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La faillite de l’école, le drame que personne ne veut voir

Photo d'une école en RD Congo.

La faillite de l’école, le drame que personne ne veut voir

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On trouve peu de gens qui, dans le discours en tout cas, ne reconnaissent pas l’importance de l’enseignant. Chacun a le souvenir d’au moins un enseignant qui, par son exigence, sa rigueur et son autorité, a fait de lui l’homme ou la femme qu’il est devenu. Chacun reconnaît également que l’école n’est pas un lieu comme un autre. Ce n’est ni un marché ni une rue ni un temple païen.

Si dans le discours tout ceci fait consensus, ce n’est pas toujours le cas dans les actes.

Lors des dernières émeutes qui ont eu lieu en France après la mort du jeune Nahel, l’ancien candidat à la présidentielle Jean-Luc Mélenchon a demandé aux jeunes de «ne pas toucher» aux écoles et aux bibliothèques. Ce qui a pu laisser penser que les jeunes avaient le droit de s’attaquer aux autres édifices comme les commissariats. Mais laissons ce débat de côté. Et revenons à l’école.

Chaque adulte a conscience que la place de l’enfant est à l’école. C’est là qu’il apprend ce qui va faire de lui un citoyen responsable, c’est-à-dire qui sait penser par lui-même.

De Platon, nous gardons, entre mille autres, cette belle phrase : «On peut aisément pardonner à l’enfant qui a peur de l’obscurité ; la vraie tragédie de la vie, c’est lorsque les hommes ont peur de la lumière».

C’est à l’école que l’enfant apprend à ne plus craindre la lumière de la science, de la culture et de la connaissance. En se familiarisant ainsi avec la science, la connaissance et la culture, il apprend les grandes énigmes de la nature, les défis de l’humanité, ses questionnements, ses tragédies, son histoire, etc.

Mais sommes-nous sûrs qu’au Congo, l’école continue de remplir cette fonction ?

Ma question est rhétorique. J’en connais la réponse. Vous aussi.

Tout le monde ou presque le dit. Chacun s’en plaint. Mais rien n’est fait pour changer les choses.

Mon ami Blaise, enseignant à l’IFASIC, me faisait rire l’autre jour en me rapportant une confidence d’un professeur de cet établissement universitaire qui se plaignait de faire désormais de la «réécriture» des travaux de fin d’études présentés par ses étudiants.

«Tu dis à un étudiant d’aller lire tel ou tel autre ouvrage pour enrichir son texte, il te ramène un texte pire que le précédent», m’a notamment rapporté Blaise.

Toutes les personnes qui fréquentent les établissements scolaires et les universités du pays font tous le même constat : les élèves sont de moins en moins bien formés au Congo.

Si dans certains pays, on dispose des structures et des outils capables de mesurer le niveau des élèves dans divers domaines, ce n’est pas le cas chez nous.

Dans une tribune publiée dans les colonnes du journal «Le Monde» le 22 décembre dernier, le ministre français de l’Education nationale déclarait que «les constats sont durs», évoquant notamment «la crise du recrutement des professeurs».

Une étude du service statistique de son ministère publiée le même jour que la tribune mentionnait qu’«environ 21 % des élèves âgés de 15 ans n\’ont pas un niveau suffisant de compétences en compréhension de l\’écrit, culture mathématique et culture scientifique».

J’ignore si nous avons un tel service au Congo. Mais je serais ravi de lire une étude similaire sur le niveau de nos élèves.

Comme au Congo, et en Afrique, «on préfère souvent rester dans la certitude ignorante plutôt que de faire l’effort d’aller vers une incertitude réfléchie»- pour reprendre la formule de Kako Nubukpo-, on fait le choix de ne pas savoir. Des hommes qui ont peur de la lumière.

L’observation empirique devient ainsi le seul moyen de mesurer le niveau des élèves.

Il y a trois ans, je retrouvais mes enseignants du collège Bonsomi lors des funérailles du père d’un ancien camarade de promotion. Tous se sont plaints du niveau de leurs élèves.

«Rien à voir avec vous». «Vous, vous étiez turbulents. Mais intellectuellement, on ne pouvait pas vous reprocher grand-chose.» «Je ne sais plus par quoi je dois commencer. De l’orthographe, la grammaire et la conjugaison, ils ne savent rien, vos petits-frères.»

J’ai tout entendu ce jour-là.

Dans son discours de clôture du colloque organisé en juin dernier à l’occasion du trentième anniversaire de l’Université officielle de Mbujimayi, le recteur Abbé Apollinaire Cibaka a parlé de ces «étudiants qui, pour diverses raisons, ne savent que faire de leur vie et qui viennent à l’université, non pas pour conquérir les secrets et les pouvoirs du savoir, mais pour gagner un diplôme qui les aidera à jongler et à émerger dans un pays où les prétentions sont un atout plus puissant que les compétences».  

Voilà où on en est.

Blaise, mes enseignants du collège et le recteur Cibaka font tous le même constat. Celui d’une jeunesse qui sort de l’école sans formation sérieuse. Mais avec des diplômes. C’est très dangereux pour le Congo.

Comme je l’ai déjà écrit dans un précédent billet, lire, écrire et compter font partie du savoir élémentaire. Aucun élève ne devrait quitter le primaire sans l’avoir maîtrisé.

C’est parce que nous sommes un pays qui a abdiqué face à la corruption et à la facilité que nous avons des journalistes qui ne savent pas écrire et des avocats qui ne savent pas construire un argumentaire.

La faillite de l’école, c’est la faillite de la République.

Les réseaux sociaux, avec tous leurs biais, nous font découvrir tous les jours un peu plus des individus qui ont du mal avec la science. Des individus- comme dirait Xavier Alberti– «fatigués de la vérité, non pas qu’elle nous effraie mais qu’elle nous semble tellement complexe que l’on préfère s’en remettre au confort du vraisemblable ou pire encore, de l’invraisemblable pourvu qu’il soit simple».

Un sondage mené par l’IFOP pour la fondation Reboot et la fondation Jean Jaurès et largement relayé dans la presse française notait que les théories du complot attirent les jeunes, surtout ceux qui s’informent sur les réseaux sociaux.

 69% des jeunes âgés de 18 à 24 ans croient à des affirmations comme : «La Terre est plate», «Les Américains ne sont jamais allés sur la Lune» ou «Les produits à base de plantes permettent d’avorter sans risque».

L’affaiblissement de l’école, c’est le recul de la science. Et donc, du consensus social autour de la primauté de la vérité scientifique sur les croyances et les superstitions. Non pas que la science est infaillible. Non. Mais précisément, la science, c’est la garantie de la contestation des évidences par des méthodes scientifiques. C’est le sens du doute méthodique de Descartes.

Réfuter une théorie scientifique, c’est pouvoir en élaborer une autre avec la même exigence de rigueur et les mêmes méthodes scientifiques.

C’est pour cette raison que personne ne devrait se réjouir de voir l’école congolaise dans l’état dans lequel elle est : enseignant peu (ou pas) formé, système éducatif pas pensé, méthodes d’enseignement jamais évaluées et familles démissionnaires.

Trouvez-vous étrange que je parle de la famille alors que c’est de l’école dont il s’agit ? Beuh ! c’est l’évidence même.

Dans une vidéo que j’ai partagée sur Twitter il y a quelques jours, on entend Georges Pompidou lancer : «Chacun doit accepter les servitudes de son âge et de sa mission».

La mission des parents (et des adultes, en général) est aussi de transmettre aux enfants (aux plus jeunes) l’amour de la science, de la culture, de la lecture et de l’effort intellectuel.

Malheureusement, retranchés derrière nos écrans, nous ne transmettons plus aux enfants que notre faim inassouvie de ces objets qui nous renvoient l’image hypertrophiée de nos egos, de nos ignorances et de nos vanités. Pendant que l’école meurt…

3 comments

comments user
Sieza Kuéla Angelique

L’ école est l’essence et le fondement du développement. Et la société meurt lorsque les valeurs du système éducatifs ne sont plus une priorité. J’ai foi que tes efforts porteront fruits et ce, au delà de tes attentes.
Belle plume!👏👏👏
Merci beaucoup.

    comments user
    Joël Bofengo

    Merci chère Kuela !

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