Après les élections, il faut qu’on se parle…
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Je me réjouis que nous ayons finalement eu l’habitude d’organiser des échéances électorales à intervalle plus moins régulier en République démocratique du Congo. Le 20 décembre prochain, les Congolais seront aux urnes pour élire un nouveau chef de l’Etat ou réélire l’actuel. Ils éliront également leurs députés ainsi que leurs conseillers municipaux.
J’ai bien conscience que rien de tout ceci n’est parfait. Loin de là. Mais comme nous le rappelait le président Nicolas Sarkozy lors d’une allocution devant les deux chambres du Parlement congolais en 2009 :
«La démocratie, c\’est une lourde exigence. Mais qui peut penser que la démocratie se fait en un jour ?».
Personne. Evidemment.
C’est élections après élections. Contestations après contestations. Atermoiements. Colères. Douleurs. Pleurs. Échecs. Violences après violences que nous construirons les parfaites élections de demain. Il n’y a pas d’autre chemin possible. Pour apprendre, il faut faire. Et en faisant, on se trompe. On tombe. On balbutie. Et c’est bien normal.
C’est ainsi qu’après plusieurs tentatives, un bébé finit par marcher. Ses parents ont beau lui témoigner leur amour mais ils lui laisseront la liberté des tentatives infructueuses.
C’est pareil pour une nation. C’est par des échecs successifs qu’on finit par construire des institutions stables et pérennes.
Mais il y a une condition : prendre conscience des erreurs et les corriger. C’est la seule façon de tirer profit des fautes du passé.
C’est pour cette raison que j’écris ces lignes. Pendant toute la période électorale, et même après la proclamation des résultats, je ne ferai aucun commentaire sur les élections. Je n’écrirai rien à ce sujet. Chacun votera en âme et conscience et fera en sorte d’être un bon citoyen.
Si je publie ce billet de blog, c’est pour plaider pour une idée que j’estime utile à ce moment précis de l’histoire du Congo. Quand les résultats des prochaines seront publiées, et après que la Cour Constitutionnelle aura gravé dans le marbre les résultats définitifs, il va falloir que l’on se parle.
Ce sera la responsabilité du nouveau chef de l’État- si c’est un nouvel élu- ou de l’actuel, s’il est réélu.
Je lui conseille de convoquer des assises nationales auxquelles les principales forces politiques (issues des élections), les syndicats, les intellectuels, les corporations, les mouvements de jeunes et de femmes vont être conviés.
Pour quoi faire ? Partager le pouvoir ? Non.
Les élections auront déjà servi à cela. Il y aura un chef de l’État- auréolé de la légitimité du suffrage universel- et une majorité parlementaire, tel que souhaité par les électeurs.
Dans ce cas alors, pourquoi organiser des concertations qui seront coûteuses financièrement ?
Parce que s’il y a une constante que les différents cycles électoraux que le Congo a connus ont montré, ce qu’en tant que nation, nous ne sommes d’accord sur rien. Depuis 2006, les élections ont été davantage des moments de déchirement et de fractures qu’autre chose. Le pays n’en est pas sorti meilleur. Il est temps d’en tirer les leçons et de prendre les bonnes décisions.
Le monde a changé
Depuis 2006, le monde a beaucoup changé. La Chine est devenue la deuxième puissance économique du monde, assumant désormais le rôle de l’autre hyperpuissance aux côtés des États-Unis. Et faisant craindre une confrontation entre l’Aigle et le Dragon.
Les GAFAM sont davantage valorisés que le montant du PIB du Japon, de l’Allemagne ou de la France.
Le Coronavirus a mis le monde sous cloche pendant plusieurs mois.
Le monde a découvert le télétravail.
La Russie a envahi l’Ukraine qui résiste et tenter de retrouver son intégrité territoriale.
Le monde a découvert ChatGPT, une intelligence artificielle, capable de générer du contenu, en répondant à des requêtes.
La population du Congo est passé de 56,5 millions à plus de 90 millions d’habitants.
J’aurais pu rallonger la liste. Un noir a été élu président des États-Unis. Saddam Hussein a été tué. Michael Jackson est décédé. Le Gabon s’est débarrassé de la famille Bongo. La milice Wagner a remplacé des troupes françaises dans certains pays d’Afrique.
Mais là n’est pas l’essentiel de mon propos. Ce que je tente d’expliquer ici est que nous ne pouvons plus continuer à faire comme si le monde nous attendait.
Par faiblesse, par renoncement, faute de stratégie et d’adresse, nous n’avons pas été capable de suivre l’évolution du monde dans ses grandes orientations.
Notre système éducatif est resté le même alors que tout a changé autour : le boom de l’intelligence artificielle va générer de nouveaux métiers, rendant ainsi obsolètes des milliers d’autres.
Notre lecture du monde extérieur est restée la même alors que les acteurs ont changé : la suprématie des États-Unis est contestée au point qu’un pays comme l’Arabie Saoudite a rejoint l’Organisation de coopération de Shanghai, chapeautée par Pékin et Moscou. L’ordre du monde de l’après-deuxième guerre mondiale est remis en cause.
C’est de ces moments de grande turbulence et de remise en cause des certitudes du passé qu’il faut savoir tirer profit.
Un dialogue pour quoi faire ?
Le dialogue que j’appelle de mes vœux doit nous aider à trouver un consensus national sur cinq questions qui vont nous servir de boussole jusqu’en 2050 :
-la sécurité et la défense
-l’école et la formation des jeunes
-les infrastructures, l’énergie et l’industrialisation
-la justice
-l’écologisation.
De ces assises doit sortir un plan détaillé qui va dessiner le contour du Congo de 2050. Les administrations qui seront portées au pouvoir vont s’en servir comme d’un cadre. Il ne sera plus question de faire table rase du passé à l’élection de chaque nouveau président. C’est pour cette raison que nous avons besoin d’un consensus national.
Jusqu’ici, nous avons donné le sentiment d’être un peuple spectateur de son destin. Il faut en finir avec cet attentisme.
Il est temps de forger notre destin, de le façonner. Non pas en nous demandant comme des enfants ce que vont en penser les uns et les autres mais en tirant profit de l’état du monde afin d’obtenir ce qu’il y a de mieux pour nous.
Nous avons besoin d’alliés. Il nous faut donc une doctrine pour notre politique étrangère.
Nous avons besoin d’une armée puissante. Il nous faut donc une doctrine militaire.
Nous avons besoin d’une jeunesse bien formée et qualifiée. Il nous faut donc une école de qualité.
Nous avons besoin d’une justice libre et indépendante. Il nous faut apprendre à nous soumettre à nos propres lois.
Nous avons besoin d’argent pour financer la construction d’infrastructures. Il nous faut gérer correctement nos finances publiques.
En 2050, la population du Congo sera le double de ce qu’elle est actuellement. Pas besoin d’être grand clerc pour deviner qu’un pays de 100 millions de personnes ne se gouverne pas comme un pays de 200 millions d’âmes. Le Congo de 2050 doit être pensé maintenant.
Il faut qu’on se parle…
Les enfants qui naissent aujourd’hui seront adultes au milieu du siècle. Dans quel pays vivront-ils ?
C’est à cette question que nous devons répondre au cours de ce dialogue entre Congolais. Un dialogue qui n’aura pas pour finalité de partager le pouvoir. Je le redis. Mais de tracer un plan. Celui qui inspirera nos décisions à venir.
Et c’est en 2050, après avoir fait le bilan du plan qui sera en train de s’achever que nous lancerons un nouveau plan. Celui nous guidera pour les cinquante prochaines années.
Avec comme objectif : être la première puissance économique, militaire et technologique africaine en 2100.
Ceci n’est pas une fiction. C’est de l’ordre du possible.
«Nous devrions nous inspirer de ce qu’a fait la Chine», avait déclaré le président Tshisekedi lors d’une interview à la télévision chinoise CGTN lors de sa visite en Chine en juin 2023.
Cette déclaration m’avait fait penser à un extrait de «Vers la guerre».
Graham Allison reprend dans son livre la réponse d’un capital-risqueur de Shangaï à qui l’on a demandé un jour quelle était la légitimité du Parti communiste chinois qui n’a jamais été élu. Sa réponse :
«Les faits sont connus. En 1949, quand le parti est arrivé au pouvoir, la Chine était plongée dans la guerre civile, démembrée par des agressions étrangères, et à cette époque l’espérance de vie atteignait à peine les 41 ans. Aujourd’hui, la Chine est la deuxième économie mondiale, c’est un géant industriel et sa population jouit d’une prospérité croissante.»
Ce que les Chinois ont fait au cours des 70 dernières années est prodigieux.
Avec sa propre histoire et son âme, le Congo peut également réaliser quelque chose de spectaculaire, au profit de ses citoyens. Il nous faut un plan, une stratégie et une volonté tenace.
Après les élections, il faut qu’on se parle…
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