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Impôt. Une question qui nécessite un nouveau pacte républicain

Impôt. Une question qui nécessite un nouveau pacte républicain

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Rien ne se serait plus dommageable pour le Congo que de voir ses citoyens se perdre dans des discussions et polémique vaines alors que le pays fait face à de vrais problèmes pour lesquels aucune solution concrète n’est vraiment proposée.

Ces problèmes qui se posent tous les jours avec un peu plus d’acuité, tout le monde ou presque les connaît. Mais personne ne veut vraiment les affronter. Et à force de remettre à demain leur résolution, ils ont fini par nous paraître insolubles. Mais non, ils ne sont pas insolubles.

L’un de ces problèmes me semble être celui de la mobilisation des recettes pour financer nos politiques publiques. Ou plus précisément la question de l’impôt. Tous les ministres de Finances qui se succèdent finissent par se rendre à l’évidence, le Congo ne mobilise pas suffisamment d’argent pour financer des politiques publiques à la hauteur de ce grand pays dont les dirigeants ont renoncé depuis plusieurs décennies déjà à tout rêve de grandeur et de prospérité.

Mais avant d’aller plus loin, je tiens à souligner ici que l’impôt est une question politique. Et il doit être traité comme tel.

Sur le plan strictement fiscal, il faut savoir qu’au Congo, la TVA est la principale source de recette fiscale (21,4% selon les données de la Banque mondiale publiées en avril 2017).

Pendant ce temps, ce pays de plus de 100 millions d’habitants ne comptent que 200 000 contribuables.

C’est en tout cas, ce que révélait le patron de la Direction générale des impôts en 2022 alors qu’il se réjouissait sur RFI des recettes fiscales record.

Barnabé Muakadi Muamba constatait ainsi qu’en RDC, «on n’a pas un répertoire [général des contribuables] qui convient» pour le pays. Au sujet de l’écart entre la population du pays et le nombre de contribuables, il estimait que «c’est honteux, cela ne représente rien».

Tout le monde ou presque est au courant de ce constat. Mais cela ne nous empêche pas de nous étonner de l’état de nos routes, ponts, ports, aéroports, chemins de fer, écoles et hôpitaux publics.

Comment peut-on financer des politiques publiques efficaces sans recettes fiscales à la hauteur des besoins du pays ?

Dans un rapport de l’UNESCO de mars 2014, l’agence onusienne demande aux pays d’«augmenter les recettes fiscales pour combler les déficits de financement de l’éducation».

On peut notamment lire dans le document :

«Il est inquiétant de constater que la République démocratique du Congo a consacré à l’éducation moins de 9% de son budget en 2010, même si les estimations font apparaître plus de 2,4 millions d’enfants non scolarisés dans le pays.»

Ce qui est dit pour l’éducation peut également être dit pour la santé, la sécurité, la justice, et tant d’autres domaines où une intervention efficace de la puissance publique est plus qu’attendue.

Mais pour reprendre la formule du président Macron, «l’argent magique n’existe pas». Pour financer notre système de défense et de sécurité (le Congo est en guerre), pour remettre sur pied notre réseau routier, pour moderniser notre infrastructure ferroviaire, il faut de l’argent.

Comment le trouver ? L’une des pistes qui, à mon sens, n’est pas suffisamment exploré est l’économie informelle. Comment capter toute la masse d’argent générée par ce secteur vers lequel se tournent majoritairement les actifs congolais ?

Dans un article publié sur le site Internet de ONU-Femmes, on apprend notamment :

«Selon le Recensement Général des Entreprises mené par l’Institut National de la Statistique en 2019, la non-possession du numéro d’identification de la sécurité sociale concerne presque toutes les unités économiques en RDC (99,4%). Cette tendance s’observe également pour la possession des autres documents que sont le RCCM (96,9%), le Numéro d’Identification Nationale – IDNAT (97,3%) et le numéro d’identification fiscale – NIF (98,2%).»

Des chiffres à mettre en parallèle avec ce constat de l’agence belge de développement :

«En République démocratique du Congo, l\’importance du secteur informel, surtout sous la forme du petit commerce, n\’est pas à démontrer. A Kinshasa, par exemple, environ 75% des activités économiques sont informelles. Sans doute, les statistiques sont aléatoires puisque, par sa nature, ce secteur échappe à tout contrôle. Il semblerait que près de 90% de la population active de la ville de Kisangani (troisième ville du Congo) occupent des emplois informels.» 

Tant que le Congo ne trouvera pas une réponse efficace à cette question. Nous allons continuer de tourner en rond, multipliant les slogans et les incantations qui ne changent rien à la situation du pays.

Certains pourront dire que nous avons des problèmes plus graves : insécurité, corruption. C’est possible. Mais, en définitive, tout nous ramène à la question du financement des politiques publiques. Pour construire des prisons, équiper les bureaux des procureurs, former et entraîner nos militaires et nos policiers, il faut de l’argent.

En fait, le Congo se retrouve, à force des renoncements et de laisser-aller, dans un cercle vicieux. Faute de moyens, la puissance publique s’est retrouvée démunie dans l’exercice de ses prérogatives.

Quand vous parlez avec n’importe quel procureur au Congo, il vous décrit des conditions de travail épouvantables. Comment lutter sérieusement contre la corruption si les magistrats ne peuvent pas travailler dans de bonnes conditions ?

Dans un autre domaine, comment acheter des armes les plus efficaces (donc, les plus chères) sans avoir des finances publiques bien garnies ? Et la formation des militaires ? Leur entraînement ? Leur déplacement ? Leur déploiement ?

Pour fonctionner efficacement, le pouvoir régalien a besoin d’argent. De beaucoup d’argent.

Le constat est que, pour le moment, nous n’avons pas ces moyens. Et le peu de recettes qui sont mobilisées ne sont pas toujours utilisées de la meilleure des façons.

C’est là qu’intervient l’autre moitié de la circonférence de ce cercle vicieux. Les Congolais ont tous la même réponse quand vous leur demandez pourquoi ils ne paient pas d’impôt : qu’est-ce qu’ils vont faire de cet argent ?

Question légitime qui consolide malheureusement le cercle vicieux. Faute d’argent, l’Etat ne peut pas financer des politiques publiques efficaces. Conscient que l’Etat ne leur assure pas le minimum de protection et de bien-être auxquels ils aspirent légitimement, les citoyens décident de ne pas payer les impôts.

Le pays est bloqué. Il fait du surplace.

L’outil productif est à l’arrêt, faute d’investissements sérieux et faute d’énergie.

Des millions de personnes se retrouvent sans emplois. Pour survivre, c’est la débrouille. Donc, économie informelle dont le circuit échappe complètement à l’autorité fiscale.

La population du Congo va connaître une importante augmentation dans les vingt-cinq prochaines années. Les estimations les plus sérieuses projettent un doublement du nombre des habitants du pays d’ici le milieu du siècle.

A l’abandon, l’école sort des personnes de moins en moins qualifiées.

Le Congo aura donc une population de plus en plus nombreuse et de moins en moins qualifiée. C’est très problématique dans l’optique de se mettre dans le sens de la marche vers le progrès et le développement.

Seule la création des richesses va nous permettre de nous remettre peu à peu debout. Elle va être génératrice d’emplois et financer les politiques publiques nécessaires et les infrastructures dont le pays est tragiquement privé. Elle va financer les services régaliens. Ce n’est pas de la magie. L’ordre est la condition de la liberté. Et la planification, celle de la prospérité.

Comment créer des richesses sans prélèvement fiscal efficient et rigoureux ? Comment créer des richesses sans une utilisation sérieuse des finances publiques ?

Pour que les Congolais consentent à nouveau à payer l’impôt afin de relancer le pays, il nous faut un nouveau pacte républicain. Chacun doit faire sa part.

Le niveau des revenus est faible. Il faut faire avec. Mais les citoyens ne doivent pas être pressurisés. L’impôt ne doit pas être perçu comme un nouveau rançonnement par une population qui voit en l’Etat plus un prédateur qu’un protecteur.

Le secteur informel doit contribuer à renflouer les caisses de l’Etat. Pour cela, il faut trouver des mécanismes efficaces et rigoureux qui tiennent compte des spécificités de chaque activité et de son fonctionnement.

Le numérique qui échappe encore largement au contrôle du pouvoir public peut rapporter de l’argent. Il faut encourager ce secteur, l’encadrer et le soutenir. Mais pas l’étouffer.

Comme les citoyens, l’Etat également doit faire sa part. Les finances publiques appartiennent aux citoyens. Toutes les dépenses doivent leur être profitables, d’une manière ou d’une autre. Il est temps de mettre fin à la gabegie, aux dépenses de prestige et à l’utilisation capricieuse des derniers publics. Les responsables publics doivent rendre compte de toutes les dépenses réalisées avec l’argent public.

Le budget de l’Etat est une loi. Elle doit être exécutée scrupuleusement. Ce n’est pas une formalité parlementaire. Lorsqu’une route qui devrait être réhabilitée ne l’est pas, il faut que quelqu’un rende des comptes.

C’est comme cela que va se retisser le lien de confiance entre les citoyens et l’Etat. Lien nécessaire pour que la République marche sur ses deux jambes : fermeté et générosité, ordre et liberté, justice et fraternité.

Plus que jamais, au Congo, nous avons besoin de ce nouveau pacte.

Et il s’agit bien d’un pacte. Plus haut, j’ai écrit que l’impôt était une question politique. Il est surtout une question symbolique. L’impôt, c’est la participation de chaque citoyen à l’effort collectif de sécurité, de protection, de justice et d’égalité.

Un citoyen qui ne paie pas d’impôt n’en est pas vraiment un dans la mesure où il ne prend pas sa part dans le travail collectif pour construire un pays libre et prospère. Il lui est difficile d’exiger des responsables publics de rendre des comptes. Il lui est également impossible d’exiger de l’efficacité dans les politiques publiques pour lesquelles sa contribution attendue n’arrive jamais.

Si l’on considère qu’une République, ce sont des citoyens qui se départissent d’un peu de leur moi pour construire un MOI plus grand et protecteur de tous, il faut se rendre à l’évidence que ce MOI collectif ne saurait survivre à la démission des citoyens qui n’exigent rien de leurs dirigeants, conscients d’avoir eux-mêmes failli dans leur mission.

Dans le concept «citoyen», droits et devoirs constituent les deux faces de la même médaille. Et comme le chante Youssoupha dans «Dreamin», «Plus belle sera la médaille, plus lourd sera le revers».

1 commentaire

comments user
Sieza Kuéla Angelique

Merci beaucoup cher ami Bofengo pour ton écrit dont les interpellations sont très profondes.
Effectivement, pour la question des impôts, les contribuables n’aspirent qu’à une gestion efficace des biens publics. Chacun à sa part de responsabilité…administreurs des fonds et citoyens!

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