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Kinshasa, pour le meilleur et pour le pire

Kinshasa, pour le meilleur et pour le pire

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La pluie qui s’est abattue la nuit de lundi à mardi 13 décembre à Kinshasa a fait au moins 120 morts et d’importants dégâts matériels. Ce qui en fait la catastrophe la plus meurtrière de ces deux dernières décennies à Kinshasa.

Comme c’est maintenant la règle lors de chaque drame, après les messages de compassion rapidement relayés (et vite oubliés), place à la polémique. Qui est le responsable ? On n’attendra pas de faire le deuil pour ça.  

Sur les réseaux sociaux et dans les médias, certains fustigent une gestion défaillante de la ville alors que d\’autres mettent en avant «l’incivisme» de la population.

Des responsables politiques ont même pris la parole pour donner leur avis. Le président du Sénat a ainsi profité d’une séance de cette chambre du Parlement pour parler des «compatriotes [qui] viennent de perdre la vie à la suite de l’éboulement qui s’est produit après Matadi Kibala à la suite des pluies diluviennes mais aussi à la suite de l’incivisme».

De son côté, le gouverneur de la ville qui a exprimé dans un communiqué «toute ma compassion aux personnes ayant subi d’une manière ou d’une autre, les conséquences néfastes de cette catastrophe», n’a pas manqué d’inviter à «une prise de conscience collective sur l’impérieuse nécessité de respecter les règles urbanistiques».

De quoi alimenter encore les vives discussions sur les réseaux sociaux entre ceux qui mettent en cause «l’irresponsabilité» des autorités et ceux qui déplorent «l’incivisme» des citoyens.

«Ville à problèmes»

J’ai quitté Kinshasa en 2017. Je m’y rends au moins deux fois par an. J’y suis attaché. C’est ma ville. Mais je ne peux m’empêcher, à chaque fois que je suis à Kinshasa, d’avoir la sensation d’être dans une ville hors de contrôle. Ce n’est pas qu’une sensation.

Dans un excellent reportage publié sur le site Internet d’information suisse «Le Temps», Clément Bonnerot parle de Kinshasa comme d’une «mégapole magnétique». Une ville «séparée en deux par une frontière invisible aux visiteurs» :

«D’un côté, la commune de la Gombe, connue simplement sous le nom de «Ville», avec ses villas cossues et ses grands immeubles. Construite de part et d’autre du boulevard du 30-Juin, en bordure du fleuve, c’est l’ancien quartier colonial, aujourd’hui devenu le centre des affaires, là où se concentrent la plupart des institutions du pays, des banques et des grandes entreprises.

Au-delà du célèbre boulevard, c’est la «Cité», chaotique et tentaculaire, avec ses routes défoncées, ses constructions anarchiques et ses rues poussiéreuses, jonchées de déchets. Personne ne sait vraiment combien d’âmes y vivent.»

En effet, personne ne sait exactement le nombre de personnes qui vivent dans la capitale congolaise. Le dernier recensement organisé dans le pays remonte à 1984. Mais les estimations publiées par plusieurs organisations suffisent pour donner une idée de ce qu\’est actuellement Kinshasa : une mégapole où «les déchets plastiques envahissent les rivières et provoquent inondations, maladies et pollution».

A l’indépendance du pays, Kinshasa comptait 500 000 habitants. 

Un rapport du PNUD de mars 2009 indique que la ville comptait en ce moment-là 5,8 millions d’habitants. Soit dix fois plus qu’en 1960.

Un document d’UN-Habitat qui cite une estimation de l’agence japonaise de coopération internationale de 2017 évoque une population de 12 millions d’habitants, deux fois plus que huit ans plus tôt.

Actuellement, certaines estimations font état d\’une ville peuplée d’environ 15 millions d’habitants.

Ainsi donc, Kinshasa est passé de 500 000 habitants à 15 millions en un peu plus de 60 ans.

L’extrême pauvreté côtoie le manque criant d’infrastructures dans cette ville où personne n’a pensé ni planifié les conséquences d’une croissance démographique aussi importante.

«Kin, la belle»

Toute mon enfance, j’ai entendu des adultes parler de «Kin, la belle» sans trop savoir si c’était de l’ironie ou de l’aveuglement.

Dans le document d’UN-Habitat, on peut lire que Kinshasa produit quotidiennement 8 400 tonnes de déchets. «Le taux de collecte organisée [des déchets] est estimé à 25%», précise le même rapport. Où finissent alors les 75% des déchets restant ?

On les retrouve dans les rivières, dans les caniveaux et autres voies d’évacuation d’eau ou à certains endroits de la ville où s’amoncellent des tas d’immondices qui empestent jusqu’à ce que les récriminations des voisins (notamment sur les réseaux sociaux) finissent par contraindre les autorités municipales à les déplacer.

Kinshasa croule littéralement sous les déchets. Mais la ville continue d’attirer chaque année de nombreuses personnes venues des provinces voisines (ou pas).

«C’est un des nombreux paradoxes de Kinshasa, commente Clément Bonnerot dans son reportage. Ville bruyante, polluée et sale, elle repousse autant qu’elle attire, dégage une énergie presque irrésistible. Kinshasa ne laisse jamais indifférent.»

«Ce qui attire les gens à Kinshasa et ce qui les fait rester, c’est tout ce qui a trait au plaisir», explique le professeur Adelin Nsitu, de l’Université de Kinshasa, cité dans le reportage.

Quitte à s’entasser à six, sept ou dix dans une petite pièce pour passer la nuit, les Kinois ne sont pas du genre à renoncer à leur ville qui connaît pourtant un sérieux problème de logement. Mais ce n’est pas une spécificité congolaise.

Dans un article intitulé «Les villes africaines vont-elles exploser ?», le média français «Le Point» relève notamment qu’«en raison du rythme élevé de la croissance démographique, ONU-Habitat estime les besoins en Afrique à 4 millions de logements supplémentaires chaque année».

Et ce besoin de logement n’est pas prêt de ralentir. Bien au contraire.

Ville la plus peuplée d’Afrique

Comme le note Armelle Choplin, professeure à l\’Université de Genève et autrice de «Matière grise de l’urbain, la vie du ciment en Afrique», «d’ici une décennie, Lagos, la capitale économique du Nigeria, Le Caire, en Egypte, ou Kinshasa, en République démocratique du Congo feront partie des dix villes les plus peuplées du monde. Il est difficile de suivre l’évolution démographique de ces mégapoles africaines, car on ne sait pas où elles s’arrêtent».

Selon les estimations du Global Cities Institute, Kinshasa sera en 2050 la quatrième ville la plus peuplée du monde et la première en Afrique, avec environ 35 millions d’habitants.

Dans les 30 prochaines années, la population de la capitale congolaise va donc doubler, aggravant les problèmes qu’elle connaît déjà : gestion des déchets, logement, sécurité, infrastructures.

Pour le moment, rien ne montre que ce problème est pris au sérieux. A l’occasion des inondations de plus en plus meurtrières, le débat refait surface, le temps de susciter de chaudes empoignades sur les réseaux sociaux. Sans plus.

De temps en temps, des projets pharaoniques sont présentés au public pour «désengorger» Kinshasa. On a à peine le temps de s’interroger sur leur faisabilité qu’une nouvelle polémique surgit, faisant oublier l’urgence de penser ce que sera la capitale congolaise dans les 30 prochaines années.

En 2050, Kinshasa sera soit un monstre urbain soit une référence de la réflexion et de l’innovation urbaine et architecturale. La ville a tout pour être un grand centre intellectuel, culturel et politique en Afrique. Mais pour y arriver, il est urgent que le travail de réflexion, de planification et de décision commence tout de suite. D’autant que repenser Kinshasa va nécessiter d’intégrer le principal enjeu de ce XXIe siècle : le changement climatique.

«Si l\’Afrique ne trouve pas le moyen de construire des villes durables avec un meilleur accès au capital privé, ces dernières risquent alors de devenir invivables et endettées», notent ainsi Robert Muggah et Katie Hill pour qui «les dirigeants nationaux et municipaux n\’ont pas de temps à perdre. Ils doivent prendre les mesures nécessaires pour attirer l\’investissement privé dans les infrastructures urbaines».

Comme le Congo, Kinshasa sera ce que nous en ferons. Pour le meilleur et pour le pire…

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