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«Ferme les yeux et imagine-toi»

«Ferme les yeux et imagine-toi»

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Si je devrais résumer mon enfance en une phrase, ce serait «Ferme les yeux et imagine-toi». Non pas que le titre de Soprano dise quelque chose de cette période de ma vie. Mais ayant très tôt été biberonné à la radio, l’imagination est depuis mes jeunes années une fidèle compagne.

Là où j’ai grandi, il n’y avait pas d’électricité. Pour s’informer, écouter la musique, suivre un match de foot ou le tour de France, c’était la radio. Objet étrange d’où sortent des sons.

Enfant de la radio

«J’ai grandi avec une radio collée aux oreilles. Je bénis celui qui me l’avait offerte. […] Elle était là les jours de solitude ou de gros temps à la maison. Elle était là quand Gainsbourg est mort, et quand l’OM a gagné la Coupe d’Europe. La voix de Saccomano qui monte dans les tours, le but de Boli. Pas de besoin des images pour le voir», raconte Marc Fauvelle dans le «Dictionnaire amoureux de la radio».

Je suis un enfant de la radio.

Avec l’âge, tu comprends que ces sons, ces mots racontent des histoires et décrivent des mondes que tu es appelé à découvrir, sinon à imaginer.

Il y a quelques semaines, j’ai vu Anne Toulouse. C’était la première fois. Sa voix m’est pourtant familière. Sous les lumières du studio d’Europe 1 – dont on ne sait plus dire si c’est une radio ou une télévision-, je n’ai pas reconnu «ma» Anne Toulouse. Celle qui m’a fait découvrir les Etats-Unis d’Amérique, à travers ses reportages. Elle a longtemps été la correspondante de RFI dans le pays de l’Oncle Sam.

Tout était beau dans les reportages d’Anne Toulouse : sa voix, ses intonations, ses mots.

C’est comme cela que les auditeurs finissent par mettre eux-mêmes les visages les voix qu’ils entendent à longueur de journées.

Je me souviens d’un douanier qui s’était exclamé «Vous êtes si jeune !» alors que son collègue me le présentait : «Lui, c’est Joël Bofengo, de Radio Okapi». En m’écoutant tous les après-midis animer pendant une heure l’antenne de Radio Okapi à Kananga, le monsieur s’était fait de moi l’image d’un «vieux monsieur avec des cheveux grisonnant et un gros ventre». Raté !

C’est en lisant le «Dictionnaire amoureux de la radio» que j’ai compris que tous les férus de la radio ont l’imagination chevillée au corps. Et la liberté pleine la tête. Les deux ne vont d’ailleurs jamais l’une sans l’autre.

«La radio est un medium chaud. […] la chaleur de la radio, c’est le son d’une voix, d’une ambiance. En l’entendant, nous imaginons un paysage, une femme, un homme… qui ne correspondront pas forcément à la réalité s’il nous arrive de les rencontrer», écrit Gilles Schneider à l’entrée «Imaginaire» du dictionnaire.

Alain Foka, Juan Gomez, Claudy Siar. J’aurais aimé ne jamais les voir un jour. La chaleur de leurs voix me suffisait. Mon imagination faisait le reste.

Imagination trop souvent mise à contribution. Pour suivre les matches de la Coupe d’Afrique des nations de football. Pour comprendre les souffrances des habitants de Gaza et de la Cisjordanie. Pour déceler la colère des manifestants contre le gouvernement Juppé.

C’est cela la magie de la radio : donner à voir et à comprendre sans les images.

«Posons un transistor au milieu d’une assemblée. Elle écoutera la même chose, mais chacun entendra différemment le message. Un vecteur intelligent s’adressera à chaque récepteur intelligent. Grâce à son imaginaire, le récepteur se fabriquera un décor, il ‘’verra’’ l’orchestre jouer, le jouer de foot dribbler, le manifestant matraqué, le comédien déclamer, les débatteurs politiques s’écharper, etc.»

Si la radio crée autant d’émotions, c’est parce qu’elle laisse libre cours à chacun de se fabriquer ses propres images. De créer son propre monde.

La radio n’est donc un «vecteur objectif». Ce qui oblige les journalistes à être honnêtes.

«Dans le récit en direct d’un évènement, le reporter doit savoir choisir les mots justes. Il y a des mots chargés qui, eux aussi, frappent l’imaginaire. […] Un monticule de pavés de deux mètres de hauteur est une barricade et quand vous employez le mot ‘’barricade’’ vous allumez l’imaginaire des Révolutions françaises, Victor Hugo, la Commune de Paris… […] Quand vous décrivez la barricade, l’auditeur attend la suite : l’affrontement !», note très justement Gilles Schneider.

«Si loin si proche»

Autant vous dire que l’enfant de la radio que je suis est très déçu quand il écoute actuellement les radios congolaises.

Rien dans le ton, les mots, les sons ne donne à voir, à penser ou à comprendre. Rien.

La spécificité de la radio tient au fait que l’auditeur est actif. A la télé, le match, l’info ou le spectacle lui est présenté comme cela se passe. Il n’y a rien à ajouter.

A la radio, il faut un effort de l’auditeur pour que le reportage devienne intelligible. Les mots du reportage doivent être autant de briques que l’auditeur assemble pour construire un édifice. C’est cela le but ultime de tout journaliste de radio.

Je ne me suis jamais rendu à Port-Cros. Mais Vladimir Cagnolari m’a fait découvrir cet «un écrin de verdure et de criques baignant dans les eaux turquoises de la Méditerranée, un repaire de dauphins, de baleines ou de gros mérou et le paradis de la posidonie, cette plante à fleurs indispensable à la vie marine en Méditerranée».

Vladimir Cagnolari c’est une voix inimitable. C’est aussi un reporter incroyable qui te fait voyager avec des mots, des sons, des bruitages, etc.

Avec lui, Port-Cros, pourtant si loin, est soudainement si proche.

Lorsqu’il le faut, décrire. Quand les mots ne le peuvent pas, laisser le son suggérer des images. Et quand ni l’un ni l’autre ne le peuvent, laisser témoigner les voisins, les parents, les survivants, les amis, etc.

L’objectif étant de trouver le meilleur moyen possible d’informer. D’étonner. D’émouvoir.

Car il n’y a pas de radio sans émotions.

Les pleurs, les joies, les colères doivent pouvoir s’exprimer dans une radio. Sans voyeurisme. Avec pudeur. Sans jamais en faire trop. Sans jouer un rôle. En étant sincère. La voix ne trompe pas.

Brigitte Lahaie, animatrice de radio (RMC-Sud Radio), écrit dans le «Dictionnaire amoureux de la radio» :

«Si les yeux sont les fenêtres de l’âme, il me semble que la voix en est la porte».

Franck Ferrand fait d’ailleurs remarquer dans le même dictionnaire que dans «animateur», il y a «anima», l’âme : «Tant il est vrai qu’animer, c’est donner de l’âme à l’antenne».

Et c’est cela qui crée ce lien si particulier que les auditeurs tissent avec les voix de la radio. Elles deviennent des amis. C’est ce qu’Anne Goscinny appelle la «complicité unilatérale».

Moi qui ai en honneur le tutoiement, j’ai fini par comprendre pourquoi les auditeurs qui me reconnaissaient dans les rues de Kananga me tutoyaient et m’appelaient par mon prénom.

J’étais devenu leur ami. Un ami qu’on n’a peut-être jamais vu mais dont la voix nous est familière parce qu’elle nous annonce avec la même sincérité la mort d’un grand personnage de l’histoire que la victoire de la sélection nationale de foot.

«Par la vertu du verbe, faire naître des images dans l’esprit du public, des sensations et des émotions».

C’est pour cela que j’aime la radio. C’est pour cela aussi que pour moi, la radio ce sera toujours sans vidéo, sans images.

«Il est d’ailleurs bien dommage que nombre de dirigeants actuels de radio – qui n’en comprennent pas toujours la magie car ils viennent du monde de la télévision – installent des caméras dans les studios. Quel intérêt ?», s’interroge Yolaine de La Bigne, qui est notamment passée par France Info, Europe 1 et France Inter.

«Dans ce flot d’images que nous impose la société de consommation, défend-elle, la voix est plus que jamais porteuse d’émotions. Elle a cette pudeur de ne pas s’imposer à vous comme l’image de la télévision au milieu du salon. […] Pouvoir écouter une émission sans être figée devant un écran, partager un joli moment ou se passionner pour un sujet tout en conduisant, en préparant une salade ou en faisant son jogging. La radio quand je veux, où je veux, avec qui je veux ! Radio complice, radio amie, qui dit toujours et encore ton nom : Liberté.»

C’est cette radio-là que je voudrais, un jour, refaire… Afin de pouvoir à nouveau dire à l’auditeur : «Ferme les yeux et imagine-toi».

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