Nous avons beaucoup à apprendre du XXe siècle
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J’ai commencé l’année avec deux lectures fort intéressantes : les «Mémoires de guerre» de Charles de Gaulle et «Le XXe siècle raconté par Max Gallo».
De Gaulle et Max Gallo sont deux figures de ce vingtième siècle. Le premier – militaire et politique – en est un acteur majeur. Le second – écrivain, historien – un analyste informé, lucide et acéré.
Le pire de la nature humaine
Je suis fasciné depuis ma tendre enfance par ce siècle dont je n’ai connu que les dernières années. Mon père nous avait acheté un dictionnaire «Le Petit Robert des noms propres». Je le lisais comme on lit un roman. Page après page. C’est ainsi que j’ai découvert qui était Yasser Arafat, Yitzhak Rabin, Tito, Churchill, etc.
Ma petite radio, dans une main, mon «Le Petit Robert», dans l’autre, mon esprit a toujours voyagé dans ce siècle fascinant dont Max Gallo dit qu’il est un «siècle décevant, un siècle dur et violent qui nous a montré, des camps de concentration d’Auschwitz à la bombe d’Hiroshima, de quoi nous sommes capables».
C’est vrai que les deux guerres mondiales nous ont révélé le pire de la nature humaine ; ce que Primo Levi raconte dans «Si c’est un homme» ou Marceline Loridan-Ivens dans «Et tu n’es pas revenu». Tous les deux ont fait l’expérience des camps de concentration nazis.
La deuxième a été déportée avec son père. Elle en est revenue. Pas lui. «J’étais ta chère petite fille. On l’est encore à quinze ans. On l’est à tous les âges. J’ai eu si peu de temps pour faire provision de toi». C’est cela le vingtième siècle.
Max Gallo raconte le ghetto de Varsovie :
«Imaginez, au centre de votre ville, une autre ville, des quartiers entourés de murs. Derrière ces murs, des hommes, des femmes, des enfants qui, hier, vivaient parfois à côté de vous, de votre immeuble, et qu’un décret vient d’obliger à tout quitter pour se rendre derrière ces murs. Un tramway traverse ce ghetto, car c’est d’un ghetto qu’il s’agit. […] en plein cœur du XXe siècle, dans l’une des plus célèbres et des plus vieilles capitales de l’Europe, Varsovie la Polonaise, […] 500 000 personnes ne sont pas considérées comme des hommes à part entière. Ils sont voués à la mort, parce qu’ils sont juifs et on les a d’abord parqués dans ces quartiers, ce ghetto de Varsovie, en attendant leur liquidation.»
L’horreur.
A la fin de chaque chapitre de son livre, Max Gallo répond à des questions. «Quelle était l’attitude des Polonais, de l’autre côté du mur ?», demande-t-on au sujet du ghetto de Varsovie.
Difficile question qui s’adresse à chacun d’entre nous. Nous pouvons jouer aux vierges effarouchés et nous emporter contre la lâcheté des Polonais qui ont laissé faire. «L’attitude des Polonais est très controversée», commence Max Gallo dans sa réponse.
Réécrire l’histoire est un exercice périlleux. Surtout s’il s’agit d’une tentative de compréhension et d’explication d’actes posés par des acteurs qui ont vécu dans un temps que nous n’avons pas connu.
Mais la vraie question, à mon sens, est : qu’aurions-nous fait ? Ou plus exactement, que faisons-nous ?
Quand des bandits armés s’attaquent à une dame âgée à côté de nous, intervenons-nous pour lui venir en aide ? Ou préférons-nous filmer avec notre téléphone portable ?
Si demain, pour une raison ou une autre, un régime étranger imposait des règles discriminatoires au Congo contre une partie de la population, oserions-nous nous lever pour nous opposer ?
«Il est très difficile d’échapper à un climat historique, à une période où l’égoïsme, c’est-à-dire la volonté de s’en sortir, soi d’abord, triomphe, et que les Justes sont peu nombreux dans une population. Sur cent personnes, il n’y en a jamais eu plus de deux ou de trois, qui sont des résistants», explique Max Gallo.
Réponse lucide.
Mais ceux qui résistent, il y en a.
Les meilleurs d’entre nous
L’histoire du XXe siècle est aussi celle de la résistance à l’oppression et à la barbarie. Le général De Gaulle est de ceux qui ont refusé de se coucher devant l’Allemagne nazie.
Dans la première partie de ses mémoires, il raconte ces moments où la nation française a vacillé. Ses dirigeants ont abdiqué, choisissant le confort de la capitulation à la rudesse de la résistance et du combat.
«Après un arrêt à Jersey, nous arrivâmes à Londres au début de l’après-midi. Tandis que je prenais logis et que Courcel, téléphonant à l’ambassade et aux missions, les trouvait déjà réticentes, je m’apparaissais à moi-même, seul et démuni de tout, comme un homme au bord d’un océan qu’il prétendrait franchir à la nage», écrit l’homme de la «France Libre».
Nous avons beaucoup à apprendre du XXe siècle.
Alors que le Congo vit des heures sombres, il n’est pas inintéressant de se replonger dans l’histoire pour tenter de comprendre les mécanismes qui conduisent les hommes à vouloir anéantir leurs semblables et les ressorts qui poussent les opprimés à résister et à s’opposer.
«Plus vous saurez regarder loin dans le passé, plus vous verrez loin dans le futur», écrit Churchill, un autre grand homme de ce XXe siècle.
En 1952, le général De Gaulle déclarait à Bayeux :
«La Défense ! C’est la première raison d’être de l’Etat. Il n’y peut manquer sans se détruire lui-même.»
La défaite française de 1940 face à l’Allemagne nazie n’est pas le fruit d’un hasard de l’histoire. Tout un ensemble de comportements des citoyens et de leurs dirigeants ont conduit une grande nation à se renier et à préférer la capitulation au combat.
«Toutes les grandes races dominantes ont été des races de combattants. Qu’une race vienne à perdre cette vertu guerrière et, quelles que soient ses autres qualités, aussi douée soit-elle pour le commerce et la finance, la science ou les arts, elle perd à l’instant même son droit de se dresser fièrement aux cotés des meilleures. La lâcheté, chez un homme ou dans une race, est un péché irrémissible», écrit Theodore Roosevelt, cité par Graham Allison dans «Vers la guerre».
Les Congolais devraient méditer cette phrase. Le M23 ressurgit après dix ans. Des pans entiers du territoire national sont occupés. Que dit cette défaite de notre pays ?
Un peu comme la France qui, après avoir été vainqueure en 1918, a été littéralement écrasée en 1940.
Winston Churchill, alors ministre de la Marine dit à ses collègues du gouvernement :
«Ce n’est qu’en se préparant à la guerre que l’on peut garantir la préservation des richesses, des ressources naturelles et du territoire de l’Etat.»
Nous avons tort de ne pas intérioriser cette sagesse. Le Congo sera toujours sous la menace des prédateurs de tout bord et des conquérant de tout poil. Il faut être prêt à faire face. Non pas avec des accords politiques mal négociés qui n’aboutissent qu’à la répétition d’un passé tragique et immuable. Mais se préparer à affronter les menaces comme une nation fière et libre et qui veut le demeurer.
Les hommes qui ne peuvent – ou ne veulent – pas se battre subiront nécessairement la loi de ceux qui en sont capables.
Devant le Naval War College en 1897, Theodore Roosevelt, alors secrétaire adjoint à la Marine, prononçait ces mots :
La diplomatie est certes «une excellente chose», mais, «en dernière analyse, si nous souhaitons que ce pays reste en paix avec les nations étrangères, nous serions bien avisés de placer notre confiance dans une marine de premier ordre, et des navires de guerre de premier ordre, plutôt que dans les traités mis au point par des hommes».
Nous avons pris l’habitude de répéter que le monde a changé et qu’il n’est plus comme il était avant. Mais nous oublions de dire que l’âme humaine avec ses passions est restée la même, capable du meilleur mais surtout du pire.
Longtemps avant nous, Thucydide faisait remarquer que «les hommes, selon une nécessite de leur nature, tendent à la domination partout où leurs forces prévalent. Ce n’est pas nous qui avons établi cette loi, et nous ne sommes pas les premiers à l’appliquer. Elle était en pratique avant nous ; elle subsistera à jamais après nous».
Nous avons beaucoup à apprendre du passé.
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