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La fin du monde ?

La fin du monde ?

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Comme tous les jours, j’ai suivi hier matin la chronique «Géopolitique» de Pierre Haski sur France Inter. Il a tenté d’expliquer l’actualité politique en France à partir de la situation géopolitique dans le monde. Comme vous le savez, arrivé en tête au premier tour des législatives, le Rassemblement national de Marine Le Pen est en passe de gouverner ce pays. Je n’entrerai pas dans les débats sur ce qui est bien ou pas pour la France. Ce n’est pas mon sujet. Les Français ne s’intéressent pas au bonheur ou au malheur des Congolais. Et c’est très bien ainsi.

Mais ce qui m’intéresse dans la chronique de Pierre Haski, c’est l’idée que nous sommes en train de vivre un basculement géopolitique. «Un changement d’époque», pour reprendre les mots du président de Reporter sans frontières.

L’expression «monde d’avant» popularisé par le président Macron prend tout son sens quand on tente de comprendre l’évolution des rapports entre les grandes nations actuellement.

L’ordre politique international que nous connaissons aujourd’hui date de la fin de la seconde guerre mondiale. Et malgré la fin de la colonisation en Afrique, la chute du mur de Berlin et la mondialisation économique, cet ordre n’avait pas été remis en cause. Du moins jusqu’à tout récemment. Car, cet ordre est en train d’être sérieusement bousculé.

Ecoutons Pierre Haski :

«C’est apparent si on observe les relations internationales, avec la tentative russe et chinoise, chacun à sa manière, de changer les rapports de force ; c’est aussi le cas si on observe les puissances émergentes, Chine, Brésil, Inde, ou Arabie Saoudite. Elles réclament toutes une place plus grande à la table des décisions, et pour certaines, veulent la présider avec des velléités hégémoniques.»

Nous assistons à une recomposition complète des rapports de force dans les relations internationales. Pendant longtemps, il fallait choisir son camp.

Un ancien président américain a même déclaré un jour : «Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous». La guerre en Ukraine a fait voler en éclats cette doxa.

Regarder la politique étrangère de l’Inde et de la Turquie, deux alliés des Etats-Unis. Les deux pays ne s’interdisent pourtant pas de nouer des accords avec la Russie, quitte à agacer sérieusement l’Oncle Sam. L’Arabie Saoudite, fidèle parmi les fidèles des Etats-Unis depuis le pacte du Quincy en 1945 entre le président Roosevelt et le Roi Saoud, a rejoint les BRICS.

Dans son très instructif «Dictionnaire amoureux de la géopolitique», Hubert Védrine, ancien chef de la diplomatie française, note que les Occidentaux ont perdu le «monopole de la puissance».

Dans une interview accordée au site Internet «Marine & Océans» le 5 juillet 2022, l’ancien conseiller du président Mitterrand remarque qu’une «quarantaine de pays, représentant 60% de la population mondiale, n’a pas voulu condamner la Russie» après l’invasion de l’Ukraine.

«Sans l’approuver, mais sans non plus soutenir les Occidentaux. Cette réapparition du ‘’non-alignement’’ est le fait politique majeur de la période», explique M. Védrine.

Et cette guerre en Ukraine marque bien la fin non pas du monde. Mais d’un monde. Celui dominé par la puissance occidentale.

Un autre exemple de la fin d’un monde ? La présence militaire française sur le continent africain qui sera réduite à la portion congrue.

Mais il est entendu que la fin d’un monde appelle à la naissance d’un autre.

Dans sa chronique, Pierre Haski a repris une phrase du président chinois Xi Jinping à l’adresse de son homologue russe, Vladimir Poutine :

«Nous vivons dans le monde des changements jamais vus depuis 100 ans, et nous conduisons ces changements ensemble.»

Et de fait, nous sommes en train de voir émerger un monde nouveau.

«La Chine s’est engagée depuis Xi Jinping, il y a une dizaine d’années, dans une course à la puissance globale et a proclamé qu’elle serait la première puissance mondiale au plus tard en 2049. Les Etats-Unis ne peuvent ni ne veulent l’accepter. Mises à part les questions écologiques, encore plus graves, c’est ce bras de fer qui va dominer la scène internationale pendant longtemps», analyse Hubert Védrine.

Le nouveau champ de bataille

Du côté américain et européen, c’est acté. La Chine, c’est «l’ennemi systémique».

En 2022, le chef de la diplomatie américaine Anthony Blinken disait au sujet de la Chine qu’elle «le seul pays qui a à la fois l’intention de remodeler l’ordre international et de plus en plus les moyens de le faire sur les plans économique, diplomatique, militaire et technologique».

A coup de mesures de rétorsion, les Etats-Unis tentent de limiter l’expansion économique de leur rival.

Le retour de la Guerre froide ? Non. En tout cas, pas à mon sens. Parce que de ce je vois, ce monde qui émerge est fondamentalement différent de ce que nous avons connu jusque-là.

Un exemple. Comme je l’ai écrit dans un autre billet, aujourd’hui, les puissances étatiques cohabitent avec les puissances numériques dont personne ne sait encore jusqu’où va les porter leur accumulation de richesses et de données personnelles.

Asma Mhalla est une brillante spécialiste des enjeux politiques et géopolitiques du numérique. Enseignante notamment à Sciences Po et à l’Ecole Polytechnique, elle a publié en février dernier «Technopolitique» aux éditions du Seuil. Elle analyse notamment l’impact des géants du numérique et de leurs créations (intelligence artificielle, réseaux sociaux, implants cérébraux, metavers,…) sur la démocratie et le vivre-ensemble.

Son livre porte comme sous-titre : «Comment la technologie fait de nous des soldats».

C’est ici aussi (je dirai même surtout) que se joue ce monde qui est en train d’émerger sous nos yeux sans que nous n’en prenions vraiment conscience.

Un monde où le cerveau est devenu un champ de bataille comme un autre. Vous l’ignorez peut-être. Mais oui, dans votre cerveau, Facebook, TikTok, Twitter et les autres se livrent une bataille âpre.

Pourquoi pensez-vous que la première chose que vous faites en vous réveillant est de vous jeter sur votre portable ?

Toutes ces technologies qui vous sont présentées comme gratuites et semblent vous faciliter la vie ont tous un seul et même objectif : prendre votre «temps de cerveau disponible». Si précieux pour les publicitaires.

En prenant peu à peu le contrôle de ce temps, «les technologies de l’hypervitesse» – comme les appelle Asma Mhalla – «font de chacun d’entre nous, qu’on le veuille ou non, des soldats».

«Nos cerveaux sont devenus l’ultime champ de bataille, ajoute-t-elle. Il est urgent de le penser car ce n’est rien de moins que le nouvel ordre mondial qui est en jeu, mais aussi la démocratie.»

C’est ce nouvel ordre mondial qui se joue autant à Gaza, dans les eaux de la mer de Chine méridionale et sur les plaines ukrainiennes que dans nos cerveaux qui émerge sans que nous n’en prenions vraiment conscience.

Obnubilés par la vitesse et incapables de nous interroger sur le sens de nos vies et de nos décisions, nous avançons comme des somnambules vers l’inconnue, convaincus de faire le choix éclairé d’une prétendue modernité.

La fin d’un monde… Et la naissance d’un autre qui nous paraît confusément hors de contrôle. Un monde sans «gendarme». Où la menace est à la fois partout et nulle part. Où des virus informatiques peuvent immobiliser des pans entiers de l’économie mondiale comme une pandémie. Où la possession d’une artillerie lourde est aussi importante que l’accès à des satellites pour remporter des guerres. Où 61 % des Français estiment que «leur moitié passe trop de temps sur son téléphone portable» et 25% d’entre eux «admettent regarder les notifications de leur smartphone avant de dire bonjour à leur partenaire». Où la vérité ne veut plus rien dire. Où opinions et faits sont confondus. Où plus aucune autorité ne résiste au relativisme moral. Où la démocratie pâtit d’un «aquoibonisme» dévastateur. Où chacun a la solution à tout à coups de «yakafokon».

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