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Amélia

Amélia

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Toute la nuit, Richard a essayé d’imaginer la discussion qu’il allait avoir avec son rédacteur en chef. Ni les encouragements de Ted qui le raccompagnait à la maison ce soir-là, ni les messages Whats’App suggestifs que lui envoyait Sharufa cette nuit-là n’auront réussi à l’apaiser.

-J’essaie de comprendre. Je n’y arrive pas.

-Mais…

-Qu’est-ce qui t’est arrivé Richard ? Comment tu as pu publier une telle monstruosité ?

-Chef…

Son rédacteur en chef ne lui laisse même pas le temps de s’expliquer. Richard tente de l’interrompre. Sans succès.

-Je cherche encore à comprendre ce qui a pu t’emmener à confondre Affaires étrangères et Infrastructures. Les noms des deux ministres n’ont aucune ressemblance. Physiquement, il ne se ressemble pas. Mais alors, quoi ? Comment en es-tu venu à annoncer la démission du ministre des Affaires étrangères ?

-Placide…

-Le plus ironique dans cette affaire, ce n’est pas tant ta faute. Mais tout le soin que tu as mis pour la faire remarquer. Tu as placé l’article à la Une du site Internet. Tu as épinglé la publication sur toutes nos plateformes numériques et sur tes comptes personnels.

C’est depuis deux ans que Richard travaille au service Internet de la principale radio de Kinshasa. Pendant ses années à l’Université catholique de la ville, il était rédacteur dans la revue de cette prestigieuse institution universitaire. Il s’y était fait remarquer pour son sérieux et sa facilité à donner du charme même au texte le plus insipide. Pendant son stage à la radio «Kin E bouger !», Placide l’avait remarqué et avait suggéré à sa direction de le recruter au sein du service Internet de la radio.

-Je regrette de t’avoir recruté ici. Tu es finalement comme tous les jeunes de Kinshasa. Vous arrivez comme des anges en stage, pleins de bonne volonté. Une fois le contrat de travail en main, fini l’effort.

-Mais c’est juste une…

-Ferme-la ! Tu as le culot de vouloir t’expliquer. Cette année, c’est moi qui vais évaluer ton travail. Continue de faire le malin. Rira bien qui rira le dernier…

De retour dans le grand open space où travaillent les trente-deux reporters et éditeurs Web de «Kin E bouger», Richard est sur le point d’exploser. Ses collègues qui connaissent ses rapports avec le rédacteur en chef n’osent pas lui adresser la parole.

Tout était pourtant réuni pour que les deux hommes s’entendent bien. Le 12 juin 2016 en début de soirée alors qu’il vient d’achever son stage à la radio, Richard partage un verre avec Placide sur la terrasse de «Toucher jouer», un bistrot à Bandal. Le rédacteur en chef lui annonce qu’il a obtenu l’accord de ses supérieurs de recruter un nouveau jeune au sein du service Internet.

-Ce sera toi. Avant que tu ne te répandes en remerciements, je vais te dire deux choses : ne me remercie pas. Remercie ton talent. Ensuite, la seule façon de me remercier est d’être toujours au niveau que je te connais et de progresser.

-Je te promets de rendre tous les jours la meilleure copie, répond Richard, les yeux pleins de reconnaissance.

Les deux jeunes hommes s’étaient ensuite beaucoup rapprochés. Placide est de cinq ans plus âgé que Richard. Ils partagent les mêmes passions : la littérature, le foot et …les jolies filles. Et ce sera une fille qui va mettre fin à l’amitié naissante entre Placide et Richard.

Ça faisait trois mois seulement que Richard travaillait comme employé de la radio quand Amélia débarque dans la rédaction comme stagiaire. Teint clair, formes généreuses et accoutrement très urbain fait des décolletés aguichants et des pantalons moulants, la jeune demoiselle attire tout de suite les regards dans la salle de rédaction.

-Tu es venue ici pour apprendre. Pas pour séduire les hommes, lui avait pourtant mis en garde Rachel, l’amie de sa sœur aînée qui travaille à «Kin E bouger» depuis 5 ans et qui l’a aidée à obtenir ce stage.

-Fais-moi confiance grande-sœur. Je ne vais pas te faire honte, avait promis la jeune stagiaire.

Et côté travail, Amélia était irréprochable. Si irréprochable qu’elle finit par attirer l’attention du rédacteur en chef.

-Placide est coureur. Mais il n’aura pas Amélia. La Brésilienne est pour moi.

-Fais attention. On ne se dispute pas une femme avec son chef.

Comme souvent depuis qu’ils sont amis, Marc avait tenté de raisonner Richard. Séduire une stagiaire courtisée par son superviseur n’était pas une bonne idée. Son ami n’avait pas suivi le conseil.

Attiré par le charme de Placide mais séduit également par la jeunesse de Richard, Amélia n’avait pas su faire le choix.

Pendant un mois, la jeune fille a su jouer avec les deux sans jamais se faire prendre.

-Richka, on ne peut pas se voir avant 20 heures. Je dois m’occuper de ma mère après le boulot. Elle est malade. Et c’est moi qui doit lui donner ses derniers comprimés avant qu’elle ne s’endorme. C’est seulement après cela que je suis disponible.

Pour contenter les deux collègues, Amélia avait trouvé un horaire pour chacun. Au boulot et en début de soirée, elle était avec le rédacteur en chef. En fin de soirée, elle rejoignait Richard et ses amis à la «Remontada».

Placide, marié et père de quatre enfants, ne pouvait pas se permettre de ne pas rentrer à la maison après le travail. L’horaire imposait par la jeune fille ne le dérangeait pas. C’est Richard qui pestait tout le temps contre les arrivées tardives d’Amélia. Mais la jeune fille savait apaiser son homme.

-Je vais passer nuit chez toi. Tu permets ?

-C’est pour te faire pardonner ?

-C’est pour te prouver que je ne suis qu’à toi.

-…

-Arrête de bouder. Tes amis sont là.

Ces discussions, les deux amoureux les avaient souvent jusqu’à cette matinée du 4 octobre 2016. Amélia avait passé nuit chez Richard. Mais ce dernier avait oublié qu’il était programmé pour commencer à travailler dès 5 heures du matin.

La petite équipe matinale de «Kin E bouger» attendait dans le minibus depuis bientôt 20 minutes devant le portail de la concession où habitait Richard. Ce dernier avait oublié son horaire et n’avait pas entendu les coups de fil de son rédacteur en chef, présent également dans le véhicule.

Finalement, Placide décide d’aller réveiller son jeune collègue.

-Chéri, on frappe à la porte. Tu ne devais pas travailler ?

-Aujourd’hui ?

-Beuh, oui. On est vendredi.  

Placide et Amélia avaient un rituel. Tous les jours à 5h30, l’homme s’enfermait dans la cuisine et téléphonait à la jeune fille pendant que son épouse se lavait dans la salle de bain d’à-côté.

Et ce matin-là, alors que Richard ouvre la porte et découvre son rédacteur en chef, téléphone collé à l’oreille, il entend également sonner le téléphone de sa copine, resté sur la table basse du salon.

Les deux hommes se regardent. Et tournent leur regard sur le portable. Amélia ne sortira pas de la chambre pour décrocher. Placide ne dira rien. Richard non plus. Mais les trois ont compris…

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