Kepa, l’amie
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-Pourquoi l’as-tu prénommé Barack ? C’est en référence à Obama?
-Pendant la grossesse, j’ai lu et relu «Les rêves de mon père» de Barack Obama. Ça me paraissait comme une évidence.
-Tu voudrais qu’il ait le destin d’Obama ?
-En tout cas, il a déjà un point commun avec l’ancien président américain.
-Lequel ?
-Il est élevé par sa mère, en l’absence de son père.
Après plusieurs demandes qui se sont soldées soit par des refus polis soit par des rendez-vous annulés en dernière minute, Makasu a finalement eu l’occasion de discuter en tête-à-tête avec Kepa. Et ce n’était pas prévu.
Arrivé à l’école avant tous ses collègues, comme à son habitude, Makasu réalise après une heure qu’il est toujours seul dans la salle de profs. C’est en ce moment-là que Kepa débarque pour nettoyer.
-J’avais fini par penser qu’aujourd’hui c’était un jour férié et que j’étais le seul à ne pas le savoir.
-Ce n’est pas férié mais il y a une chose que tu ne sais pas : la grève des transporteurs s’est transformée en émeute.
-Grève des transporteurs ?
-Monsieur ne suit pas les infos…
C’est vrai, Makasu ne suit pas les infos. Ce qui a fait dire un jour à Libanais : «Savoir lire et écrire ne garantit pas le droit à l’information.»
A quoi Makasu avait répondu : «On n’apprend pas à lire pour suivre les infos. On apprend à lire pour avoir de la culture».
L’enseignant ne dit jamais pourquoi il ne suit pas les infos. Ses proches le constatent simplement. Devant eux, il défend crânement son «droit de ne pas être informé» sans jamais s’expliquer.
Un jour, sur un ton faussement apitoyé, Washington le lui avait pourtant demandé. La jeune femme s’était vu répondre : «Je t’expliquerai un jour.»
Ils se sont séparés sans que l’explication n’ait jamais été donnée.
La discussion entre Makasu et Kepa est brusquement interrompue par l’entrée dans la salle de profs de la sœur préfète qui invite les deux à rentrer rapidement chez eux.
«La situation dans la ville se dégrade rapidement. Les conducteurs de motos et de taxis s’en prennent désormais à leurs collègues qui transportent des passagers. Partez tant qu’il y a encore quelques taxis-bus en circulation.»
Se retournant vers Kepa, Sœur Marie-Christine lui lance : «Si vous arrivez à convaincre votre nouvel ami d’installer Whats’App sur son téléphone, je vous serai très reconnaissante.»
La religieuse avait écrit dans le groupe Whats’App des enseignants du lycée un message à deux heures du matin, leur demandant de ne pas se présenter à l’école, en raison de la grève des transporteurs et des perturbations qu’elle pourrait occasionner. Le même message avait également été envoyé aux parents aux parents d’élèves.
Makasu n’utilise pas Whats’App. Il n’a donc pas vu le message.
-Aujourd’hui, tu ne montes pas dans le transport sans moi.
-Je n’ai pas vraiment le choix. Vu la situation, je risque d’avoir besoin d’un garde du corps.
La jeune fille éclate de rire devant un Makasu qui ne sait pas comment il doit prendre la blague. Sa petite taille et ses frêles épaules ont installé en lui un complexe. Il prend très mal toute référence, même implicite, à son physique.
-Les amoureux, je vous dépose à Limete. On me dit qu’à Victoire, c’est chaud. Montez !
L’injonction du conducteur de taxi laisse Kepa de marbre. Makasu la pousse par les épaules pour l’inviter à entrer dans le transport.
-Ne sois pas contrariée. Il a sorti ça juste pour rire. Tu sais comment sont les taximen.
-Je ne suis pas contrariée. Je pense à quelque chose d’autre.
-Quelque chose t’embête ?
-Non. Ça va aller.
-Tu peux me parler, tu sais.
-Tous les hommes disent ça quand ils te veulent dans leur lit.
-Qu’est-ce que tu peux être offensante !
Makasu n’est pas très observateur. Ce n’est pas l’allusion du conducteur à leur probable liaison qui embête Kepa. Depuis quelques jours, elle ne semble pas bien dans sa peau. Mais l’enseignant ne l’a pas remarqué.
Comme toujours, aurait dit Washington.
C’est vrai. L’enseignant est le premier à le reconnaître. Il a du mal à reconnaître les signaux envoyés par les personnes qu’il fréquente.
Kepa a des soucis. Le papa de Barack a réapparu dans sa vie. Il veut «récupérer» son enfant. A la suite de la création d’un nouvel établissement chargé de piloter le recensement de la population congolaise, il a obtenu un emploi bien rémunéré. Il est le directeur de cet établissement.
De retour à Kinshasa, il a tout de suite repris contact avec son ancienne étudiante, mère de son garçon. Il lui a aussitôt fait savoir qu’il allait demander et obtenir la garde exclusive du petit.
«Nous avons le pouvoir. Tu ne peux rien contre moi», a-t-il lancé à Kepa quand la jeune femme lui a opposé un refus catégorique.
Kepa est terrorisée à l’idée de perdre son enfant. Elle sait que les menaces de son ancien compagnon ne sont pas des paroles en l’air.
Elle voudrait se confier à quelqu’un mais Makasu ne semble même pas remarquer le mal-être de son amie. Toujours en train de lui proposer d’aller prendre un verre ou d’aller chez lui, il a fini par donner l’impression à la jeune fille qu’elle n’était, à ses yeux, qu’un trophée sentimental.
-Pendant tout le trajet dans le taxi, je t’ai sentie différente.
-C’est seulement aujourd’hui que tu remarques que je ne suis pas bien.
-Il y a un problème ? J’ai fait quelque chose de déplacé ?
-Oui. J’ai un problème. Non, tu n’y es pour rien. Mais j’avais simplement espéré que tu allais le deviner et m’aurais proposé de m’écouter. Visiblement, tes yeux ne voient pas autre chose que les courbes de mon physique. Bonne journée !
Sans attendre la moindre réaction de Makasu, Kepa tourne les talons et s’éloignent de l’arrêt de bus à la septième rue Limete où le taxi les avait déposés.
Après une petite hésitation, Makasu, aux pas de course, file dans la direction de la jeune femme et l’attrape par le bras.
-Désolé. Je suis ton ami. Tu as toute mon attention. Kepa se jette au cou de Makasu et éclate en sanglots…
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