Au cœur de la République, «l’intergénérationnalité»
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J’ignore qui a dit à certains jeunes qu’ils étaient meilleurs que leurs aînés. Ceux qui le pensent ont tout faux. Ceux qui le laissent penser distillent un venin mortel pour la République. Et ceux qui sont en désaccord ont tort de ne pas s’exprimer.
Avant d’aller plus loin, j’aimerais donner cette précision. Je suis âgé d’une trentaine d’années. Et à en croire la classification des grands prêtres et des ayatollahs de la religion du jeunisme, je suis donc un jeune.
Cela étant dit, je puis aller plus loin.
Mon travail de journaliste m’amène à discuter avec beaucoup de monde. Et, heureusement, peu importe leur âge.
Je dois vous avouer être très mal à l’aise quand j’entends des discours tendant à mettre uniquement en avant soit le travail des jeunes soit leur supposé dynamisme soit le pseudo-changement qu’ils sont censés incarner.
Jeunes et aînés ne sont pas en compétition
Vous aurez remarqué que sur ce blog, je mets particulièrement en avant la question de la formation. La République doit à ses jeunes citoyens une formation de qualité. C’est la condition de sa survie.
Dans «Qui a fabriqué la chaise sur laquelle tu es assis ?», j’ai fait remarquer que «c’est à volonté que j’utilise le terme ’’formation’’ que je préfère toujours à ‘’école’’», expliquant que pour moi, «l’école est un moyen de formation. Ce n’est pas LA formation». Auprès d’un maître, un apprenti se forme également. L’artisanat fait la fortune de nombreuses nations.
Si j’en viens à parler de la formation, c’est pour faire remarquer le devoir des aînés vis- à-vis de leurs cadets. Les premiers doivent s’assurer de transmettre aux plus jeunes la connaissance nécessaire pour leur permettre de poursuivre l’effort de construction de la République.
Que ce soit à la maison, à l’école, à l’atelier ou au sein de l’entreprise, la transmission du savoir est au cœur du progrès. Auprès des aînés, nous n’apprenons pas que la science. Par leur expérience de la vie, les aînés nous transmettent aussi leur vécu, leur goût, leurs doutes, leurs regrets, etc.
Autant des choses qui peuvent alimenter la réflexion et multiplier les champs des possibles des plus jeunes. C’est pour cette raison que je ne comprends pas et ne comprendrai jamais que l’on oppose jeunes et aînés. Comme s’ils étaient en compétition. Ils ne le sont pas.
Chacun doit apporter à la République ce qu’il a de meilleur. Peu importe son âge. Seuls comptent ici la compétence, le talent, la probité et la volonté dont doivent faire preuve tous les membres de la communauté pour tirer la République vers le haut.
Emplois des jeunes pris par des vieux ?
Le Congo a un problème d’emploi. Tout le monde le sait. Il faut en créer. Et beaucoup. L’âge médian étant autour de 16 ans, il est déversé chaque année sur le marché de l’emploi des milliers des personnes de moins de 25 ans. Le pays ne produit pas suffisamment de richesses pour pouvoir créer des emplois à la hauteur de la demande.
Dans ce contexte de chômage massif se développe un discours tendant à rendre les aînés responsables du chômage des jeunes. J’ai souvent entendu cette phrase : «Les vieux de la fonction publique ne veulent pas laisser la place aux jeunes». C’est un mauvais procès.
Voici les faits. Un reportage diffusé récemment sur des médias français a révélé- tout le monde le sait (mais personne ne fait rien)- qu’il y a actuellement au Congo des personnes âgées de plus de 70 ans qui sont enseignants dans les écoles primaires et secondaires.
A l’AFP, le ministre de la Fonction publique a fait savoir que selon les estimations de ses services, 350 000 agents de l’État sont éligibles à la retraite.
Mais entendons-nous bien. La retraite est une politique publique. Une personne qui a travaillé pendant quarante ou cinquante ans dans la fonction publique ne se lève pas un matin et décide d’aller à la retraite sans savoir de quoi il va se nourrir le lendemain. Un processus de mise en retraite des agents éligibles doit être réfléchi, calculé et mis en place.
Quel régime de retraite convient le mieux pour le Congo ? Retraite par répartition ? Retraite à points ? Et la durée de cotisation ?
Ceux qui suivent l’actualité française ont déjà remarqué la virulence des débats autour de la question des retraites. C’est un sujet de débat public. Il est clivant, certes. Mais il faut avoir ce débat.
Aux jeunes qui répètent sans réfléchir que «les vieux de la fonction publique ne veulent pas laisser la place aux jeunes», je dis : la prochaine fois que vous serez dans un isoloir pour élire les dirigeants du pays, prenez le soin d’en élire ceux qui auront un programme de gouvernement qui explique comment ils comptent précisément traiter les questions des retraites de nos aînés et de l’emploi des jeunes.
La jeunesse n’est pas une compétence
Dans le plus grand des sérieux, des personnes fort respectables en viennent à appeler à la promotion des jeunes dans la politique pour prendre la place des «vieux» qui auraient échoué.
Un autre discours qui me met hors de moi.
La jeunesse n’est pas une compétence. C’est une étape de la vie. Ceux qu’on appelle aujourd’hui, selon les cas, «vieux loup» ou «caïman» ont aussi été jeunes, au moins une fois dans leur vie.
Si beaucoup d’entre eux n’ont pas réussi à prendre les bonnes décisions dans la conduite des affaires publiques, ce n’est pas du fait de leur âge. L’incompétence, la mauvaise foi, l’amour immodéré des biens matériels et le manque d’orgueil personnel expliquent les innombrables dysfonctionnements observés au Congo. Pas l’âge.
La preuve. Les nombreux «jeunes» qui se sont récemment lancés en politique ne font pas mieux que leurs aînés. Ils sont tout autant corrompus et incapables de résoudre efficacement les problèmes du pays. Leur réussite se limite pour le moment au nombre de leurs vacances à l’étranger ou de leurs conquêtes (féminines et masculines) ainsi qu’aux biens immobiliers accumulés à la vitesse de course de grandes années d’Usain Bolt.
Rien de tangible donc qui puisse expliquer l’émergence de ce culte du jeunisme.
«Intergénérationnalité»
Mais les jeunes ont un rôle à jouer dans notre République. «C’est la fièvre de la jeunesse qui maintient le reste du monde à la température normale. Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents», écrit Georges Bernanos dans «Les grands cimetières sous la lune».
Les étapes de la vie sont comme les saisons. Elles sont toutes aussi importantes que passagères. Il faut en profiter. C’est tout ce qui compte.
L’énergie, la fougue et la chaleur attribuées à la jeunesse sont aussi importantes que le calme, la distance et la sagesse supposés du grand âge. C’est ce mixte qui fait qu’une société soit équilibrée et soit à même de répondre aux menaces dont elle fait face.
Mais il faut créer la cohésion. C’est ce que certains appellent actuellement «l’intergénérationnalité».
«Les initiatives intergénérationnelles contribuent à réduire le fossé entre les générations, à déconstruire des idées préconçues, à créer ou à recréer un tissu social et à rendre la société plus humaine et inclusive», écrivent Nathalie Mercier, Marie-Ève Bédard et Julie Castonguay.
Les jeunes ont beaucoup à apprendre de leurs aînés. Beaucoup d’expériences que les jeunes pensent révolutionnaires ont déjà été vécues par d’autres avant eux. On gagnerait du temps à nous écouter dans notre société où, de plus en plus, chacun a tendance à penser avoir raison sur tout le monde.
Il n’y a pas une génération qui a la solution à tous les problèmes qui se posent dans une société. Chacun doit jouer sa partition.
Les aînés ne doivent voir dans les jeunes des possibles concurrents mais plutôt des partenaires de cette course de relais où chaque génération doit faire l’effort d’aller le plus loin possible dans le dépassement de soi pour transmettre à la suivante la meilleure position à partir de laquelle elle va partir pour, elle aussi, préparer le chemin aux suivantes. C’est ainsi que nous devons construire notre République.
Les jeunes et les aînés doivent pouvoir discuter. Apprendre les uns des autres. Questionner le passé avec lucidité et distance pour projeter l’avenir avec efficacité et optimisme.
Car, comme l’écrit si justement Xavier Alberti :
«Il n’y a effectivement pas de « solution miracle », de la même manière qu’il n’y a pas de « crise miracle » ou de « catastrophe miracle ». […] Il y a toujours de très nombreuses causes qui dessinent, au fil du temps, les crises et les catastrophes qui émaillent nos civilisations. Dès lors, si les causes sont multiples, les remèdes le sont certainement tout autant, et se nourrissent de décisions, d’actions et de mouvements qui s’inscrivent dans le temps et dans l’espace, c’est à dire dans les temps – courts et longs».
C’est ensemble, jeunes et aînés, que nous trouverons les solutions aux problèmes du Congo. Mais jamais, les uns contre les autres.
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