Secrets d’avocate
Partagez maintenant sur :
[Sonnerie de téléphone] Ring Ring…
-Ton téléphone sonne.
-Je sais.
-Tu ne décroches pas ?
-Non.
-Pourquoi ?
-Tu ne vas pas faire une scène à cause de ce foutu téléphone.
-Non. Ce n’était pas dans mes intentions.
Clara se remet à lire le livre qu’il avait en main même si elle donne plus l’impression d’éviter la compagnie de son époux que de vouloir vraiment terminer un beau roman.
Pourtant les romans, elle les enchaine depuis son adolescence. Son père lui en emportait de Paris où il travaillait comme conseiller culturel à l’ambassade du Zaïre.
Clara ne veut pas répondre à cet appel. Elle sait qui l’appelle. Elle sait également que répondre alors que son époux est assis juste en face d’elle n’est pas une bonne idée.
Je ne la connais que depuis une année mais les personnes qui nous voient discuter doivent penser que nous sommes des vieilles copines. Elle ne m’a jamais dit comment elle a obtenu mon numéro de portable. Mais c’est pour demander une course qu’elle m’a téléphoné la première fois.
C’est sa diction au téléphone qui avait attiré mon attention dans un premier temps. Clara parle sans aucun accent un français parfait. Sa voix est douce. Son rythme posé.
Quand je me suis présentée à l’adresse qu’elle m’avait indiquée, c’est sa beauté qui m’avait subjuguée. Une quadra avec une taille fine, une démarche assurée et un visage d’ange. Même si elle voudrait en avoir un peu plus, son postérieur est d’une rondeur et d’une régularité parfaites.
-Le portail est rouge. Quand vous arrivez, veuillez klaxonner. Quelqu’un viendra ouvrir.
La parcelle semble être le dernier morceau d’une grande concession morcelée à plusieurs reprises. L’Allée verte est une avenue réputée calme à Ma Campagne. Quand le gardien m’a ouvert le portail, je me suis tout de suite dit que ma nouvelle cliente était l’une de ces dames entretenues par un homme riche. Le gazon qui recouvrait la majeure partie de la parcelle était parfaitement tondue. Des fleurs plantées à intervalles réguliers rendait l’ensemble presque monastique.
La maison ressemblait davantage à un cottage qu’aux vastes demeures que l’on voit généralement à Ma Campagne. Clara est sortie par la porte de derrière et m’a fait signe de mettre le véhicule en position de départ et de me rapprocher davantage de la véranda comme si elle craignait d’être vue au moment d’entrer dans la voiture. Mais elle a tenu à faire un signe discret de la main en direction d’une personne qui semblait se trouver derrière le rideau de l’une des fenêtres du salon.
-Bonjour, Madame. Nous allons à l’Immeuble Rose.
-Bonjour. C’est Mademoiselle. L’immeuble Rose à côté de l’Hôtel du Gouvernement ?
-Oui. Et si ça ne vous dérange pas. Vous m’attendrez devant l’immeuble pour que nous allions ensuite à la Cour de cassation.
Clara est avocate. Elle est mariée et mère d’un petit garçon, Chris, venu au monde après cinq ans de mariage. Mais contrairement à ce que j’avais pensé, elle n’habite pas Ma Campagne.
C’est une semaine après que je l’ai découvert. Elle m’avait écrit le matin pour me demander de passer la chercher à «la même adresse vers 11 heures».
Arrivée devant le portail, je me suis rendue compte que je ne pouvais pas entrer dans la parcelle. Un gros camion barrait le passage. Des mécaniciens dont les vêtements étaient recouverts de graisses et de taches noires s’activaient sous le moteur.
-Je ne peux pas entrer.
Elle doit avoir éloigné le téléphone de son visage pour que je n’entende pas le juron qu’elle avait lancé. Mais c’était un juron anglais.
-D’accord. J’arrive.
Avant de raccrocher, j’ai entendu une voix d’homme dire : «Il y a un problème ?». J’en avais conclu que c’était son homme. Mais une scène va m’amener à reconsidérer tout ce que j’avais pensé jusque-là de Clara. Pendant que je faisais la manœuvre pour me mettre dans le sens de notre trajet, un SUV blanc klaxonne dans ma direction. En baissant la vitre, je découvre un monsieur de petite taille avec un visage aux traits durs. Il ne me regardait pas. Ou plutôt. Il regardait mais ne me voyait pas.
-Qu’est-ce que tu fais là ?
-C’est une longue histoire.
-Tu es censée être à ton cabinet. Si tu ne la racontes pas ta longue histoire, vous n’irez nulle part.
Tout de suite, j’ai compris que c’était l’époux de Clara et que cette dernière allait se retrouver dans de beaux draps si je n’intervenais pas.
-Excusez, Monsieur. C’est ma faute. J’avais accepté deux courses en même temps. J’ai dû supplier votre femme d’accepter qu’on dépose le premier client avant que je ne la ramène à son bureau.
Le monsieur me fusille du regard, avant de me lancer :
-Garez-vous à côté.
C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés tous les trois dans la parcelle devant un beau jeune homme d’une vingtaine d’années qui semblait avoir été interrompu alors qu’il se déshabillait. Ou qu’il s’habillait. Mais l’effet visuel était le même.
-Bonjour monsieur !
-Taisez-vous. C’est moi qui parle.
L’époux de Clara se doutait bien que mon histoire était louche. Il a donc pris le devant.
-Connaissez-vous ces deux dames ?
-Excusez-moi, monsieur, mais vous êtes la seule personne que je n’ai jamais vue parmi vous trois. Elle, c’est la conductrice de taxi. Et madame, une cliente. Il y a un problème ?
Était-ce l’accoutrement du jeune homme ou la volonté de ne pas faire de scène qui l’a conduit à prendre cette décision ? Je ne le saurais jamais. Mais l’époux de Clara a décidé de mettre fin à la conversation, de sortir et de remonter dans son véhicule.
De cet épisode est née une solide amitié.
-Vous n’étiez pas obligée d’intervenir.
-Je sais. Mais il faut toujours porter secours à une sœur. Les garçons ne se trahissent jamais.
-J’aime votre philosophie.
Nous ne sommes plus allées à son cabinet. Nous sommes allées nous promener le long du fleuve.
Elle m’a parlé d’Apollon. Le jeune homme qui nous avait ouvert la porte du cottage quelques minutes plus tôt. De son travail de «masseur» pour dames. De ce cottage qu’elle loue pour «décompresser». Je lui ai parlé de mon taxi, de mon «autre» activité.
-J’avoue avoir une imagination fertile. Mais je n’aurais jamais pensé à cela. Une maison de passe ambulante. Vous êtes futée !
-Mais si votre époux enquête un peu, il découvrira que c’est vous qui payez la maison.
-Non. Les paiements se font au nom d’une entreprise qui est la filiale d’une entreprise qui est la filiale d’une entreprise cliente de mon cabinet. A moins d’engager des experts en fiscalité, c’est difficile de remonter le fil.
-Vous êtes encore plus futée que moi. Le jour où j’aurais des ennuis, je sais désormais qui contacter.
2 comments