×

Queen

Queen

Partagez maintenant sur :

«Monsieur Makasu, le tableau a déjà été effacé.»

L’interpellation de Mbuyi sort son enseignant de sa rêverie. Depuis la reprise des cours après les vacances de Noël, ses élèves trouvent Makasu un peu changé.

Lui qui aime mettre de l’ambiance dans ses salles de classe avant de commencer sa leçon du jour est plus calme. Un peu distrait aussi. Comme s’il avait la tête ailleurs.

-Ouvrez vos livres !, lance soudainement Makasu.

Depuis l’année passée, l’enseignant assure le cours de français en classes de sixième année Mathématique-physique, Biologie-chimie et Pédagogie.

Une partie du cours est consacrée à l’examen du célèbre roman de Cheikh Amidou Kane, «Aventure ambiguë».

-Mbuyi, commence la lecture !, ordonne l’enseignant.  

-«Samba Diallo ne répondit pas. Mais Mariam était habituée à son humeur taciturne et presque tragique. Quand elle eut tourné le dos, Demba, le plus âgé des quatre disciples du groupe de Samba Diallo, claqua la langue et s’esclaffa, s’efforçant à la vulgarité : — Si j’avais une cousine avec des fossettes si mignonnettes… Il s’interrompit, car Samba Diallo, qui avait déjà fait quelques pas vers le portail, s’était arrêté et le fixait de son regard tranquille.»

-Stop !

L’enseignant balaye la classe de sixième Mathématique-physique du regard. Les vingt-deux paires d’yeux en face de lui l’observent attentivement.

Même s’il n’est pas l’établissement scolaire le plus côté de la ville de Kinshasa, du fait notamment de sa situation géographique, le Lycée Mokanda est connu pour sa rigueur. Il forme de bons élèves.

Quand on leur parle de leurs camarades de Kabambare et Mpiko, les filles de Mokanda répondent toutes : «C’est nous les meilleures».

Au cours de la décennie 1990, les finalistes de l’école ont obtenu les meilleurs résultats à l’examen d’Etat. Elles ont fait mieux que Mpiko et Kabambare.

En plus de leurs résultats scolaires, les filles de Mokanda se sont également fait connaître pour leurs performances sportives. Au cours des cinq dernières années, elles ont remporté tous les trophées des championnats interscolaires de basket et de volley.

Le lycée, situé en plein cœur du quartier Kingasani dans la commune de Kimbanseke, est tenu par les sœurs de la congrégation des Capucines de Sacré Cœur. Réputées rigoureuses et sévères, ces religieuses ne tolèrent aucun écart.

Ni de la part des élèves. Ni de la part des enseignants.

Les élèves évaluent leurs enseignants chaque trimestre, en remplissant individuellement une fiche où sont reprises des rubriques comme «Intégrité», «Engagement», «Ponctualité», «Innovation», «Équité». Chaque élève attribue à son enseignant une note qui varie entre 1 et 10.

En dessous de la rubrique «Intégrité», il est prévu un espace où l’élève peut expliquer les raisons de sa cotation. Des enseignants ont déjà été renvoyés à cause des rapports faits pour leurs élèves.

En 2019, les élèves de la cinquième année Pédagogie ont ainsi fait partir leurs enseignants de psychologie et d’éducation physique, pour «comportement inapproprié».

Trois élèves avaient accusé l’enseignant d’éducation physique d’attouchements sexuels. Deux autres ont mentionné dans leurs fiches de cotation que leur enseignant de psychologie les avait invitées à son domicile un dimanche.

Une enquête avait été ouverte. Les deux enseignants ont été remerciés à la fin de l’année.

Apprécié dans les classes où il enseigne, Makasu a toujours été très bien côté par ses élèves. Trois années de suite, il a été désigné meilleur enseignant de l’école. 

Ce qui étonne beaucoup Libanais.

-Tu sais, je ne te l’ai jamais dit. Mais le jour où tu m’as appris que tu étais enseignant dans un lycée, j’ai eu beaucoup de peine.

-Mais pourquoi ?

-Je te connais, mon cher.

-Alors là, tu ne me connais pas bien.

-Raconte.

-Je ne sors jamais avec mes élèves. Jamais.

-Tu n’en as jamais eu la tentation ?

-Non.

-Je ne te crois pas.

Libanais a tort. Makasu n’a jamais éprouvé la moindre attirance pour ses élèves. Et il y a une raison à cela.

En 2005, Makasu est en quatrième année littéraire à l’Institut Envol à Yolo. Le jeune homme vit chez ses grands-parents. Il a 15 ans. Et il est amoureux d’une camarade de classe.

C’est depuis la première année secondaire qu’il court derrière Queen. La jeune fille ne veut pas d’une relation avec un garçon de son âge.

-Si j’étais un peu plus âgé, tu accepterais de sortir avec moi ?

-C’est possible. Tu es beau garçon.

Queen est la plus belle fille de l’école. Elle le sait. Après les cours, les garçons lui proposent de transporter son cartable ou de l’accompagner chez elle.

Mais la jeune fille attire également le regard de ses enseignants. Et il y en a un qu’elle apprécie particulièrement, son enseignant d’histoire. Réputé difficile et sévère, le jeune enseignant a déjà remarqué l’intérêt que lui porte son élève.

Le 20 mai, c’est l’anniversaire de la création de l’école. Une journée culturelle est organisée, comme chaque année. Les élèves produisent des spectacles devant leurs enseignants et un parterre d’invités.

Après son spectacle de danse, très applaudi par le public, Queen est chaleureusement félicitée par son enseignant d’histoire qui l’invite à le suivre.

Makasu remarque que Queen n’est pas dans l’assistance quand il interprète sur scène la chanson «Dulcinée» d’Éric Tutsi qu’il voulait lui dédier. La jeune fille a passé le reste de la journée chez son enseignant.

Le dernier jour des examens de fin d’année, Queen embrasse Makasu sur la joue et lui glisse à l’oreille : «A la rentrée prochaine, il te restera deux ans pour me convaincre de sortir avec toi. Si tu échoues, il faudra oublier.»

Il n’y aura pas de rentrée prochaine pour Queen. Pendant les vacances, la jeune fille découvre qu’elle est enceinte. Elle court voir son enseignant qui renie la grossesse et l’accuse d’être une fille légère.

Les parents de Queen décident de mettre fin à la scolarité de leur fille et de l’envoyer vivre chez ses grands-parents à Masina.

Septembre arrive, c’est la rentrée scolaire. Makasu est excité à l’idée de revoir Queen. Mais la jeune fille ne vient pas. Ni le premier jour. Ni le deuxième. Elle ne pointera plus son nez à l’école.

Le 28 février 2006, Makasu accompagne sa grand-mère voir l’une de ses amies malades à l’Hôpital de l’amitié sino-congolaise à Ndjili.

Perdu dans les couloirs de cet hôpital alors qu’il cherchait les toilettes, Makasu tombe nez-à-nez sur Queen, un bébé à la main. Le jeune homme s’arrête net. Il ne sait pas quoi dire devant cette jeune fille qui ne ressemble plus beaucoup à la Queen qu’il a connue à l’Institut Envol.

-C’est…

-Oui. C’est mon fils.

Devant son ancien camarade de classe qui a visiblement perdu la langue, Queen poursuit :

-J’aurais été heureuse s’il était de toi. Mais ce n’est pas le cas.

-Il est de qui ?

Queen prend Makasu par le bras et le conduit jusque dans sa chambre où elle lui raconte toute l’histoire avec son enseignant.

-Le salaud !

C’est ce jour-là que Makasu a décidé de devenir enseignant.

2 comments

comments user
Tania MULENDA

Bien que refusant d’accepter que le Lycée Mokanda soit meilleur que mon Lycée Kabambare 😒 , j’attends impatiemment la suite de l’histoire la semaine prochaine.

    comments user
    Joël Bofengo

    On va finir par organiser un battle entre les lycéennes de Kabambare (après ce sera celles de Mpiko) et de Mokanda. On saura qui sont les meilleures.

Laisser un commentaire

LinkedIn
Share
WhatsApp
Copy link
URL has been copied successfully!