Accueillir l’inconnu, apprivoiser l’incertitude
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Gabrielle Halpern est docteure en philosophie et diplômée de l’École normale supérieure, en France. Je lis régulièrement ses textes sur son site Internet et les réseaux sociaux. Auteure de «Tous centaures. Éloge de l’hybridation», elle consacre ses travaux de recherche à ce concept d’hybridation.
Si je vous parle d’elle, c’est parce que j’ai beaucoup aimé le dernier texte qu’elle a publié sur son compte LinkedIn. Il y est question de l’inconnu.
«A l\’aube de la nouvelle année, nous prenons conscience de notre difficulté à affronter l’inconnu…», écrit-elle.
Oui. L’inconnu nous fait peur. Gabrielle Halpern cite Elias Canetti :
«Il n’y a rien que l’être humain redoute le plus que le contact avec l’inconnu. Tous ses comportements, toutes les distances qu’il adopte sont dictés par cette phobie du contact!».
«Affronter» l’inconnu
Ceux qui, comme moi, ont suivi les débats autour de la loi sur l’immigration en France ont probablement eu le sentiment que toutes ces polémiques, engueulades et vociférations ont pour soubassement la peur de l’autre. L’autre qui vient d’ailleurs. Un ailleurs qu’on ne connaît pas, trop lointain des imaginaires et des esprits d’une vieille nation arcboutée sur ses certitudes. La France éternelle. C’est cette peur-là qui conduit les ministres français de l’Intérieur qui se succèdent à vouloir chacun une loi sur l’immigration. Sans jamais arriver à trouver la bonne formule.
Mais il n’y a jamais de bonne formule pour faire face à la peur de l’inconnu. Qu’il porte le visage de l’immigré (clandestin ou légal), de nouvelles manières de produire ou de consommer, de nouvelles sources d’énergie, l’inconnu fait peur.
Et généralement, ce n’est que contraints à y faire face que les humains acceptent de l’embrasser. J’écris bien «embrasser». Et pas «affronter», comme le fait Gabrielle Halpern dans son texte. Car pour moi, il ne s’agit pas d’un affrontement. L’inconnu, il faut l’accueillir.
Pourquoi ? Parce que c’est la condition du progrès.
Vous rappelez-vous du confinement que nous a imposé le Coronavirus ? Tous, chacun en ce qui le concerne, nous nous sommes promis de changer. De ne plus faire comme avant.
«Durant les confinements, nous nous amusions, comme des enfants, à parler du monde d’après, comme d’un paradis perdu, mais aucun d’entre nous n’était véritablement prêt à le faire advenir. Il fallait qu’il arrive par génération spontanée, mais personne n’était prêt pour ce monde nouveau. Nous préférons nos bonnes vieilles habitudes, nos sentiers rebattus et nos points de repères, sans comprendre qu’enfermés dans notre zone de connu, nous sommes complètement morts», explique si justement Gabrielle Halpern.
C’est bien de cela qu’il s’agit. Nous ne sommes pas prêts à renoncer à nos habitudes, à nos certitudes pour embrasser l’inconnu.
L’inconnu, c’est ce nouveau mode de consommation que nous devons tous adopter pour réduire le gaspillage alimentaire. La sobriété.
L’inconnu, c’est ce nouveau rythme de vie que nous devons tous accepter parce que la planète s’épuise de nos courses folles et insensées qui nous conduisent à préférer la vitesse à la robustesse. La lenteur.
L’inconnu, c’est enfin l’autre que l’on ne connaît pas ou que l’on connaît mal. Mais qui, pourtant, a des choses à nous dire, à nous apprendre. Pour peu que nous acceptions de l’accueillir, de l’écouter et de le comprendre. L’ouverture.
Si nous sommes tous plus ou moins d’accord que notre planète ne va pas survivre à ce que nous lui infligeons depuis quelques siècles maintenant, il va nous falloir accepter d’embrasser l’inconnu pour aller vers des chemins nouveaux. Pour produire autrement. Pour construire autrement. Pour vivre différemment.
«Pour conquérir, il faut partir»
Cet avenir-là est aussi inconnu qu’incertain. Et c’est une chance parce qu’il nous oblige à sortir de nos zones de confort pour affronter l’incertitude.
Si «pour conquérir, il faut partir», eh bien, partons !
Rester là à contempler notre nombril avec pour seule arme des tweets d’indignation et de lamentation n’y changera rien. Ni l’état de la planète. Ni celui du Congo.
Après avoir lu «L’urgence africaine» de Kako Nubukpo, j’en suis venu à m’interroger sur le sens de nos politiques publiques en Afrique.
Pourquoi ce sont le FMI et la Banque mondiale qui doivent dicter nos choix économiques ?
Il n’est pas rare d’entendre des dirigeants africains se réjouir des satisfécits prononcés par ces deux institutions au sujet de telle ou telle autre politique publique.
Si le FMI et la Banque mondiale se préoccupaient des malheurs des peuples d’Afrique, cela se saurait depuis longtemps.
J’étais très jeune mais j’entendais mes parents parler des «plans d’ajustement structurels».
C’est quand je suis devenu étudiant que j’ai compris de quoi il était question. Plusieurs pays africains font encore aujourd’hui les frais de ces plans d’ajustement structurel.
Les Africains doivent désormais décider librement de ce qui leur convient. Les prêt-à-penser idéologiques venant du Nord ou de l’Est ne sauraient constituer une voie sérieuse pour relever un continent endormi depuis trop longtemps.
Dans «Le Congo est jeune. Faites-nous rêver», j’exhorte les nouveaux dirigeants congolais qui vont bientôt entrer en fonction de sortir des sentiers battus.
Penser que le Congo va se développer comme l’Allemagne ou la Chine est une folie. Les pays occidentaux et les géants d’Asie qui se sont industrialisés à grand renfort d’énergies fossiles, ont assassiné la planète.
On ne peut plus emprunter cette voie. Il faut trouver d’autres chemins. Une économie décarbonée. Une consommation plus consciente des limites de la planète. Une production de richesses plus en phase avec le rythme de la nature. Une croissance qui protège les humains et les écosystèmes.
C’est cet inconnu-là que le Congo et les nations africaines vont devoir embrasser (vous êtes libres de préférer «affronter»).
C’est vers cet avenir-là qu’il nous faut nous diriger. Il est incertain. Mais l’incertitude doit être le carburant de l’innovation, de l’imagination et de la créativité. Pas une source de peurs et d’appréhensions.
L’admiration qui caractérise les discours de bon nombre d’Africains quand ils parlent de l’Europe ou de l’Amérique du Nord les conduit à un mimétisme aveugle.
Non, l’Afrique ne sera pas l’Europe de demain. Ni les Etats-Unis. Ni la Chine. L’Afrique de demain doit être pensée et imaginée par les Africains. Pour eux-mêmes et pour leur postérité.
Gabrielle Halpern note dans son texte auquel je faisais allusion au début de ce billet de blog :
«Nous oublions que l’injonction du changement, du nouveau, est tout simplement l’injonction de la vie ! « Choisis la vie ! », comme il est écrit dans le Deutéronome (30 :19). Tous les vivants sont appelés à la métamorphose, les plantes, comme les animaux et les êtres humains ; il n’y a que les morts qui ne changent plus…».
Acceptons le changement. Il est nécessaire. L’avenir du Congo (et de l’Afrique) sera écologique ou ne sera pas. Pour cela, il faut former les plus jeunes à ce monde nouveau.
«Il n’y a pas de liberté de décider d’agir sans liberté de savoir et de connaître.»
Et la première chose que nous devons apprendre aux plus jeunes, c’est d’accepter d’aller vers l’inconnu. D’apprivoiser l’incertitude.
C’est la condition de notre survie.
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