TikTok : le vrai problème est ailleurs. Et il est bien plus grave

Après les États-Unis, c’est donc en Europe que la question de l’utilisation de TikTok se pose. Vendredi 10 mars, le ministre français délégué à la transition numérique, Jean-Noël Barrot, a reçu Erich Andersen, juriste, conseiller général de ByteDance, la maison mère de TikTok. Au début du mois de mars, la Commission et le Parlement européens ont demandé à leurs fonctionnaires de retirer l’application de leurs appareils professionnels. Plusieurs gouvernements disent craindre que cette application, très populaire notamment chez les jeunes, ne soit utilisée par la Chine pour espionner ses utilisateurs.

«Cela tangue décidément très fort pour TikTok», commente le journal «Le Monde».

D’autant plus qu’à côté des soupçons d’espionnage mis en avant par certains gouvernements, notamment américain, on entend de plus en plus monter une petite musique. Un petit refrain complotiste : la Chine utiliserait TikTok pour abrutir la jeunesse du reste du monde.

C’est quoi TikTok ?

Le site Internet «L’ADN» y est allé franchement. «TikTok est-il le cheval de Troie de la Chine pour rendre nos enfants idiots ?», feint de s’interroger le media dans un article publié le 20 janvier dernier.

«Rendre nos enfants idiots». Rien que ça.

A ce stade, je dois vous avouer que je n’ai jamais utilisé TikTok. La première fois que j’ai vu cette application, c’était sur le portable du fils d’une collègue. Il avait 14 ans à l’époque et semblait subjugué par cette application chinoise qui permet de partager de courtes vidéos. Le jeune garçon, très enthousiaste, m’en avait expliqué sommairement le fonctionnement. Je n’y avais pas compris grand-chose. Mais pour ne pas briser son enthousiasme, je lui avais dit que ce n’était pas inintéressant et lui avais promis de revenir pour en reparler.

C’est finalement par des lectures et via Instagram (dont je suis un grand utilisateur) que j’ai compris ce que c’était TikTok : un réseau social qui est centré sur la vidéo. Il est pensé pour les smartphones. Les vidéos sont verticales et occupent tout l’écran.

Comme l’explique bien «France Info», «on peut s’abonner à des créateurs de contenus ou rechercher des thématiques. Mais sur l’onglet For You, le cœur de l’appli, c’est l’algorithme qui décide quoi vous montrer en fonction de ce qu’il a compris de vos goûts».

Dans la publication du media français, une phrase a retenu mon attention : «un geste du doigt permet de passer au contenu suivant, et ce à l’infini». J’y reviendrai.

Théorie du complot, analyse géopolitique ou panique morale ?

Poursuivons pour le moment avec l’accusation qui présente ce réseau social comme un outil du soft power chinois destiné à rendre «notre jeunesse idiote». Les accusateurs s’appuient notamment sur les différences entre le TikTok utilisé en Chine et celui offert aux utilisateurs du reste du monde.

En Chine, Douyin, la version locale de TikTok est limitée à 40 minutes par jour pour les mineurs, note ainsi «L’ADN». Le site Internet révèle que dans une vidéo publiée sur TikTok, Amy Plant, une youtubeuse spécialisée dans l’informatique et le hacking fait savoir que les contenus de Douyin seraient «bien plus anglés sur l’éducation, la création ou la mise en valeur d’entrepreneurs dans le domaine social tandis que sur le TikTok occidental, les premières vidéos que l’on voit quand on commence à scroller sont des challenges et des danses sans grand intérêt».

Mais est-ce une spécificité de TikTok ? Non. Les autorités chinoises ont toujours réglementé l’utilisation des réseaux sociaux sur leur territoire. Ainsi, le site Internet du journal «Le Monde» rappelle qu’en juin 2021, la Chine a révisé sa loi de protection des mineurs, exigeant la limitation de la consommation des réseaux sociaux.

Le texte de loi spécifie que «la société, les écoles et les familles doivent mener une éducation idéale (…). L’état encourage et soutient la création et la diffusion de contenus en ligne propices à une croissance saine des mineurs». Il fixe également l’objectif «d’empêcher les mineurs de devenir dépendants du réseau».

Le media français ajoute que «l’État chinois est allé plus loin en interdisant aux mineurs l’usage des jeux vidéos en ligne pendant la semaine, limitant la consommation hebdomadaire à trois heures».

Que la version chinoise de TikTok ne ressemble pas beaucoup à celle des autres pays est donc tout sauf une surprise pour qui connaît un peu le fonctionnement de ce pays.

La vraie question est donc la suivante : pourquoi les autres pays laissent faire ?

Le piège du laisser faire

Ici s’affrontent deux conceptions du monde. Face aux réseaux sociaux, doit-on laisser les individus seuls décider ce qu’il convient pour eux ?

Les autorités chinoises ont répondu, non. Dans les autres pays, la réponse semble être oui. Ou du moins, le consensus a été trouvé pour laisser faire.

Sauf que les enfants entrent en jeu. Selon une étude reprise dans l’article de «France Info» cité plus haut, chez les enfants de 4 à 18 ans, TikTok est le réseau social le plus utilisé, celui où ils passent le plus de temps par jour (1h47).

1h47. Sur une journée de 24h. c’est énorme. Mais dans ce domaine, la complexité le dispute à la taille.

Dans «La Fabrique du crétin digital» de Michel Desmurget, on en apprend d’autres :

«Dès 2 ans, les enfants des pays occidentaux cumulent chaque jour presque 3 heures d’écran. Entre 8 et 12 ans, ils passent à près de 4 h 45. Entre 13 et 18 ans, ils frôlent les 6 h 45.»

Passer autant de temps derrière son écran est problématique pour tout être humain. Pour les enfants, encore plus.

«Un geste du doigt permet de passer au contenu suivant, et ce à l’infini.» J’y reviens.

Tout le monde voit bien qu’il n’est pas sain pour un cerveau de passer plus d’une heure en train de défiler d’une vidéo à une autre. Comme il n’est pas sain de passer deux, trois ou quatre heures sur Facebook, Twitter, Instagram, YouTube ou Snapchat.

Comme l’écrit Michel Desmurget, «cette profusion d’écrans est loin d’améliorer les aptitudes de nos enfants. Bien au contraire, elle a de lourdes conséquences : sur la santé (obésité, développement cardio-vasculaire, espérance de vie réduite…), sur le comportement (agressivité, dépression, conduites à risques…) et sur les capacités intellectuelles (langage, concentration, mémorisation…). Autant d’atteintes qui affectent fortement la réussite scolaire des jeunes».

Le problème n’est donc pas singulièrement lié à TikTok. Mais plutôt notre rapport aux écrans. Il est problématique. Tout le monde le sait. Plusieurs études le montrent. Mais, pour le moment, nous avons choisi de laisser faire.

Pourquoi ? Pour notre propre confort. Et au nom de la «liberté». Aujourd’hui, il serait hypocrite de ne pointer du doigt que les enfants. Les adultes ne font pas mieux.

L’esclave qui se croit libre…

Comme le constate Xavier Alberti, «nous avons oublié et peut-être même perdu le goût de l’effort et finalement l’effort lui-même, croyant naïvement que sans effort il était possible d’obtenir les mêmes résultats en empruntant d’autres chemins».

Ainsi, pour calmer un enfant qui n’arrête pas de pleurer, les parents vont le laisser devant un écran. Ils ont autre chose à faire. Vraiment ? Comme je l’ai écrit dans «L’urgent et l’essentiel», notre problème est plutôt notre utilisation irréfléchie du temps.

Si les moyens de communication ont été inventés pour nous permettre de «gagner du temps», force est de constater que ce gain de temps est tout de suite incinéré devant «les écrans de nos vanités affichées».

Pour acheter la paix, afin de bien profiter nous-même de nos écrans, nous laissons les enfants seuls face aux écrans, les rendant du même coup plus accros que nous-mêmes.

S’il est une chose qui rendrait «notre jeunesse plus idiote», c’est celle-là. Pas une conspiration chinoise.

Un téléphone portable ou une tablette est un outil. Il doit être utilisé pour un usage défini. Pas tout le temps. Par notre boulimie numérique, nous avons fini par trouver normal de manipuler notre smartphone à la messe, à la salle de sport ou à table. Nous privant ainsi de ce que la vie nous offre de plus précieux : profiter de l’instant présent.

Et comme le temps est impitoyable, les heures que nous gaspillons devant nos écrans où nous n’apprenons rien de substantiel, nous les faisons peser sur autre chose : la famille, la spiritualité, la culture, l’amitié.

C’est finalement cela qui nous rend «idiot». Pas TikTok. Quand on n’a plus le temps pour lire, méditer, contempler, converser (sérieusement), on a déjà perdu l’essentiel, «c’est-à-dire tout ce qui compte, tout ce qui est réellement précieux et qui sans effort, se dérobe» : la liberté, la paix, la fraternité. Bref, «tout ce qui se mérite par l’engagement».

TikTok n’est qu’un symptôme.

Le symptôme d’un mal qui ronge notre société qui a fini par confondre liberté et laisser faire.

Mais comme nous le rappelle Xavier Alberti, «la liberté se mérite par la préparation, par la prudence et par la discipline, c’est-à-dire par tout ce qui semble la restreindre et qui pourtant, systématiquement, la précède».

Nous qui nous croyions libres, nous voici esclaves de ces écrans, reflet de nos vanités et de nos courses folles. Ne contrôlant plus rien. Ni nos vies. Ni nos envies. Ne répondant plus qu’à l’appel de l’instant présent, vite oublié, enchaînant ainsi les challenges TikTok, les polémiques, les buzz, les controverses, etc.

Un geste du doigt permettant de passer de l’un à l’autre, sans transition…

Publié par Joël Bofengo

Catholique. Journaliste congolais. Curieux de tout (sauf de gastronomie). Fan de Liverpool FC.

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