Et revoilà Tshibo !
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-Tu es finalement devenu fan de Dadju ?
Makasu n’en revient pas. La voix qu’il vient d’entendre ressemble bien à celle de Tshibo. Avant de se retourner, il prend quelques secondes pour réfléchir à ce qu’il compte faire et dire s’il s’agit bien de la jeune femme qu’il a rencontrée le soir de la Saint Sylvestre.
-Comme ça, on n’invite pas les amis le jour de son mariage…
Gênée, Tshibo comprend tout de suite que Makasu est au courant de son mariage. Elle s’approche de la table où l’enseignant prenait une bière, l’effleure de l’épaule et dépose une bise sur sa joue gauche.
-Je peux tout t’expliquer.
-Tu penses qu’il y a encore des choses à expliquer.
Makasu avait eu une journée difficile. A l’école, il avait eu un échange vif avec le directeur de discipline de son lycée au sujet d’une élève qui devait être punie pour son retard aux cours. Mais la veille, la mère de l’élève avait informé Makasu, titulaire de la classe de l’enfant, de ce retard.
-Pas de problème. Je vais en parler au directeur de discipline. Elle n’aura aucun problème, avait promis l’enseignant.
Mais le directeur de discipline s’était montré inflexible malgré les explications de son collègue. L’élève devait nettoyer les toilettes comme les autres élèves arrivées en retard ce jour-là.
Alors que l’échange devenait vif, le directeur de discipline, ancien camarade de promotion de Makasu à l’UPN, lâche :
-Vous voilà en train de protéger une élève retardataire. Quand on vous dit de ne pas sortir avec ces enfants, vous pensez que c’est pour vous embêter.
Hors de lui, Makasu a failli se jeter sur son collègue. C’est l’arrivée de la sœur préfète qui a mis fin à l’engueulade.
Après les cours, Makasu avait rendez-vous avec Washington. Il s’est mal passé. La jeune femme lui a annoncé qu’elle ne souhaitait pas que l’enfant qu’elle porte hérite du nom de son père. Makasu en a été blessé. Mais il n’était pas en position de discuter. Washington avait toutes les cartes en main. Makasu se savait en faute. Il n’a pas pu contester. Mais il a été meurtri.
C’est peut-être pour noyer son chagrin qu’il s’est rendu sans trop réfléchir à Ngwasuma, l’un des lieux de détente le plus en vue de Kinshasa, pour «prendre une bière».
-Ce n’est pas d’une bière dont j’ai besoin. Mais de toute la Bralima.
-La boisson ne console pas.
Après avoir raconté à Tshibo ce qu’il a connu ces dernières semaines, Makasu remarque que la jeune femme la regarde avec un mélange de compassion et d’étonnement.
C’est pourtant elle qui voulait se confier à Makasu. Lui raconter ce qui s’était passé. Les circonstances de son mariage. Le rendez-vous manqué du jour de l’an.
-Je ne te jugerai pas. Tu n’avais aucun compte à me rendre. Rien ne t’obligeait de m’annoncer que tu allais te marier.
-Je me reproche pourtant de t’avoir laissé penser que j’étais libre. Ce n’était pas le cas.
-Nous mentons tous pour des raisons diverses et variées. De bonnes et de mauvaises. C’est humain. Par omission ou par action, il nous arrive de dire des choses pas tout à fait vraies ou complètement fausses. Chacun a au moins une bonne raison pour taire la vérité. Ou pour n’en dire qu’une partie. C’est la vie. Tu sais, Youssoupha a raison quand il dit dans «Mon Roi» : «T’es pas meilleur que les autres, c’est juste que tes péchés sont différents des leurs».
-Moi qui pensais que tu n’écoutais que Koffi Olomide.
-Je me suis mis à écouter Dadju après notre rencontre.
-Tout à l’heure, je t’ai vu bouger la tête quand ils ont joué «Compliqué». Ça te fait penser à quelque chose ?
-A toi.
«Compliqué» est un titre de l’album «Poison» sorti par Dadju en 2019. Makasu l’a beaucoup écouté depuis le rendez-vous manqué du 1er janvier et le mariage de Tshibo.
«J\’ai rencontré une meuf en soirée sur Paris
On s\’voyait quelques soirs, on était plus qu\’amis
Elle m\’appelait quand ça chauffait avec son p\’tit ami
Histoire de décompresser sur le tatami
Les trois règles c\’était, de une, on n\’se promet rien
De deux, pas de jalousie, de trois, personne parle jusqu\’à la fin
Bien évidemment, j\’accepte, moi, je n\’risque rien
Son mec, c\’est pas mon souci, t\’inquiète, j\’risque pas d\’y mettre fin
Célibataire endurci, rien à foutre que l\’on me juge.»
-Pourquoi ton fiancé n’était pas présent le jour de la dot ?
-Comment sais-tu qu’il n’était pas là ?
-Papa Samba m’a dit : «La famille du fiancé de Tshibo a apporté la dot».
-Et tu en as déduis qu’il n’était pas là en personne ?
-Je ne te l’avais pas dit quand nous nous sommes vus le 31 décembre. Je suis enseignant de français. Je suis payé pour comprendre les mots. Même ceux qui ne sont pas prononcés.
Makasu a tapé juste. Tabu ne vit pas au Congo. Il n’a jamais rencontré celle qui est maintenant son épouse. Leurs familles se connaissent. Ce sont elles qui ont décidé du mariage. Tshibo n’en voulait pas. Elle n’a pas vraiment eu le choix. Son père l’a menacée de la déshériter si elle refusait d’épouser celui que sa famille trouvait comme «le meilleur pour le poste».
Après deux ans de vives engueulades, la jeune femme a finalement cédé. Sa mère, atteinte de cancer, avait posé sur la table l’argument ultime : «Tu es mon unique fille. Je veux te voir te marier avant de mourir.»
Les familles de Tshibo et Tabu sont parmi les plus connues de Kintambo. Mais Tabu est parti vivre à Bruxelles depuis l’âge de deux ans. Il n’a pas connu Tshibo, de trois ans sa cadette.
-Pourquoi m’as-tu invité le jour de l’an ?
-Je ne sais pas. J’avais la vague impression que tu étais ma bouée de sauvetage. Celui qui m’aurait permis d’échapper à ce piège ?
-Et tu m’invitais le jour où toute ta famille était réunie ?
-Ils étaient tous allés fêter dans la famille de Tabu. Nous n’aurions été qu’à deux.
-Et pourquoi tu n’y es pas allée ?
-C’était censé être le jour de l’enterrement de ma vie de jeune fille.
-Et j’ai tout gâché…
-Non. Le destin ne l’a pas voulu.
-Tu ne demandes même pas pourquoi je ne suis pas venu.
-A quoi bon ! Ce qui est fait est fait. Il faut avancer.
-Tu es fataliste.
-Tu connais les dernières paroles de Dadju dans «Compliqué» ?
-«Dans tous les cas, ça finit mal».
-C’est la grande leçon de la vie. Quoi que tu fasses, ça finit mal.
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