×

Je ne suis pas une pute

Je ne suis pas une pute

Partagez maintenant sur :

Il ne faut jamais juger les autres. Chacun de nous a une histoire, une éducation, une culture. Chacun de nous a ses propres blessures intérieures. Chacun de nous a ses propres combats. Des démons contre lesquels il tente de se battre. Et il faut respecter ça. Tel a toujours été ma ligne. Je ne m’en écarte pas. Et je comprends parfaitement les gens qui me répondent : «Tu en es venue à cette conviction parce que ta vie est remplie d’erreurs». Je l’admets. J’ai fait beaucoup de choix douteux. J’ai commis des erreurs. Et contrairement à certains, moi je ne parle jamais «d’erreurs de jeunesse». Être jeune n’est pas une raison suffisante pour ne pas faire preuve de sagesse. Mes erreurs, moi je les porte fièrement comme autant des cicatrices que la vie a laissées sur moi. Une cicatrice, c’est la preuve que la plaie a été soignée. Et même si on en porte les stigmates, le mal a été vaincu. Et c’est tout ce qui compte dans la vie.

C’est Mimosa qui m’a initié à la prostitution. Mais il ne faut jamais sortir ce mot en sa présence. Elle ne le supporte pas. Pourtant, c’est bien ce qui est. Ce qu’elle appelle sobrement «salon de massage» n’est rien d’autre qu’une maison de passage. Sur sa carte de visite, on peut lire «Entrepreneure. Patronne de l’agence KABIBI», spécialisée dans le massage et la coiffure pour hommes.

De l’extérieur, le lieu ressemble à tous les salons de coiffure de Kinshasa. Un gros écriteau supplante la porte d’entrée coulissante : «SALON DE COIFFURE KABIBI». Juste en bas, il est précisé en caractère gras «Pour Hommes». Pour savoir qu’il s’agit d’un salon de massage, il faut plutôt regarder les images peintes sur la vitre pour masquer l’intérieur du salon. Il y a bien sûr des images de garçons admirablement coiffés et à la carrure de sportif. Mais au milieu de ce mosaïque, une petite image d’un homme allongé sur le ventre, les mains d’une femme sur ses épaules. Et juste à côté la mention «MASSAGE» en petits caractères.

-Je croyais que c’était ton activité principale, le massage.

-Beuh, ça l’est.

-Mais pourquoi c’est repris en si petits caractères ?

-La quantité est l’ennemie de l’intime. Tout le monde ne doit pas savoir que de grands messieurs viennent ici se mettre à poil pour se faire tripoter leur machin avec de l’huile chaude par des jeunes filles qui ont l’âge de leurs enfants.

L’une des raisons pour lesquelles je m’interdis de juger les autres, c’est pour me donner la possibilité de mieux les comprendre et d’en tirer le meilleur. Si je m’étais arrêtée aux premières impressions avec Mimosa, je serais passée à coté de l’essentiel. En la fréquentant, j’ai découvert une femme cultivée, honnête et brillante.

On peut toujours se demander pourquoi une femme comme ça peut se retrouver à la tête d’une organisation qui ressemble à une mafia, mais de mon point de vue, ça ne sert à rien. Dans la vie, on finit par être ce qu’on aurait dû être. Je crois à la destinée. On n’y échappe pas. Celle qui doit devenir avocate le sera. De même que celle qui doit finir Première Dame le sera également. Et celle qui doit finit dans la rue, à chercher des clients pour une passe était destinée à cela.

Mais Mimosa n’a jamais connu la rue.

-A certaines périodes de l’année, les rues de Goma sont froides la nuit, tu sais. L’idée de me retrouver en mini-jupe en train d’attendre un hypothétique client me rebutait. Quand on m’a proposé de devenir masseuse professionnelle, j’ai tout de suite sauté sur l’occasion.

-Ma sœur me raconte que dans les grands hôtels comme Ihusi, vers 21 heures, on voit des jeunes filles aux formes généreuses qui prennent place au bar, en petites robes, essayant d’attirer le regard des clients de l’hôtel. C’est plus discret et moins difficile, je suppose.

En disant cela, je ne dis pas toute la vérité. Mais elle ne devait pas savoir toute l’histoire de ma vie. Nous venions de nous connaître. J’avais découvert ses activités.

Mimosa est arrivée à Kinshasa il y a quatre ans. Forte de son expérience de Goma, elle était sûre de pouvoir faire fortune dans le massage. Mais, comme souvent dans la vie, la réalité est toujours moins belle que le rêve.

Elle a donc commencé comme serveuse dans le bar de l’Hôtel Mosinzo. A l’époque, elle habite Kingabwa où elle est sous-logée par une vieille connaissance de sa famille.

-C’était une petite maison fabriquée en tôle. Quand il pleuvait, l’eau entrait. Il fallait éloigner certains effets. Mais c’était une belle petite maison.

Tout ça est bien loin derrière elle. Mimosa vit désormais dans un bel appartement. Le complexe immobilier où elle loue dispose d’une piscine et d’une salle de sport. Elle roule en SUV.

Mais quand Mimosa parle de sa vie d’avant, il y a beaucoup d’émotions de sa voix. On voit bien que c’était difficile mais elle en garde des souvenirs presque idylliques. Comme si elle regrette les choses qu’elle a été obligée de faire pour en sortir, avant de s’apercevoir que cela n’en valait peut-être pas la peine. Ou si. Mimosa est une personne ambivalente. Elle peut parfaitement défendre aujourd’hui l’exact opposé de ce qu’elle soutenait hier.

Il y a des jours où elle dit regretter sincèrement certains choix de sa vie. Et d’autres jours, elle assume tout, crânement, sans regret. Mais elle est comme nous tous.

Nous avons chacun un rapport difficile avec notre passé. On se dit secrètement qu’on aurait pu faire mieux. Mais pour ne pas vivre constamment dans le regret, on se rassure, en se disant que ce qu’on est aujourd’hui, c’est l’aboutissement de tous les choix précédents, les bons comme les moins bons.

Mimosa est une belle femme. Son visage presqu’enfantin lui donne un air de jeune fille innocente. Ajouté à ça, un physique comme seuls les mariages mixtes peuvent produire, tu as une déesse. Mimosa n’a pas de ventre. Ce qui met en évidence une plantureuse poitrine dont il m’arrive d’être jalouse. Ses longs bras décharnés contrastent avec la partie inférieure de son corps, bien en chair. Des fesses bien rondes qui descendent jusqu’à des cuisses qu’elle n’arrête pas de muscler. Chaque semaine, Mimosa s’impose quatre séances de deux heures à la gym.

-C’est mon premier client qui me l’a conseillé.

-Le fameux Spinoza.

-Comment as-tu deviné ? Je ne te l’ai jamais dit.

-Tu as une façon particulière de parler de lui. C’est comme s’il a été plus qu’un simple client. Sans jamais être vraiment un amant.

-Spinoza n’était pas qu’un client. Il était même plus qu’un amant. Il était une sorte d’ange gardien. Le genre de mec auprès de qui tu as l’impression que rien ne peut t’arriver, même s’il ne t’appartient pas. Il est brillant. Il est physiquement beau. Il a toujours la bonne blague à la bouche. Il sait garder silence. Il respecte les limites de l’autre. Il est propre. Il est mentalement organisé. Jamais en retard. Il sait être sage. Il sait également faire de vilaines choses.

-Waouh ! Je ne t’ai jamais entendu parler d’un homme comme cela.

-Mais tu m’as déjà entendu parler de toi comme ça…

-Oui. Quand tu es bourrée.

-Ce n’est pas l’alcool qui me fait dire ça de toi. Je le pense vraiment. Et je sais que tu as fini par le comprendre. Je crois savoir que c’est pour cette raison que tu t’es éloignée de moi.

-Parle-moi de Spinoza. Comment s’est construite votre relation ?

-C’est une très longue histoire.

-La pute et le philosophe.

-Je valide le titre du film… Mais je ne suis pas une pute. Je suis une masseuse.

4 comments

comments user
Angélique SIEZA/KUELA

Très beau texte, bien écrit.

Bravo à toi, mon ami.

    comments user
    Joël Bofengo

    Merci mon amie. 😎

Laisser un commentaire

LinkedIn
Share
WhatsApp
Copy link
URL has been copied successfully!