Arrêtons de nous raconter des histoires !
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Le dernier livre d’Édouard Philippe «Le prix de nos mensonges» suscite beaucoup de commentaires depuis sa sortie en librairie le 4 juin dernier. Ce matin, l’ancien Premier ministre français était au micro de Thomas Sotto dans la matinale de RTL.
Avec son sens de la formule, Thomas Sotto l’a tout de suite lancé dans le vif du sujet. Le livre aurait pu s’appeler «Il faut arrêter de se raconter des histoires», assène l’animateur.
C’est de cela qu’il s’agit effectivement dans le livre d’Édouard Philippe – que je n’ai pas encore lu mais dont j’ai découvert de larges extraits dans les médias.
Quand, comme moi, on suit la carrière politique de M. Philippe depuis un moment, on n’est pas surpris. Ce qu’il a écrit dans ce livre, il le répète depuis plusieurs années déjà. Dans «Des lieux qui disent», son précédent livre dont je vous ai brièvement parlé ici, il expliquait déjà la nécessité d’être sérieux dans la gestion des finances de la France.
Sur son site Internet, un extrait du livre est repris :
«Nous nous racontons des histoires, des histoires jolies, des histoires rassurantes, des histoires glorieuses parfois, de celles qui aident à s’endormir et qui nous empêchent de proposer au pays des solutions utiles. (…) Pendant que nous nous mentons, ils innovent, ils voient le monde tel qu’il est et essaient de s’adapter à ce qu’il sera. Et nous, nous glosons.»
Cet extrait comme celui que Thomas Sotto a cité au cours de l’interview de ce matin m’a fait penser au Congo :
«Nous passons notre temps à essayer de déformer les faits pour qu’ils entrent dans les histoires que nous racontons.»
Ce que dit Édouard Philippe dans «Le prix de nos mensonges» au sujet de la France s’applique aussi malheureusement au Congo.
Nous avons une certaine tendance à nous raconter des histoires notamment quand il s’agit de parler de notre passé.
Depuis que je suis en âge de comprendre les mots des adultes, j’entends dire la phrase «Avant, c’était mieux» appliquée à toutes les périodes passées de l’histoire du Congo.
Quand le président Mobutu était au pouvoir, j’entendais des adultes autour de moi dire que sous la colonisation belge, c’était mieux.
Après le départ de Mobutu et l’arrivée du président Laurent Kabila, puis, de son fils Joseph Kabila, j’en ai entendu regretter le règne du «Maréchal» : «A l’époque de Mobutu, l’argent circulait».
Actuellement, il n’est pas rare d’entendre des compatriotes réclamer le retour de l’ancien président Joseph Kabila à qui a succédé Félix Tshisekedi depuis 2019.
Certes, comme je l’ai déjà mentionné sur ce blog, dans le présent immédiat, l’être humain est plus sensible au négatif qu’au positif tandis que la mémoire, elle, retient le positif et oublie le négatif.
Mais ce recours systématique à un passé prétendument glorieux ou heureux du Congo en dit long sur nous et sur notre rapport avec le travail, le progrès et l’histoire.
Regarder le passé avec lucidité
Arrêtons de nous raconter des histoires, la colonisation belge a été une très douloureuse expérience pour les Congolais.
Peu s’en souviennent. Mais pendant la colonisation, les «indigènes» – c’est comme cela qu’on nous appelait – n’avaient pas le droit de faire certaines études. Les facultés de droit et de médecine, par exemple, sont restées, pendant un moment, interdites aux Congolais.
Dans «Mobutu, le point de départ», Francis Moheim pointe d’ailleurs l’apartheid qui caractérisait la politique des Belges dans leur colonie :
«L’opinion belge a toujours été très mal informée de ce qui se passait réellement au Congo. Or, la colonisation belge était basée sur l’apartheid. […] il faut constater que la colonisation belge s’inspirait des deux éléments fondamentaux de l’apartheid : la conviction que les individus de race blanche sont supérieurs aux individus de race noire et, par conséquent, la conclusion que si l’on veut faire coexister ces races, il faut organiser la ségrégation entre elles.»
Même si, comme le note Colette Braeckman dans «Le dinosaure. Le Zaïre de Mobutu», certains Zaïrois, lassés par des années d’incurie et de gabegie de la gouvernance Mobutu, ont pu regretter l’ordre qui semblait caractériser la colonisation belge, rien ne permet à un Congolais de regretter cette période de servitude et de domination.
Arrêtons également de nous raconter des histoires en ânonnant que «sous Mobutu, le pays se portait bien».
Le président Mobutu a dirigé le Congo qu’il avait rebaptisé Zaïre pendant trente-deux ans. En dehors de cinq ou six premières années de son administration, on ne retrouve pas une trace d’une gouvernance éclairée. Loin de là.
Porté par l’embellie des cours des matières premières, le Zaïre a eu une économie florissante jusqu’au milieu de la décennie 1970. Mais aucune politique publique n’a été mise en œuvre pour faire profiter le pays de cette manne. En dehors de la construction du barrage hydro-électrique d’Inga – dont on aurait tant à dire du fait de la corruption et des gaspillages qui ont caractérisé cette épopée –, aucun projet d’infrastructures d’envergure n’a été lancé et mené à son terme avec efficience. La preuve : en 1997, quand le président Mobutu quitte le pouvoir, le Zaïre est un champ de ruines. Le réseau ferroviaire est à l’abandon. Les routes en lambeaux. L’industrie inexistante.
Dans «Zaïre : les princes de l’invisible» de Thassinda Uba Thassinda que j’ai lu récemment, j’ai trouvé cet extrait :
«Dans un document publié en 1981 par le bureau du Comité central [du MPR], on peut lire qu’un membre du Comité central touchait un salaire mensuel de 15 000 zaïres […]. A titre de comparaison, un directeur de l’administration touchait entre 400 et 500 zaïres par mois. Un médecin entre 500 et 600 zaïres par mois. À la même époque, un sac de farine de manioc valait 250 zaïres. Celui du riz 300 à 400 zaïres.»
Vous avez bien lu : le salaire d’un directeur dans l’administration publique lui permettait tout juste d’acheter un sac de riz.
Non. Nous n’avons aucune raison de regretter la gouvernance du président Mobutu.
Les douleurs du présent ne doivent pas occulter les malheurs passés. Faute de lucidité, nous tombons trop facilement dans ce piège.
Et à force de regretter un passé glorieux imaginaire au lieu de construire un avenir désirable, nous sommes devenus les spectateurs de notre propre déclin.
Mon propos n’est pas de dire que tout ce qui a été fait par le passé devrait être rejeté. Mais soyons lucides. Analysons froidement notre passé et puisons-y les raisons et les motivations pour construire un pays fier et ambitieux.
65 ans
Dans cinq jours, le Congo va célébrer son 65e anniversaire.
Certes, 65 ans pour une nation, c’est jeune. Mais comment ne pas regretter tout ce gâchis ? «Septennat du social», «Révolution de la modernité», «Le peuple d’abord». Les dirigeants politiques congolais ont longtemps endormi leurs concitoyens avec des slogans sans substance dont le pays ne porte aucune trace matérielle.
Édouard Philippe dit de son livre qu’il est une «invitation pressante à rompre avec les facilités et les postures, une invitation à ne s’interdire aucune remise en question, à dire ce qui est pour pouvoir, ensuite, faire ce qu’il faut».
Arrêtons de nous raconter des histoires. Le Congo est pauvre. L’État est fragile. Les institutions vacillent.
Au micro de Thomas Sotto, Édouard Philippe a notamment déclaré : «Être faible dans un monde dangereux, c’est s’exposer à des graves déconvenues.»
Il a raison. Les Congolais devraient y prendre garde. Le temps des réformes, c’est maintenant. Pas demain. 2025 marque la fin du premier quart de ce siècle. Dans les vingt-cinq prochaines années, la population du pays va doubler. C’est maintenant qu’il faut préparer le Congo dans lequel cette génération va vivre.
Ecole, justice, sécurité, infrastructures et énergie. Cinq domaines où toutes les énergies doivent être mobilisées immédiatement si nous ne voulons pas disparaître comme nation.
Et définitivement : arrêtons de nous raconter des histoires !
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