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Faire le bon diagnostic

Farine de manioc

Faire le bon diagnostic

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Un fidèle lecteur de ce blog m’a récemment fait savoir qu’il voit poindre un certain pessimisme émerger dans mes écrits. Pour reprendre exactement ses mots, il a dit : «On a le sentiment que tu n’y crois plus. Ni au Congo. Ni en l’humanité.»

J’ignore si vous aussi vous avez cette impression en lisant les billets publiés sur ce blog. Mais sachez que ce n’est nullement mon état d’esprit.

Pour illustrer son propos, le lecteur a cité les textes que j’ai écrits sur l’école et le numérique : «Tu sembles dire que le Congo et l’humanité sont condamnés. Et qu’il n’y a pas d’issue heureuse possible».

Je dois reconnaître que le tableau que je peins quand il m’arrive de décrire certaines réalités congolaises est souvent noir. Mais c’est par souci de fidélité à la réalité. Et pas l’expression d’un défaitisme qui ne dirait pas son nom.

Pour moi, l’optimisme ne consiste pas à déformer la réalité pour lui donner la forme la moins tragique possible.

Je défends tout le contraire. Pour résoudre un problème, il faut le décrire le mieux possible. Poser le bon diagnostic. Peu importe ce que peut susciter ce diagnostic auprès de l’opinion.

Un pays comme le Congo- où tout le monde s’accorde à dire qu’il y a tant et tant à faire pour sortir la tête de l’eau- aura tort de ne pas regarder la réalité telle qu’elle est. Quitte à décourager les moins disposés à participer à l’effort de redressement.

«Les crises de demain sont souvent le refus [de répondre aux] questions d’aujourd’hui.»

La formation des jeunes, la gestion des finances publiques, l’urbanisation, la production de l’énergie, la gestion des déchets, la justice, la sécurité. Ce sont autant de défis auxquels le Congo fait face et qui nécessitent une analyse froide qui ne saurait s’accommoder avec la moindre complaisance.

Voilà pour le constat.

On peut y voir un aveu de faiblesse qui se rapprocherait au renoncement. Il n’en est rien.

Il n’y a pas de fatalité

Autant je plaide pour la lucidité dans l’analyse et l’examen des problèmes qui se posent au Congo (et à l’humanité, en général). Autant j’en appelle à l’enthousiasme pour leur résolution.

Les deux attitudes ne sont pas contradictoires de mon point de vue. L’une doit pouvoir alimenter l’autre. Le sérieux de l’analyse doit encourager la vigueur dans l’action.

Je concède que des constats accablants peuvent décourager les moins aguerris. Dans le même temps, il faut reconnaître que les diagnostics complaisants aggravent le mal, parce que n’apportant pas de solutions à la hauteur du problème.

Ce que l’on peut estimer être du défaitisme dans l’analyse, je l’appelle réalisme. Il est nécessaire. Le contraire rendrait le redressement plus hypothétique.

Mais comme les lecteurs de ce blog l’ont surement déjà remarqué, je mets un point d’honneur à proposer des solutions. Sinon à lancer un appel à l’action. Car, voyez-vous, je ne me résous jamais à la fatalité. En agissant avec ambition, courage, stratégie et générosité, on finit toujours par résoudre des problèmes. Même les plus complexes. Ceci vaut autant pour les individus que pour les États. Telle est ma conviction.

Je reprends souvent cette phrase entendue dans le discours prononcé par l’ancien président français Nicolas Sarkozy devant le Parlement congolais en 2009 : «Quand on refuse le confort du renoncement, il n’y a pas de fatalité».

Le Congo n’est pas condamné à dépérir. Mais il faut être lucide. Mettre fin à cette espèce de sentimentalité qui nous caractérise lorsqu’il faut nous mobiliser pour répondre aux défis qui se posent à notre pays. Ils sont nombreux et exigent de chacun et de tous de faire preuve de rigueur. Individuellement et collectivement.

«Individuellement, OK. Collectivement, KO»

Sur les réseaux sociaux, je vois souvent ce constat fait par des utilisateurs congolais qui se désolent de voir que certaines personnes réussissent brillamment quand elles travaillent pour leur propre compte alors qu’une fois nommées à un poste de responsabilité, les mêmes personnes sont incapables de mettre en œuvre les politiques publiques efficaces et utiles à tout le pays.

Pour moi, ce constat pose une question à laquelle il ne me semble pas que nous ayons déjà répondue depuis la création de notre République : Sommes-nous capables de travailler ensemble pour le bien de tous ?

Dès les premières heures de l’indépendance, le Congo s’est déchiré. Mutineries, velléités indépendantistes, querelles byzantines. A tort ou à raison, certains n’y ont vu que des manipulations étrangères. Soit.

Si cette hypothèse est vraie, pourquoi l’élite d’alors n’a-t-elle pas résisté ? Pourquoi certains ont préféré coopérer avec des puissances qui avaient des visées déstabilisatrices au Congo ?

A bien des égards, tous les maux dont souffre actuellement le Congo ne sont que la répétition continuelle de ce schéma qui porte un nom : RENONCEMENT.

Une nation, c’est d’abord des hommes et des femmes qui résistent à tout pour construire une structure capable de les protéger autant des ennemis intérieurs qu’extérieurs. C’est ce que l’on appelle l’État.

Mais l’État est un concept intellectuel qui reste assez abstrait pour une bonne majorité des habitants du Congo. C’est peut-être lié à la jeunesse de notre République. Mais c’est surtout lié à une certaine conception de la vie largement partagée dans le pays : le particulier prime sur le collectif.

La formule «Individuellement, OK. Collectivement, KO» n’est qu’une conséquence de cette conception de la vie où chacun préfère son petit bonheur personnel (ou communautaire) au sacrifice qu’exige le bien collectif.

Faire le bon diagnostic

Ce collectif que représente l’État n’apparait que comme une abstraction qui ne parle pas à grand-monde.

La preuve : l’argent, les biens et les bâtiments publics sont considérés, à tort, comme des choses n’appartenant à personne, que chacun peut utiliser comme bon lui semble, sans tenir compte de leur utilité publique.

Résultat : corruption, népotisme, clientélisme, prédation.

Même le Congolais le moins instruit n’embaucherait de personnes dans son entreprise, sans tenir compte des recettes générées. Mais des Congolais les plus instruit se permettent de recruter au sein de l’administration publique un nombre de personnes que personne ne contrôle.

Ce n’est pas une question de niveau d’instruction. C’est bien plus que cela. Notre rapport avec le collectif est complètement faussé.

Dès qu’il s’agit de penser à l’intérêt collectif, les cerveaux sont comme débranchés. Plus personne ne se donne la peine de penser, d’agir avec rigueur, de se poser de bonnes questions.

C’est ce rapport défaillant avec l’intérêt collectif qui me semble être le bon diagnostic du mal qui ronge le pays depuis sa création.

Enfant, j’entendais des adultes parler du président Mobutu comme étant le «mal zaïrois». Le président Joseph Kabila a également été présenté comme le «problème» du Congo.

Ces diagnostics sont faux. Le problème du pays ne porte pas le nom d’une personne. Il porte notre visage à tous.

C’est le visage du père qui appelle son frère enseignant pour qu’il donne à son enfant des cotes qu’il ne mérite pas à l’école. C’est le visage du responsable de l’administration publique qui embauche ses enfants et ses concubines sans respecter le statut. C’est le mandataire public qui détourne des fonds de son entreprise pour faire des «actions» dans son village. Ce sont les députés qui s’octroient des rémunérations sans tenir compte de l’équité sociale.

Chacun, en son for intérieur, est persuadé de faire du bien à quelqu’un qui lui est cher ou à une communauté dont il se sent proche. Sans s’interroger sur les conséquences sur le collectif. Encore une fois : le particulier prime sur le collectif.

Tant que nous n’aurons pas résolu cette question, le Congo restera ce pays perdu et sans boussole d’où remontent quotidiennement les supplications vers Dieu et vers la «communauté internationale». 

Voilà pour le diagnostic. Il faut maintenant agir en conséquence.

4 comments

comments user
Julio

Diagnostic intéressant ! Merci ! J’aimerais plutôt dire un mot sur la préoccupation du lecteur ayant constaté le pessimisme. Comme tu l’as si bien dit qu’il y a aussi des lecteurs moins aguerris pouvant être découragés. Je propose de ne pas seulement soulever le Congo par le fond mais de fois le tirer par le haut du précipice dans lequel il se trouve. Ça veut simplement dire ne pas seulement parler de ceux qui font mal pour nous alerter mais aussi parler de ceux qui font bien pour nous stimuler à suivre leur exemple. Car il y a des gens qui ne croient même plus en la possibilité de réussir dans ce pays. Peindre le tableau d’une réussite même individuelle peut aussi relever le collectif.

    comments user
    Joël Bofengo

    Mon cher Julio. Je prends note de ta remarque. Je ferai un effort. Merci de continuer à lire ce blog. 😎

      comments user
      KAZU

      Je suis très touché par ce tableau de la réalité de notre pays que vous venez de peindre ici.

        comments user
        Joël Bofengo

        Merci d’avoir pris le temps de le lire. C’est très gentil. Revenez plus souvent.

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