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Heureuse comme une «arracheuse de dents»

Heureuse comme une «arracheuse de dents»

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Je connaissais Franz-Olivier Giesbert journaliste et essayiste («La tragédie du président», «Jacques Chirac», «Le Président», «François Mitterrand, une vie», etc.), je le découvre romancier dans «L’arracheuse de dents». Et sa fiction est au moins aussi succulente que ses livres politiques.

Jeune journaliste, je lisais les éditos de FOG – c’est comme cela qu’on l’appelle familièrement dans le monde médiatique français. Je crois l’avoir déjà raconté sur ce blog, chaque fin de semaine, j’achetais le dernier numéro du «Nouvel Observateur», de «L’Express» et du «Point». A l’époque, Franz-Olivier Giesbert dirigeait la rédaction du «Nouvel Obs». J’aimais sa plume. Et c’est ainsi que j’ai acheté «La tragédie du président» auprès d’un bouquiniste de Kinshasa. Livre très fourni et documenté consacré au président Jacques Chirac.

Il y a deux semaines alors que je commençais mon congé, ma déambulation hebdomadaire parmi les bouquinistes de ma ville m’a conduit devant un exemplaire de «L’arracheuse de dents». J’ai feint de ne pas vraiment m’y intéresser pour bien négocier le prix. Mais au seul vu du nom de l’auteur, j’avais déjà décidé de l’acheter quel qu’en fût le coût.

Avant d’aller plus loin, je profite de ce billet pour répondre à une question qu’on me pose souvent. Comment est-ce que je choisis les livres que j’achète ? J’assume deux types de lecture : l’une obligatoire et l’autre pour le plaisir.

Je lis les biographies de De Gaulle, Lincoln ou Mobutu parce que je considère que l’homme curieux que je suis doit avoir lu des livres sur la vie des grands hommes. Je lis les livres de philosophie pour alimenter mes questionnements personnels. Je lis l’histoire parce qu’un journaliste qui ne lit pas l’histoire n’en est pas vraiment un.

Et puis, il y a le plaisir. Ces livres que je lis pour rien. Juste pour le plaisir des mots et l’évasion de l’esprit. Je les choisis au hasard. Ou plus exactement, sans savoir ce que j’y trouverai. Et c’est toujours l’intuition qui me guide. C’est ainsi que le mois dernier, alors que je me déambulais à Kintambo Magasin, j’ai acheté et lu «Dans la nuit de New York», d’Anna Woltz. Moyen.

Tout le contraire de «L’arracheuse de dents» que j’ai adoré lire. Le roman te transporte de la France révolutionnaire à l’Amérique naissante.

Et c’est une femme qui raconte sa vie. Une vie romanesque croquée à pleines dents.

«La vie est un verger plein de fruits qu’il faut cueillir sans attendre, ils pourrissent tellement vite», dit la narratrice à son petit-fils à la fin du roman.

Un petit-fils noir issu d’une relation que l’héroïne a eue avec un esclave acheté au Benin et vendu aux Etats-Unis. Relation aussi passionnante qu’éphémère. L’esclave que l’amoureuse avait réussi à faire échapper des mains de son maître avant que celui-ci ne le retrouve et le tue.

Lucile – c’est le prénom de l’héroïne – va le venger. Comme elle vengera de nombreuses autres personnes ou situations qu’elle trouve injustes.

«La vengeance n’est pas un plaisir, c’est un devoir», lit-on dans le livre.

Mais Lucile ne fait pas que tuer. Elle aime. Et souvent, chez elle, l’amour prend simplement la forme d’une fusion de corps. Rien de plus.

«J’ai connu toutes sortes d’hommes dans ma vie. Des beaux, des riches, des rêveurs, des puissants, des crétins. Je n’ai jamais essayé de les garder. Je comprends que les mâles de la création aient du mal à suivre leur engin, qui a toujours la bougeotte et réfléchit à leur place. Je fais pareil. Si vous prenez tous les jours le même dessert vous en aurez vite assez. […] L’amour, c’est comme le riz au lait. Pour ne jamais s’en lasser, il faut changer tout le temps de parfum. […] Rien ne sert d’avaler toujours les mêmes plats.»

La narratrice a la franchise de vieilles personnes. Elle raconte sa vie alors qu’elle vient de totaliser 99 ans et s’excuse presque de sa sincérité :

«Pardonnez-moi, mais la vieillesse donne tous les droits dont le moindre n’est pas celui de tout dire.»

Mais de son grand âge, elle ne se plaint pas :

«Contrairement à la légende, la vieillesse est le plus bel âge de la vie. Dommage qu’elle se termine mal. […] Dans ma tête, j’ai toujours vingt ans. Mais quand je me vois dans un miroir, je suis horrifié. Même si l’âge est venu et m’a couverte de rides et de verrues, je reste, à près de cent ans, une insulte vivante à la médecine. […] En dehors des articulations, des vertèbres et des genoux, j’ai tout qui va. Le moral, les hanches, les bras, les intestins, même les dents et les cheveux qui se font cependant rares. Tout, y compris cette chose qui frémit encore un peu entre les cuisses et qui m’a donné jadis de si grands plaisirs.»

Toute sa vie, Lucile a vécu libre. Son métier de dentiste lui a ouvert toutes les portes. Et surtout celle des puissants qu’elle n’a pas hésité à tuer quand cela lui paraissait nécessaire. Il faut lire le passage où elle raconte comment elle a tué celui qui est responsable de la mort de ses parents.

On lit «L’arracheuse de dents» avec plaisir. Sans s’arrêter. On est transporté dans la France de la Revolution. Puis la Terreur. Et enfin, Napoléon.

Avec Lucile, on vit également avec stupéfaction l’extermination des Indiens aux États-Unis, cette grande nation bâtie sur le massacre des Indiens et l’exploitations des Noirs.

«L’arracheuse de dents» est un beau roman. Je vous le recommande.

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