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La radio, une passion et des souvenirs pleins la tête

La radio, une passion et des souvenirs pleins la tête

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Dans ma vie, avant les livres, il y a d’abord eu la radio, ma première fenêtre sur le monde. Je ne sais pas dire si c’était par nécessité ou si je l’ai vraiment choisi.

Dans le quartier Maviokele dans la commune de Kimbanseke à Kinshasa où j’ai grandi, il n’y avait pas d’électricité. Je révisais mes cours à la lumière de la bougie. 

Pas d’écran de télé, donc. Etait-ce ennuyant ? Pas le moins du monde. Parce que mon monde à moi, il m’était conté avec des sons et des voix.

«La musique est une drogue…»

Des voix qui n’ont plus jamais quitté ma tête. Celle d’Alain Saint Pierre, d’abord, sur Africa Numéro 1. Une belle voix chaude qui lançait chaque soir «Si la musique est une drogue, je suis un dealer». C’était l’émission «Kilimandjaro» où j’ai connu les noms les plus illustres de la musique africaine : Amadou et Mariam, Ali Farka Touré, Oumou Sangaré, Myriam Makeba, Mory Kanté, etc.

Koffi Olomidé a repris sa célèbre tirade dans l’un de ses titres.

La seule chanson qui m’arrache des larmes quand je l’écoute, c’est aussi sur Africa Numéro 1 que je l’ai découverte. «Tajabone» d’Ismaël Lô. Je n’ai jamais cherché à savoir ce que disent les paroles de ce titre devenu un classique de la musique africaine. Pedro Almodovar l’a choisi comme la bande-son de son excellent film «Tout sur ma mère». Vous savez maintenant pourquoi je verse des larmes en l’écoutant…

Des voix encore. Celle de Tunde Fatunde. Particulière. Sa signature à la fin de chacun de ses reportages, tout aussi particulière : «Tunde Fatunde. Lagos. Africa Numéro 1». Ça ne se raconte pas. Il fallait l’avoir entendue. Ancien correspondant de RFI et d’Africa Numéro 1 au Nigeria, il nous a quitté en 2022. Alain Saint Pierre, lui, est décédé en 2011.

«Media de proximité». Mais pas que…

A l’occasion de la célébration de la journée mondiale de la radio ce 13 février, Nicolas Boissez, directeur des opérations de la Fondation Hirondelle a écrit sur Twitter : «La radio media de proximité, créateur de liens, accélérateur de dialogue. La radio, outil de paix…».

«Radio et paix», c’est le thème choisi cette année pour la journée de la radio. Pendant 10 ans, j’ai eu le bonheur de travailler pour la «Radio de la paix». La radio des Nations unies en RDC, créée avec la Fondation Hirondelle en 2002. Dans un pays déchiré par la guerre, ce media a été un outil de réconciliation et de dialogue. Un espace d’expression plurielle où tous les Congolais ont pu écouter les opinions les plus diverses. On ne s’en rend pas forcément compte aujourd’hui. Mais à l’époque, ce fut une vraie révolution.

Avant d’écouter sur Radio Okapi les récriminations des cultivateurs de Lubero ou les réclamations des arriérés de salaires des enseignants de Kananga, j’ai d’abord entendu Saeb Erakat défendre les points de vue de l’autorité palestinienne dans le «Journal du Proche et du Moyen-Orient». Quand je revenais du collège Bonsomi, je pressais les pas pour ne pas rater ce journal.

Encore une voix qui a façonné ma compréhension du monde. Celle de Kamel Djaider. Elle me transportait dans la bande de Gaza, à Hebron, à Jenine, à Naplouse. Je fermais les yeux et j’imaginais à quoi pouvaient ressembler ces endroits. Si loin de mon Kinshasa. Et pourtant si proches de mon cœur.

C’est cela aussi la force de la radio. Par des sons, des bruits, des témoignages, elle nous transporte et nous met en relation avec des hommes et des femmes qu’autrement, nous n’aurions jamais rencontrés. Leurs problèmes deviennent soudainement les nôtres.

La radio, c’est ma première fenêtre sur le monde. Avant de lire Franz Olivier Giesbert et sa «Tragédie du président», c’est sur RFI que j’ai suivi la campagne présidentielle de 1995 en France. L’ultime affrontement entre les «amis de trente ans» : Jacques Chirac et Édouard Balladur.

C’est la radio qui m’a conduit aux livres.

Toujours sur RFI, je me suis passionné pour l’émission «Idées», animée à l’époque par Benoit Ruelle. Devant son micro ont notamment défilé Dany-Robert Dufour, Achille Mbembe, Marcel Gauchet, Amin Maalouf, Emmanuel Todd, Jean Ziegler. «Idées» m’a donné le goût de la pensée.

Depuis, je n’ai cessé d’embêter mes proches- en visite à l’étranger- pour qu’ils me ramènent les ouvrages de ces maîtres à penser.

«Le Divin marché» de Dany-Robert Dufour est le premier que j’ai reçu. Il est devenu mon livre de chevet.

En 2010, Benoit Ruelle annonce qu’il ne présentera plus «Idées». Ce fut un choc pour moi. Ce fut également la fin de l’idylle avec RFI. Non pas que je n’écoute plus RFI. Mais plus comme avant.

Ba tatu ne ba mamu !

Car entre-temps, je suis devenu journaliste. Est-ce cette passion pour ce media qui m’a conduit à la carrière de journaliste ? C’est possible.

Je pense avoir juste saisi une opportunité. Un stage de trois mois à Radio Okapi à Kinshasa. Et une belle rencontre humaine, professionnelle et intellectuelle.

Alors que je me dirige vers le kiosque à Coca où je prends ma pause tous les jours, Axel- responsable du service Internet de Radio Okapi où je passe mon stage- me prend par le bras et me dit : «Écoute mon gars. Tu n’es pas mon frère ni mon cousin. Mais je vois bien que tu as beaucoup d’aptitudes. Donne tout ce que tu as dans le ventre. Tu pourras être retenu ici. Moi aussi j’ai fait le même parcours.»

Encore un mois de stage. Puis une pige. Et finalement un premier contrat professionnel en mars 2011.

En 2016 éclate l’insurrection Kamuina Nsapu au Kasaï. La rédaction décide d’y envoyer une équipe de quatre reporters et un technicien. J’en fais partie.

Nous arrivons à Kananga le 25 juillet 2017. Nous y relançons l’antenne locale. Carine est la principale animatrice d’une heure «d’infos et de détente» comme je vais finir par l’appeler quand je prends la direction du programme en janvier 2018.

Tous les jours entre janvier 2018 et mars 2021, en direct de Kananga je suis devant le micro pour une heure d’actualité consacrée au Kasaï. J’ouvre l’antenne avec cette formule que les habitants de Kananga vont finir par retenir et la lancer quand ils me voient passer dans la rue :

«Ba tatu ne ba mamu, betuabu. Joel Bofengo, mema. Tudji nenu lelu.»

La radio crée une familiarité non feinte. Quand j’ai appris le décès de Toufik Benaïchouche en décembre 2019, j’ai éprouvé une vraie peine. Comme si, à force de l’écouter dans le «Journal du Proche et du Moyen-Orient», il était devenu un membre de la famille. Un cousin éloigné que l’on n’a jamais vu mais dont la voix nous est si familière.

J’ai fait la même expérience à Kananga. Je croisais tous les jours dans la rue des hommes et des femmes que je ne connaissais pas mais qui me parlaient avec chaleur comme si j’étais de la famille.

Et un matin ensoleillé d’octobre 2020, alors que je me rends à la radio, un monsieur m’interpelle en cours de route. Il est accompagné d’une petite fille- habillée en uniforme scolaire- qu’il tient par la main et d’une dame.

«Bonjour Monsieur Joël. Tu ne me connais pas. Mais moi et toute ma famille [NDLA : il désigne alors la petite fille et la dame], nous te suivons tous les jours à partir de 17 heures à la radio. Et ma fille m’a récemment annoncé qu’elle voulait te ressembler et qu’elle allait devenir journaliste comme toi.»

Je me suis penché vers la petite fille : «C’est vrai que tu veux devenir journaliste ?». Visiblement intimidée, la petite a juste fait un mouvement de la tête, en signe d’approbation.

Et moi d’enchaîner : «Je suis sûr que tu seras une excellente journaliste. Ne rate pas un seul jour de classe et apprends bien tes leçons. La vie va faire le reste.»

C’est le plus beau jour de ma vie.

Bonne journée à tous les passionnés de la radio !

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