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Écrire comme on est…

Écrire comme on est…

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Faire comme tout le monde. Rien ne m’exaspère autant que cette injonction. Quand j’étais plus jeune, je disais que je ne faisais rien comme tout le monde parce que je n’étais pas «tout le monde». La phrase est terriblement prétentieuse. Je ne la prononce plus. Mais je garde intacte ma conviction. Chacun doit faire comme il est. Vous noterez que j’écris «comme il est». Et pas «comme il veut». Précisément parce que rien ne permet à un être humain de faire comme il veut. La volonté individuelle n’est pas l’unité de mesure dans une collectivité.

Je l’ai écrit dans un précédent billet : être libre ce n’est pas faire ce que l’on veut. C’est faire ce que l’on doit.

La liberté qu’elle soit individuelle ou collective s’exerce dans un cadre défini. En dehors de tout cadre défini, il n’y a pas de liberté possible. De la même manière, la liberté ne vaut rien sans l’ordre.

Reprenons depuis le début.

Il arrive souvent que je reçoive des commentaires des personnes qui lisent les billets publiés sur ce blog. Celui qui revient le plus souvent est : «J’aime votre style d’écriture». Je ne le cache pas. Ça me fait plaisir.

Ce «style d’écriture» obéit à un seul impératif : la liberté. J’écris comme je suis. Avec la liberté et l’impertinence que m’ont appris mes parents. Avec la curiosité et la culture que je chéris tant. Avec l’imagination sans quoi aucune création n’est possible. Telle est ma boussole.

Mais je n’écris pas comme je veux. L’écriture doit obéir à des règles. Sur la forme, la grammaire. Elle est essentielle. Il est imprudent de penser que l’on peut s’en affranchir impunément. Et il est idiot de professer que ce sont des règles désuètes qui compliqueraient inutilement la langue française. Si vous ne la connaissez pas, fournissez un effort. Apprenez ! L’ignorance ne pourrait jamais passer pour de la liberté. Bien au contraire. C’est en maîtrisant le mieux qui soit la grammaire que l’on peut se permettre des artifices de style et des acrobaties de figure.

Sur le fond, l’écriture doit également obéir à des règles. La première étant le respect des autres. Ceux qui vous lisent aujourd’hui et ceux qui liront demain. Ne jamais s’en prendre à quelqu’un personnellement. Contester des idées. Critiquer les décisions. Réprouver des comportements. Commenter des évènements. Mais ne jamais s’en prendre au physique des autres. Ni à leur famille. Ni à leurs proches. Ni jamais insulter. Ne jamais dénigrer. Ne jamais diffamer. Toujours vérifier avant d’alléguer.

Une fois que l’on s’est mis d’accord sur tout ceci, on a le droit d’être libre. Ne l’oubliez pas : «La liberté se mérite par la préparation, par la prudence et par la discipline, c’est-à-dire par tout ce qui semble la restreindre et qui pourtant, systématiquement, la précède».

Libre d’écrire comme on est.

Pourquoi «comme on est» ? Parce que dans une écriture doit transparaître une personnalité. Une histoire personnelle. Une culture. Une façon de voir et de comprendre le monde. Des convictions. Des déceptions. Des joies. Des peurs. Des souffrances. Bref, tout ce que la vie laisse comme traces sur nous jour après jour, expérience après expérience, rencontre après rencontre.

Dans «Je m’écris», Kery James laisse tomber :

«Trop de moi dans mes écrits
Peut-être que je n\’écris plus, je m\’écris
J\’abandonne mon être à mes lettres
Car l\’écriture sans âme n\’est que lettres…».

Je ne l’aurais pas dit mieux que lui. Une écriture sans âme n’en est pas vraiment une.

Dans la même chanson, Grand Corps Malade enchaîne :

«J\’écris (j\’écris) parce que les épreuves m\’ont inspiré
J\’écris comme tous ces mômes que
Le bitume a fait transpirer
Si y a tant de jeunes dans nos banlieues
Qui décident de remplir toutes ces pages
C\’est peut-être que la vie ici
Mérite bien quelques témoignages
J\’écris, parce qu\’il suffit d\’une
Feuille et d\’un stylo même le dernier des
Cancres peut s\’exprimer
Pas besoin de diplôme de philo
J\’écris surtout pour transmettre et parce que
Je crois encore au partage
A l\’échange des émotions
Un sourire sur un visage».

L’écriture ne saurait être autre chose que raconter et transmettre des émotions (sincères), des témoignages (véridiques) et des convictions (argumentées).

Autant vous dire que j’ai horreur de lire ces textes qui remplissent les colonnes de ces médias insipides et sans imagination dont les journalistes confondent leur travail avec celui des commissaires de police.

Un journaliste raconte des histoires d’hommes et de femmes qui vivent, font ou subissent l’actualité. On doit pouvoir tirer mille histoires d’une pénurie de carburant dans une ville comme Kinshasa. Et mille autres pour relater l’augmentation des prix du transport en commun. Et pour faire état d’un «boom immobilier» à Kolwezi, pas besoin d’un quidam de la «société civile».

Un stylo, un carnet et un micro suffisent. Du courage pour aborder les passants dans la rue. De l’imagination pour produire le texte le plus beau afin de raconter l’histoire la plus fidèle à la réalité. Mais pour cela, il faut être libre. Il faut refuser de faire comme tout le monde. Il faut refuser de se soumettre aux dictats des superviseurs peu inspirés. Il faut essayer des formules. Pas choc mais pertinentes. Pas pompeuses mais simples. Pas vides mais parlantes.

C’est cela écrire comme on est. C’est cela avoir une main libre.

Une liberté qu’on cultive dans la curiosité intellectuelle grâce à la lecture et la conversation, les rencontres et les expériences de la vie.

La Fouine dans «Quand je partirai» :

«Quand je ne serai plus là, vous direz à certains frères qui m’ont déçu Que moi je n’ai pas une belle plume mais seulement un putain de vécu».

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