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Hugo. Au nom du père et de la liberté

Hugo. Au nom du père et de la liberté

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Je ne devais pas avoir 15 ans. Papa était revenu à la maison avec un nouveau livre. Comme tous les enfants curieux, je me suis jeté dessus. C’était «Les Misérables». Célèbre roman de Victor Hugo. Je ne connaissais pas ce Hugo. Et j’ignorais tout du grand écrivain qu’il est (j’utilise le présent de l’indicatif parce que le talent des artistes se raconte au présent. Ils sont immortels).

Comme j’imitais papa qui aimait lire, je me suis mis à lire le roman. Cinquante pages après, j’avais abandonné. Lui, il l’avait lu jusqu’au bout. Quand je lui ai demandé de me raconter l’histoire, il a souri. De ce «sourire mêlé d’ironie tranquille et de bienveillance discrète», pour reprendre la formule d’Édouard Philippe et Gilles Boyer dans «Impressions et lignes claires».

Papa est mort quelques années après. Et je n’avais pas encore lu Hugo.

Vous pouvez donc imaginer la gourmandise avec laquelle j’ai récemment dévoré «Je serai celui-là». Deuxième tome de la biographie que Max Gallo a consacrée à l’écrivain. Et je n’ai pas été déçu. Comme je l’ai écrit sur mon compte Twitter, je n’ai jamais lu une biographie aussi bien écrite. Je suis pourtant un habitué de biographies d’écrivains. Jusqu’ici, c’est «Colette. L’éternelle apprentie» de Jean Chalon qui détenait la palme d’or.

«Je serai celui-là» est encore mieux. Max Gallo ne raconte pas Hugo. Il te transporte à ses côtés dans Paris barricadé. Sur les bancs de l’Assemblée nationale où le député Hugo défend la République et pourfend la tyrannie. A Jersey puis à Guernesey, en exil, où il écrit, il défend les causes qui lui tiennent à cœur.

Ainsi, quand John Brown est condamné à mort pour avoir tenté de soulever des esclaves noirs en Virginie aux Etats-Unis, Victor Hugo confie à George Sand avoir «l’âme accablée» :

«Madame, j’ai vraiment le cœur serré. Les crimes de rois passent, crime de roi est fait normal ; mais ce qui est insupportable au penseur, ce sont les crimes de peuple.»

Toute sa vie, Hugo a défendu a lutté pour ses idées : la République, la liberté.

Dans une lettre qu’il a adressée à sa maitresse Juliette Drouet en 1850, il écrit :

«Il y a cinq ans, j’ai été sur le point de devenir le favori du roi. Aujourd’hui, je suis sur le point de devenir le favori du peuple. Je ne serai pas plus ceci que je n’ai été cela, parce qu’il viendra un moment où mon indépendance fera saillie et où ma fidélité à ma conscience irritera l’un dans la rue, comme elle a choqué l’autre aux Tuileries.»

Libre. Toujours.

Et un engagement de chaque instant. «Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent.»

Hugo avait pris le parti de s’opposer à la tyrannie. Il avait foi en la raison et en la puissance de l’intelligence :

«Encrier contre canon. L’encrier brisera le canon».

J’ai acheté «Je serai celui-là» lors de mes dernières vacances, me promettant de le lire lors des prochaines vacances. Quand je serai plus calme.

Mais quelques jours après, je suis tombé sur une vidéo de François Sureau. Il s’agit en fait du discours de réception de M. Sureau à l’académie française où il a été élu le 15 octobre 2020 au fauteuil de Max Gallo. On l’entend notamment dire :

«Il est de haines justes. La République s’est fondée sur la haine des tyrans. […] Max Gallo se souvenait que nos prédécesseurs avaient créé, maintenu, défendu le trésor de la liberté dans des époques autrement plus dangereuses que la nôtre. Il avait pressenti ce fléchissement de l’intelligence et de la volonté qui nous fait consentir à toutes les platitudes. Et l’on s’en va répétant que les temps sont difficiles. Mais les temps, comme Max Gallo nous l’a rappelé pendant un demi-siècle, sont toujours difficiles pour ceux qui n’aiment pas la liberté.»

Et un peu plus loin :

«Je pense aujourd’hui à Hugo qui a souffert pendant 25 ans sur son ile de voir la police partout et, la justice nulle part. Hugo, l’inlassable avocat des Etats-Unis d’Europe et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Hugo auquel mon prédécesseur à ce fauteuil a peut-être consacré son plus beau livre écrit dans Les Châtiments un vers que nous ne devrions pas pouvoir lire aujourd’hui sans frémir :

« Ma liberté, mon bien, mon ciel bleu, mon amour

Tout lunivers aveugle est sans droit sur le jour. »

Après avoir entendu ces mots, je me suis souvenu que je gardais encore dans mes valises ce livre dont parle François Sureau.

Les mots puissants de M. Sureau m’ont rappelé le sourire de mon père.

Comme Hugo, papa combattait de toutes ses forces «ce fléchissement de l’intelligence et de la volonté qui nous fait consentir à toutes les platitudes» de notre époque. C’était un homme libre. Il voulait que je le sois. Et être libre, c’est lire soi-même les livres pour se faire sa propre opinion.

A propos de son roman «Les Misérables» paru alors qu’il est en exil, Hugo dit :

«Tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles. […] Les Misérables ne sont autre chose qu’un livre ayant la fraternité pour base et le progrès pour cime.»

Je m’en veux de ne pas avoir lu ce roman quand papa était en vie. Il n’était pas bavard. Il avait pris le parti de nous enseigner par l’exemple.

Dès que j’ai tourné la dernière page de «Je serai celui-là», j’ai écrit à l’un de mes proches pour lui demander de m’apporter un exemplaire des «Misérables» lors de son prochain séjour dans ma ville.

Mes proches sont généreux. Ils me gâtent. Cédric, abbé Apollinaire, Pascale Gabriella. Ils ont la gentillesse de m’offrir des livres. Cadeau inestimable à mes yeux. En retour, ils ne me demandent jamais rien. Ils me font penser à cet extrait de «Si c’est un homme» de Primo Levi :

«L’histoire de mes rapports avec Lorenzo est à la fois longue et courte, simple et énigmatique. […] En termes concrets, elle se réduit à peu de chose : tous les jours, pendant six mois, un ouvrier civil m’apporta un morceau de pain et le fond de sa gamelle de soupe ; il me donna un de ses chandails rapiécés et écrivit pour moi une carte postale qu’il envoya en Italie et dont il me fit parvenir la réponse. Il ne demanda rien et n’accepta rien en échange, parce qu’il était bon et simple, et ne pensait pas que faire le bien dût rapporter quelque chose.»

Papa était de ces hommes. Généreux et libre. Il aurait pu dire comme Hugo :

«Les deuils qui nous éprouvent n’empêchent pas qu’il y ait des pauvres. Si nous pouvions oublier ce que souffrent les autres, ce que nous souffrons nous-mêmes nous en ferait souvenir ; le deuil est un appel au devoir.»

4 comments

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Angélique SIEZA/KUELA

Salut mon ami! De là oú il se trouve, ton père est fier de toi. Il a forgé la personnalité d’un grand homme qui poursuit aujourd’hui, l’oeuvre qu’il a laissée. Bravo! Tu es aussi un repère pour pluisieurs, notamment tes lecteurs.🙏🙏

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    Joël Bofengo

    Merci beaucoup, mon amie, la Fille de Sankara. 😊

      comments user
      Angélique SIEZA/KUELA

      😁Sankara est fier de son beau.🤗🤗

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