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Les fantômes du passé

Les fantômes du passé

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Pour une femme qui attend son premier enfant, il faut croire que Washington a décidé d’élever seule son premier-né. Elle ne consulte ni n’associe Makasu à aucune de ses décisions concernant le bébé qu’elle va avoir.

Son père lui a pourtant mis en garde contre cette façon de faire.

-Cet enfant, tu ne l’as pas eu toute seule. Il faudra trouver de la place pour le papa.

-Curieux d’entendre ce conseil venant d’un monsieur qui a eu deux enfants dont il ne s’est jamais occupé.

Washington va pourtant finir par suivre le conseil de son père. Grâce aux … fantômes du passé. 

C’est seulement à la fin de ses études que Washington a découvert qu’il avait deux demi-frères dont l’un avait exactement le même âge qu’elle.

Pour mettre la dernière touche à son travail de fin d’études, la jeune femme s’était rapprochée d’un jeune garçon qui gérait un cybercafé dans l’enceinte de l’UPN. C’est ce business qui l’aidait à financer ses études et à prendre soin de son jeune frère.

Steve Jobs était étudiant en mathématiques. Il était connu de tous les étudiants de l’UPN qui lui ont collé le nom du fondateur d’Apple.

Washington l’aimait bien. Elle le trouvait sérieux et appréciait surtout son sens de responsabilité. En plus de prendre soin de son frère, élève en dernière année de mathématiques-physiques au collège Boboto, il soutenait également sa mère, vendeuse de braise au marché de l’UPN.

A force de se côtoyer, Washington et Steve Jobs commencent à se raconter leurs vies respectives.

La jeune femme lui parle de son sénateur de père qu’il n’aime pas et de ses problèmes de famille. Mais elle remarque que le jeune homme ne lui parle que de sa mère pour qui il voue une vraie dévotion.

-Elle le mérite. La vie ne lui a pas été facile. Elle est issue d’une bonne famille mais quand elle est tombée enceinte, son compagnon l’a abandonnée. Il est revenu quatre ans après. Le temps de faire un autre enfant, avant de s’en aller encore. Cette fois, pour toujours. Et la famille de maman, en apprenant l’arrivée du deuxième enfant, l’a chassée du toit paternel. Elle nous élève toute seule, mon frère et moi.

-Tu connais au moins le nom de ton papa ?

-Maman n’aime pas parler de lui. Les rares choses que je sais de leur relation, c’est mon grand-père qui me les a racontées. Je ne connais même pas son nom. Je sais juste qu’il est politicien. Grand-père dit que je suis intelligent comme lui. Mais je n’aime pas qu’on me compare à lui. C’est un irresponsable.

-Toi, tu n’es pas irresponsable. Tu es un brave garçon. Et tu as un bel avenir.

-Comme Steve Jobs ?

Washington est fascinée par les hommes intelligents et volontaires. Mais elle n’a jamais pensé sortir avec le jeune patron du cybercafé.

«On ne vient pas du même monde», répondait-elle à ses copines qui la taquinait quand elle leur annonçait qu’elle devait aller au cybercafé.

Même si leurs familles habitent le quartier UPN, elles n’ont pas grand-chose en commun. L’opulence de la famille de Washington tranche avec le dénuement dans lequel vivent Steve Jobs avec sa mère et son frère.

Washington insistait pourtant pour aller le voir chez lui. Le jeune avait toujours refusé jusqu’au jour où, malade, il s’est absenté de son cybercafé. Il devait pourtant remettre à sa nouvelle amie la dernière mouture de son rapport de stage.

-D’accord, passe à la maison pour le récupérer.

-Youpi !

-C’est juste pour reprendre ton travail.

-Je sais mais ça me permet de venir chez toi.

Washington n’a pas mis beaucoup de temps pour comprendre pourquoi le jeune homme ne voulait pas qu’elle lui rende visite à domicile.

La maison de deux-pièces jouxtait une énorme décharge publique qui comblait en fait une tête d’érosion qui n’en finissait pas de s’élargir.

C’est là que la mère de Steve Jobs s’est installée après avoir été priée par ses parents de quitter le toit familial, à la suite de sa seconde grossesse.

Dans la pièce principale de la maison où Steve Jobs s’était allongé, un gros ordinateur qui sert de téléviseur grâce au génie de l’aîné de la famille. C’était le seul appareil sophistiqué de la maison. Tous les autres objets du domicile étaient des vieilleries en mauvais état.

Le divan sur lequel Steve Jobs s’était allongé ne devait son équilibre qu’à deux planches subtilement placées sur les côtés. Deux vieux tabourets en bois et une table en plastique complétaient ce que l’on considérait ici comme le salon.

Quand elle pousse le vieux pagne qui sert de rideau, Washington se sent obligée de faire de l’humour pour mettre à l’aise son hôte.

-Tu n’as pas volé ton surnom de Steve Jobs. Faire fonctionner cet ordinateur comme téléviseur mériterait sûrement une reconnaissance de la communauté scientifique.

-Assieds-toi, s’il te plaît.

Depuis la nuit dernière, Steve Jobs est tourmenté par une fièvre qui ne faiblit pas.

-Tu as pris quelque chose ?

-Oui. Des aspirines. Mais rien ne change.

-On peut aller à l’hôpital. Une fièvre sur plusieurs heures peut révéler d’autres pathologies plus graves.

-Merci. Mais ça va aller.

Alors que Steve Jobs lui tend le flash-disc dans lequel il a placé la version finale de son rapport de stage, Washington saisit la main chaude et tremblante du jeune homme.

-Nous devons aller à l’hôpital. Je sais que tu n’apprécies pas spécialement qu’on te vienne en aide. Mais considère cela comme le prix de ton travail sur mon rapport de stage.

Malgré une pièce faiblement éclairée, Washington peut deviner les grosses souris qui jouent avec la vaisselle sale, placée dans le coin qui doit servir de cuisine pendant la pluie ou la nuit.

-Tu ne m’avais pas dit que nous aurions de la visite aujourd’hui, mon chéri.

La voix de la mère de Steve Jobs sort Washington de sa rêverie.

-Bonjour maman.

-Bonjour ma fille. Ça va ?

C’est en ce moment que Steve Jobs tente de se redresser sur son siège et se rend compte qu’il n’a pas assez de force pour cela.

-S’il vous plaît, maman, pouvez-vous le convaincre d’aller à l’hôpital ?

-Je ne suis pas sûr qu’au moment où nous parlons, nous en ayons les moyens. Je n’ai pas vendu grand-chose. Tout juste assez pour faire un repas ce soir. Et il n’a pas pu ouvrir son cyber aujourd’hui.

-Je veux m’en occuper. C’est mon ami.

Alors qu’il tente d’intervenir avec un geste du bras pour marquer sa désapprobation, Steve Jobs s’écroule sur le pavement non poli de la pièce.

-Mon Dieu !

-On peut le transporter toutes les deux jusqu’à ma voiture.

Après avoir réussi à installer le jeune homme sur le siège arrière de la RAV4, les deux femmes, essoufflées, se retrouvent nez-à-nez.

-Comment vous appelez-vous ?

-Kapinga, maman. Pourquoi ?

-Ton papa, c’est Théodore ?

-Oui. Vous le connaissez ?

Ce visage, la mère de Steve Jobs le connaît. Elle en est sûre. Dans l’obscurité de sa maison, elle ne l’a pas réalisée. Mais sous la lumière du chaud soleil de Kinshasa, elle a tout de suite vu le portrait du père de ses enfants, Théodore Mulamba. Celui qui l’a abandonnée avec deux fils dans les bras alors qu’elle n’avait que 20 ans. C’était fini pour ses études. Et pour ses rêves de devenir pédiatre. Le début d’une longue traversée du désert qui l’a conduite avec ses deux garçons dans ce taudis d’un quartier malfamé de Kinshasa.

9 comments

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Sieza Kuéla Angelique

Tellement émouvant et intéressant qu’on n’a envie de poursuivre la lecture après les dernières lignes.

Que dire ? Fascinant! Merci beaucoup mon ami.
J’ai vraiment aimé. On attend la suite de l’histoire.
Bravo pour cet excellent travail.👏👏👏

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    Joël Bofengo

    La suite, c’est le dimanche prochain, ma chère amie. À bientôt, donc !

      comments user
      Angélique SIEZA/KUELA

      Super, mon ami. Merci bien.

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Julio

Suspensivement suspensieux 😂😂

    comments user
    Joël Bofengo

    😂😂😂 Patience ! Patience ! Mon cher Julio.

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