica verse quelques larmes. Pour la première fois depuis qu’elle a quitté Kinshasa, elle n’est plus tout à fait sûre d’avoir pris la bonne décision…

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