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«L’équation avant la nuit» de Blaise Ndala ne raconte pas le passé, il décrit le présent

Couverture du roman "L'équation avant la nuit"

«L’équation avant la nuit» de Blaise Ndala ne raconte pas le passé, il décrit le présent

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C’est sur Instagram que j’ai découvert «L’équation avant la nuit» de Blaise Ndala. Occasion pour moi de dire ici que je ne suis pas un vieux réactionnaire qui plaide pour la fin des réseaux sociaux. J’y découvre le tiers de mes lectures. Preuve s’il en est que ces outils peuvent être utiles. Mais tel n’est pas le sujet de ce billet de blog.

Quand j’ai refermé la dernière page du roman de Blaise Ndala, je me suis dit que je venais de lire un grand roman. Le petit résumé que proposait les éditions JC Lattès avait tout pour attirer mon attention. Un roman sur fond de l’une des périodes historiques pour lequel je manifeste le plus d’intérêt : la Seconde guerre mondiale. La bombe atomique, l’uranium de Shinkolobwe.

Autant j’ai pris beaucoup de plaisir à voyager aux côtés de l’écrivain Daniel Zinga et son amie, la prof de littérature Beatriz Reimann, de Washington à Berlin, en passant par Santiago, redécouvrant ainsi les péripéties – certes romancées – de la course à l’arme atomique, autant j’estime que l’essentiel du roman de Blaise Ndala est ailleurs.

Autrement dit, pour moi, ce roman parle moins du passé que du présent. Et c’est cela la vraie originalité de M. Ndala que je lis pour la première fois.

Au cœur du roman, il y a le procès de l’extractivisme. Hier, à Shinkolobwe parmi les Lundas et dans les Territoires du Nord-Ouest canadien parmi les Dénés, comme aujourd’hui, au Kivu, en Ituri et dans le Katanga, extraire – avec quelque fois une brutalité et une violence rare – les matières premières des sous-sols des peuples qui n’ont rien demandé et qui n’en bénéficient pas est un choix assumé. Pas un accident de l’histoire.

Jeune garçon à Kinshasa, j’entendais des adultes dire avec fierté que l’uranium du Katanga a été utilisé pour la confection de la bombe atomique qui a saccagé le Japon. J’avoue ne jamais avoir compris cette fierté déplacée.

D’ailleurs, la poétesse dénée Daisy Kotchea suggère à son ami Daniel Zinga une démarche qui n’est pas dénuée de tout intérêt. Elle et son peuple sont allés demander pardon aux Japonais. Pourquoi les Lundas dont le sous-sol a fourni une partie de l’uranium de la bombe larguée sur Hiroshima et Nagasaki n’en feraient pas de même ?

Quand Daniel Zinga, en visite au Congo, son pays d’origine, fait la proposition au prince Lunda, héritier d’un empire qui ne ressemble plus beaucoup à celui dont les Belges et les Américains ont bousculé les traditions pour extraire le précieux uranium, il est abasourdi par la réponse qu’il entend.

Le prince «Dow Jones» Kongolo n’est capable d’attendre de cette démarche que les retombées financières. Cet héritier qui est également député et entremetteur pour les investisseurs dans les mines du Katanga est le prototype du politicien congolais d’aujourd’hui.

Une scène surréaliste est parfaitement racontée dans «L’équation avant la nuit». Le prince-député accompagne des investisseurs turcs – en fait, ils sont iraniens – faire une prospection. Mais le petit porteur qui transporte le groupe auquel s’est adjoint le ministre provincial des Mines et l’écrivain Daniel Zinga est interdit d’atterrissage par une entreprise chinoise qui exploite la même mine.

Quand on referme «L’équation avant la nuit», on ne peut qu’être d’accord avec la poétesse dénée Daisy Kotchea :

«Depuis le premier jour, ma fille, depuis la première poignée de main, le premier sourire, chaque fois que notre peuple a choisi de leur faire confiance, je dis bien chaque fois, cela a fini par se retourner contre nous.»

Comme pour le peuple déné, l’histoire du peuple congolais depuis l’arrivée des explorateurs est celle d’une prédation sans fin.

Les colons belges sont partis. D’autres leur ont succédé. Mais comme toujours, les prédateurs trouvent leur «Dow Jones» local – du Katanga à l’Ituri en passant par le Kivu – pour piller un sous-sol objet d’un appétit vorace que rien ne peut assouvir.

«De Déline à Shinkolobwe, de Kinshasa à Yellowknife, le prédateur sait que la proie sait et de le savoir ne l’empêche pas de commettre l’irréparable. Quelle leçon la proie informée en tire-t-elle ?», nous interroge Daisy Kotchea.

C’est ce que j’ai retenu en lisant avec beaucoup de plaisir «Équation avant la nuit» de Blaise Ndala. Je vous recommande ce beau roman.

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