Il est assez frappant aujourd’hui de noter que Patrice Lumumba consacrait une bonne partie de ses discours à appeler à l’unité. Unité des Africains, d’abord. Pour vaincre le colonialisme. Puis, unité entre Congolais quand son pays le Congo a accédé à l’indépendance. Ce qui est encore plus frappant, ce que les discours du premier Premier ministre congolais gardent toute leur actualité aujourd’hui.
22 mars 1959. Ibadan
Aux côtés de Nkrumah, Sekou Touré et Bourguiba, Patrice Lumumba compte parmi les grandes figures de la lutte pour l’indépendance des pays africains.
C’est à ce titre qu’il participe au Congrès pour la Liberté et la Culture organisé par l’université d’Ibadan au Nigeria en 1959. Il y prononce un discours marquant qui se termine par un vibrant appel :
«Africains, levons-nous !»
Comme dans d’autres discours prononcés avant et après ce congrès, Lumumba appelle les Africains à agir dans l’unité pour obtenir gain de cause face aux colonisateurs.
«Les buts poursuivis par les mouvements nationalistes, dans n’importe quel territoire africain, sont […] les mêmes. Ces buts, c’est la libération de l’Afrique du joug colonialiste. Puisque nos objectifs sont les mêmes, nous atteindrons facilement et plus rapidement ceux-ci dans l’union plutôt que dans la division. Ces divisions, sur lesquelles se sont toujours appuyées les puissances coloniales pour mieux asseoir leur domination, ont largement contribué -et elles contribuent encore -au suicide de l’Afrique», analyse Lumumba.
Le Congolais propose ainsi à ses pairs de s’unir pour lutter efficacement contre le colonialisme :
«Pour moi, il n’y a qu’une voie. Cette voie, c’est le rassemblement de tous les Africains au sein des mouvements populaires ou des partis unifiés. […] Plus nous serons unis, mieux nous résisterons à l’oppression, à la corruption et aux manœuvres de division auxquelles se livrent les spécialistes de la politique du «diviser pour régner». […] Je veux attirer l’attention de tous qu’il est hautement sage de déjouer, dès le début, les manœuvres possibles de ceux qui voudraient profiter de nos rivalités politiques apparentes pour nous opposer les uns aux autres et retarder ainsi notre libération du régime colonialiste.»
Face au colonialisme, Patrice Lumumba plaide pour l’unité de l’Afrique.
Au moment de l’indépendance de son pays le 30 juin 1960, il va lancer le même appel à l’unité.
Ce discours prononcé devant le Roi des Belges, venu à Kinshasa pour l’occasion, va surtout retenir l’attention de l’opinion pour le rappel que le jeune leader congolais fait des sévices subis par ses compatriotes pendant la colonisation belge.
«Nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire, car nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des ‘’nègres’’», déclare notamment Lumumba.
Mais son discours ne se résume pas à cela. Il s’adresse aussi aux Congolais :
«Ensemble, mes frères, mes sœurs, nous allons commencer une nouvelle lutte, une lutte sublime qui va mener notre pays à la paix, à la prospérité et à la grandeur. […] Je vous demande à tous d’oublier les querelles tribales qui nous épuisent et risquent de nous faire mépriser à l’étranger. Je vous demande à tous de ne reculer devant aucun sacrifice pour assurer la réussite de notre grandiose entreprise.»
En une phrase, Lumumba nous met en garde contre un mal qu’il voit déjà menacer le Congo, dans son intégrité.
Dans «Je vous demande à tous d’oublier les querelles tribales qui nous épuisent et risquent de nous faire mépriser à l’étranger», j’entends un appel à dépasser les considérations communautaires pour construire une nation unie et solidaire, fraternelle et fière de sa diversité. J’entends également une mise en garde contre le profit que pourraient tirer les autres pays si les Congolais se divisaient.
Comme pour affronter le colonialisme, l’unité est également essentielle pour bâtir «un pays riche, libre et prospère».
Mais Lumumba a été assassiné.
«Le 17 janvier 1961, relate Le Point, un avion en provenance de Kinshasa (à l’époque Léopoldville) se pose sur la piste de l’aéroport de Lubumbashi (alors Elisabethville), capitale du Katanga minier, producteur de cobalt, de cuivre, d’uranium. A l’intérieur, Patrice Lumumba. Le convoi roule 55 km en direction de Kolwezi, bifurque à droite sur une piste en latérite rouge, parcourt encore quelques centaines de mètres, s’arrête au milieu d’une savane arborée. Au pied d’un arbre, c’est un peloton d’exécution qui attend Patrice Lumumba et ses deux compagnons, Joseph Okito et Maurice Mpolo. Nous sommes au crépuscule.»
L’affront
Né le 2 juillet 1925 à Onalowa dans le Centre du Congo, sous le nom d’Élias Okit’Asombo, Lumumba n’aura donc pas été bien longtemps aux affaires.
De ce jeune homme arraché à la vie à tout juste 35 ans, nous gardons pourtant le souvenir d’un courage inébranlable.
Que peut bien se dire Lumumba aujourd’hui quand il suit l’actualité du Congo de là où il est ?
Probablement que ses discours et son exemple n’ont servi à rien. Car, au moment où j’écris ces lignes, une partie du Congo est occupée par une rébellion soutenue, selon les Nations unies et le gouvernement congolais, par le Rwanda. Un État africain qui déstabilise un autre État africain.
Au moment où j’écris ces lignes, la proposition de loi sur la nationalité inspirée par l’économiste Noël Tshiani et déposée par le député Nsingi Pululu a été inscrite à l’ordre du jour au Parlement congolais. Si elle est adoptée, seules les personnes issues d’une union d’un père congolais et d’une mère congolaise pourront désormais briguer la magistrature suprême en RDC.
Le moins que l’on puisse dire est que cette initiative divise les Congolais.
Les évêques catholiques du Congo ont exprimé leur désapprobation, estimant que «cette loi menace la cohésion nationale et son vote risque de déstabiliser complétement les institutions du pays et diviser les peuples».
Ces dernières années, les questions d’appartenance ethnique et communautaire ont pollué le débat public en RDC. Quelque fois, elles ont dégénéré en conflits, faisant des morts. Le tribalisme est devenu une vraie plaie.
En Afrique et au Congo, l’héritage de Lumumba est saccagé. L’unité qu’il appelait de ses vœux est nulle part. Les querelles et la division, partout.
C’est l’affront fait au Héros national congolais. Ceux-là mêmes qui étaient censés faire vivre son héritage en sont les premiers pourfendeurs.
Le Congo en souffre. L’Afrique aussi. Car comme l’a écrit Jean-Paul Sartre, «mort, Lumumba cesse d’être une personne pour devenir l’Afrique entière, avec sa volonté unitaire, ses désordres, sa force et son impuissance.»
Une formule qui résume bien l’ambivalence du personnage qui continue de susciter autant l’admiration que le rejet, la passion que la réflexion.
Mais loin de toute polémique futile, Lumumba est un phare. Non pas parce qu’il n’avait pas de défauts ou qu’il n’eût fait que des choix éclairés. Non. Mais bien parce que comme tous les phares, il peut nous servir de lumière dans la nuit profonde que le Congo et l’Afrique traversent. Son appel à l’unité face aux ennemis extérieurs et face à nos propres démons est plus que jamais d’actualité.
Je suis tout à fait d’accord que : c’est l’unité de tous les africains qui fera le renouveau du Congo.
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Tout à fait. Les potentialités de l’Afrique sont tellement énormes.
Mais il nous faut nécessairement cette union des africains pour en jouir réellement.
Merci beaucoup mon ami, pour ce rappel des messages forts de ce grand homme et leader…Lumumba.
Beau travail. Beaucoup de courage à toi👏👏👏
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Merci mon amie, la fille de Sankara.😎
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