Je lui dirai…

-Je sais que tu préfères les blanches aux Noires mais ce n’est pas ta petite Tunisienne qui va te détourner de ta grande sœur. N’est-ce pas ?

-Mais de qui tu parles ?

-De cette nouvelle copine qui te prend tellement de ton temps que tu ne m’appelles plus.

Washington est très possessive. De surcroît, avec Steve Jobs, elle entretient une relation fusionnelle. Quand son demi-frère était encore à Kinshasa, il lui arrivait de faire irruption dans son auditoire en plein cours, à cause d’un appel manqué.

C’est ce qui avait conduit les camarades de fac du jeune garçon à surnommer Washington «Première dame».

Depuis que Steve Jobs est en Tunisie, les liens se sont quelque peu distendus. Au grand dam de la sœur aînée.

-Je n’ai pas de copine. Et tu es toujours l’amour de ma vie, après maman.

-Il faut le dire plus souvent. C’est compris ?

-Tu vas finir seule si tu continues comme cela.

-Ça ne risque pas d’arriver puisque dans quelques jours, je vais accoucher d’un joli petit garçon.

-Tiens ! Comment il va mon petit neveu ?

-Tu n’appelles pas pour avoir de ses nouvelles. Et là tu profites de mon appel pour jouer à l’oncle attentionné.

-Beuh ! Il n’est pas encore là. Quand il naîtra, tu verras. Je serai le meilleur tonton du monde.

-Qui te dit qu’il n’est pas encore là ? Tu sais que je lui parle. Nous communiquons beaucoup. Il me donne des coups. Je lui réponds par des caresses. Et je chante pour lui.

Washington aime beaucoup chanter. Avec le sport, la musique et les livres sont ses plus grandes passions. Elle est fan de Céline Dion qu’elle considère comme «la plus grande chanteuse de tous les temps». Pour Steve Jobs, c’est Whitney Houston.

-J’espère que tu lui chantes du Whitney Houston.

-Jamais de la vie. Il écoute du Dion avec moi matin, midi et soir.

Et il y a une chanson de Céline Dion que Washington écoute beaucoup depuis qu’elle est enceinte. Pendant ses séances de yoga, dans le transport ou quand elle lit, les mots de la chanteuse canadienne l’accompagnent désormais. Ils s’adressent à son fils.

«Je lui dirai qu’ici-bas, tout s’apprend

Le bien, le mal et même le bonheur

Qu’il ne perde jamais ses yeux d’enfant

Devant trop de malheurs et de laideur

Qu’il regarde avec son cœur…»

Washington se met aussitôt à chanter. A l’autre bout du fil, Steve Jobs mime l’instrumental de la chanson que les deux connaissent bien.

-Qu’est-ce que tu lui diras d’autre ?

-«Qu\’il n\’y a pas d\’amour sans histoire
Que le bonheur est un grain que l\’on sème
Qu\’amour et santé ne s\’achètent pas
Et qu\’on n\’est riche que de ça…»

-J’aime bien la phrase : «le bonheur est un grain que l’on sème».

-On a tendance à l’oublier, c’est vrai. La plupart du temps, nous pensons que le bonheur est une chose à acquérir. On a tout faux. On ne l’obtient jamais, le bonheur. Il faut le cultiver comme on cultive un champ avec patience et amour. Peu importe la saison. Peu importe l’abondance de la moisson ou les pertes occasionnées par une météo capricieuse.

-Je ne doute pas que tu donneras tout ton amour à mon petit neveu. Et que même s’il grandit sans son père, il pourra te dire un jour «c’était aussi bien qu’avec un papa».

-«Je lui dirai d\’être sage et prudent
D\’aller frôler les glaces et les feux
Qu\’il goûte à tout mais sans jamais dépendre
Que trop peut être pire que trop peu
Oh, bien pire que trop peu…»

-«Goûter à tout mais sans jamais dépendre». Joli programme !

-Tout est parfait dans cette chanson. C’est pour cela que je la chante désormais tous les jours. Et quand je l’écoute, je revois défiler devant moi toutes mes erreurs. Celles que je voudrais effacer. Et celles que je conserve aussi précieusement que mes victoires.

-«On me disait bon à rien aujourd\’hui j\’suis meilleur que tout
Le doute c\’est normal, l\’humilité c\’est Dieu
Vous ne faites jamais mal tant que vous faites de votre mieux
Apprenez de vos risques, apprenez de vos peurs
Apprenez de vos rires, mais encore plus de vos pleurs…» 

-C’est quel titre ça ?

-«Meilleur» de Youssoupha. Je te le recommande. Tu vas adorer.

Washington lance Spotify sur l’autre téléphone qu’il n’utilise que pour son travail. Les mots de Youssoupha remplissent sa chambre. A l’autre bout de fil, Steve Jobs marque un silence pour laisser sa sœur profiter.

« Maman était une reine, grandeur dans l\’attitude
Elle avait de grands rêves donc pour elle je continue
Tant pis si je tombe c\’est l\’amour qui l\’emporte
Ma fille porte son nom pour la faire vivre encore
Elle nous a quitté trop tôt ça a laissé un vide
Des souvenirs et des photos, de elle je suis fils unique
Je sais ce qu\’elle m\’a dit avec les mots du cœur
Que grande est la famille, donc je serai jamais seul…»

-Merci d’être là, petit frère.

-Je serai toujours là, grande sœur. Et dis-lui qu’à défaut d’un père, il aura un oncle qui prendra toujours soin de lui. Bonne nuit !

-Bonne nuit, mon chéri !